De la nécessité et de l’utilité de l’existence et de l’application de protocoles féministes contre les agressions. Témoignage. Elisende Coladan

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Traduction: « Nous sommes en train de construire des espaces féministes ».        Assemblea de Dones Feministes de Gràcia

Début décembre, j’ai participé à la 2ème rencontre sur les non-monogamies des pays catalans : Eixams (« Essaims », en français). Comme je le dis souvent, les seuls espaces que je considère « safe » [1] que je connaisse, concernant les non-monogamies, sont ceux organisés par l’Eixams et par Amors Plurals, en Catalogne. Ce qui ne veut pas dire que toutes les toutes les personnes qui y participent sont « safe », mais que l’espace l’est, parce que l’équipe organisatrice fait tout pour que cela soit ainsi. Je constate, dans la société catalane, une prise de conscience et des actions féministes efficaces, qui existent depuis bien plus longtemps qu’en France.

Lors de cette rencontre, différents ateliers, groupes de parole ou présentations, « Qui portent sur un des 4 axes principaux d’Eixams [2] sont proposés sous la forme d’un tableau horaire, sur les trois jours, à compléter par qui souhaite prendre en charge une activité. L’organisation se réserve le droit de superviser le contenu des activités afin d’assurer leur conformité aux principes éthiques et aux objectifs de l’événement.

Sur la plage web de l’événement, l’organisation [3] publie un code de conduite que tout le monde doit lire et approuver avant de s’inscrire, qui est affiché pendant tout le temps de l’événement et auquel on se rapporte dès qu’il y a un dysfonctionnement. J’ai été témoin de comment, à plusieurs reprises, des membres de l’équipe organisatrice intervenaient pour rappeler certains aspects du code de conduite qui n’étaient pas respectés, comme, par exemple, le fait de prendre des photos sans consentement préalable.

La veille du dernier jour, j’ai été victime d’une agression verbale, et également témoin de comment celle-ci a été gérée par l’équipe organisatrice et de combien cela m’a été psychologiquement extrêmement bénéfique. Je voulais partager mon expérience, parce que suite mon intervention lors de la 2e conférence sur les non-monogamies à Vienne, des personnes m’ont approchée ou m’ont écrit pour me demander des conseils pour rendre ces relations et ces espaces libres de violences.

L’agression verbale :

Dès le premier jour de l’évènement, sur le tableau horaire, j’avais proposé une activité non mixte, intitulée « thérapie féministe » et portant sur les violences faites aux femmes, qui devait avoir lieu le dernier jour.

Le soir de la veille dudit évènement, alors que je me reposais sur mon lit, dans une chambre partagée avec 5 autres personnes, vers 22h30, un couple qui dormait dans la même chambre est arrivé, parlant fort, et a commencé à m’interpeler au sujet de mon activité du lendemain, me reprochant le fait qu’elle soit non mixte et me demandant si j’étais informée du fait que les hommes aussi pouvaient subir des violences de la part d’une femme. Il s’en est suivi une discussion où j’ai présenté le plus calmement possible les raisons pour lesquelles l’activité était non mixte, que la décision avait été prise en accord avec l’organisation et indiqué que j’étais parfaitement au courant que les hommes pouvaient eux aussi être victimes d’agressions. Je passerai sur les détails de l’échange verbal, mais cela m’a secouée, car je ne m’y attendais pas en ce lieu, que je pensais sécure. L’homme est parti excédé, la femme est restée et j’ai pu lui dire clairement [4] que :

  • Ils avaient envahi mon espace personnel.
  • Je me sentais agressée par leurs propos.
  • Je me reposais à leur arrivée et j’en avais vraiment besoin, donc je lui demandais de quitter la chambre.

Puis je suis restée assez bouleversée par ce que je venais de vivre, à essayer de comprendre ce qui s’était passé, quand j’ai entendu la voix d’une des organisatrices dans le couloir et je suis sortie pour lui dire que j’avais besoin de lui parler.

Écoute et prise en charge :

Après m’avoir écoutée, elle a tout de suite réagi en posant des mots qui m’ont fait beaucoup de bien : « C’est grave. Il s’agit d’une agression verbale, qui rompt avec le code de conduite et va à l’encontre d’un espace féministe où le fait de réaliser une activité non mixte ne doit pas être remis en cause ». Propos suivis immédiatement d’une question : « De quoi as-tu besoin ? » et de proposition concrètes : « Est-ce que tu veux aller te reposer ailleurs ? Tu veux choisir quelqu’un pour te tenir compagnie pendant que je présente ce qu’il vient de se passer à l’équipe organisatrice ? On va ensuite prendre des décisions, dont tu seras, bien sûr, informée, et sur lesquelles tu pourras donner, à tout moment, ton avis.».

Une amie est donc venue me rejoindre dans la chambre et, environ une demi-heure après, j’ai été appelée par l’équipe organisatrice. Ensemble nous avons décidé que deux femmes de l’organisation iraient parler avec le couple, pendant que je restais à l’écart, dans un espace inaccessible pour eux, accompagnée de deux amies, et que ces femmes allaient les informer que :

  • Ils avaient commis une agression verbale qui rompait avec le code de conduite.
  • Pour ma tranquillité, ils devaient aller dormir dans une autre chambre, éloignée de la mienne.
  • Qu’ils ne pouvaient pas aller dans les espaces communs proches de ma chambre, ni être à ma table dans le réfectoire, ni participer aux mêmes activités que moi ou à celles que j’organiserai.
  • Qu’une décision serait prise le lendemain sur le fait qu’ils pourraient continuer à participer ou pas aux rencontres organisées par l’Eixams.

Le couple, qui étaient venu en voiture, a finalement pris la décision de partir à 1 heure du matin.

Le lendemain, lors de l’activité de clôture de la rencontre, l’équipe organisatrice a expliqué la situation à l’ensemble de personnes présentes, a donné les noms des agresseur.e.s et également mon nom, cela à ma demande, car ils m’avaient proposé de ne pas le donner si tel avait été mon souhait. Il a été spécifié que leur participation à d’autre événements n’allait plus être possible.

Bénéfices psychologiques :

Grâce à cette prise en charge, qui m’a semblé en tout point exemplaire et que je n’avais jamais vécue auparavant, je me suis immédiatement sentie bien et en sécurité. J’ai pu rapidement exprimer ce que j’avais vécu et ressenti, non seulement à une personne de l’organisation, mais également à une amie proche et j’ai été non seulement crue, mais mes propos ont été validés par des mots justes et réconfortants, ainsi que par des actions rapides et efficaces.

La situation a été prise en charge par des personnes compétentes, sans que je doive m’occuper de quoi que ce soit et mon avis a été en tout temps sollicité et pris en compte.

L’ensemble des participant.e.s a été mis au courant et a connu le nom des personnes impliquées.

Contrairement à d’autres agressions que j’ai pu subir dans mon existence, cette prise en charge remarquable a fait que je n’ai pas été mentalement envahie par des questionnements, des doutes, des remises en question, des ruminations, des angoisses, des peurs, de la culpabilité ou autres mécanismes qui se mettent en place en cas de violences.

Nécessité de chartes, de codes de conduites et de protocoles féministes :

Tout cela n’a été possible que parce que toutes les personnes de l’équipe organisatrice avaient un positionnement clair et homogène, grâce à l’existence de textes écrits et de stratégies déjà mises à l’épreuve dans d’autres contextes. Elles m’ont expliqué qu’elles s’étaient inspirées de protocoles féministes déjà existants pour en rédiger un pour l’évènement.

J’ai été ainsi informée du fait qu’il existe depuis quelques années, en Catalogne, des protocoles féministes mis en place lors d’évènements comme des manifestations mais également des fêtes populaires. Que toutes les municipalités catalanes ont une Commission des Droits Humains et de l’Égalité des sexes, dirigée par une conseillère, que la plupart d’entre elles ont un plan local de lutte contre les violences de genre et certaines ont mis en place un protocole féministe pour lutter contre les violences faites aux femmes.

J’ai donc fait une recherche sur Internet au sujet de ces plans de lutte et protocoles qui feront l’objet d’un autre article sur ce blog et qui pourront être repris afin qu’ici en France, les espaces mixtes soient sécures et que toute agression soit immédiatement prise en charge de manière compétente et efficace.

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[1] Quitte à ce que mes propos déplaisent, mais ils n’engagent que moi, je tiens à préciser qu’aucun espace poly ou non monogame, en France, auquel j’ai participé  (ni, à priori, ceux dont on m’a parlé), ne m’a paru être réellement « safe ». Je parle également de ceux que j’ai essayé d’organiser de manière la plus « safe » possible, pendant deux ans, avec force chartes et précautions. Malgré toute ma prudence et toute ma vigilance, je sais qu’il y a eu des personnes qui y ont participé dans d’autres intentions que d’échanger des propos et des questionnements personnels sur les relations non monogames consensuelles, et j’ai eu à faire à des prises de parole problématiques ou invasives et certaines interventions agressives, très difficiles à gérer toute seule. Il y a eu aussi la participation clandestine d’une apprentie journaliste qui a publié par la suite un article, soi-disant satirique, sur le sujet. C’est la raison pour laquelle j’ai arrêté d’organiser des groupes de parole à la fin de cette année. C’est également pour cela que je vais (re)commencer à organiser des groupes non mixtes, en 2018, pour ma tranquillité personnelle et celles des participantes, comme je l’avais fait initialement avec un filtrage, une charte encore plus précise et un protocole féministe inspiré de ceux mis en place par les catalanes.

[2] Traduction de la présentation des 4 axes, sur la page d’accueil de l’événement (tout est rédigé au féminin, comme j’ai pu l’observer dans bien des espaces féministes catalans, même mixtes) :

Axe thématique principal : La diversité affective sous ses diverses formes, entendue dans le cadre des non-monogamies éthiques, ainsi que de ses pratiques et ses activismes.

Axe féministe : Eixams est un événement qui s’inscrit dans une perspective intersectionnelle qui met l’accent sur les luttes féministes, antipatriarcales et LGBTI+. Nous proposons de faciliter une place d’apprentissage pour comprendre les privilèges de classe, de genre, d’orientation et d’identité sexuelle, de migration, d’ethnie et autres. Nous tenons à ce que cet espace soit le plus sûr possible pour toutes les participantes et il en va de la responsabilité de toutes. Nous nous basons sur la compréhension et la pratique active du concept de consentement de la part de de chaque personne qui y participe et, par conséquent, nous avons élaboré un code de conduite que toutes les participantes doivent explicitement respecter.

Axe de la langue et du territoire : Eixams a comme cadre de référence territoriale les Pays Catalans. Dans de cet axe le but est double : renforcer la langue catalane et faire apparaitre les non-monogamies sur la carte des activismes du territoire.

Axe économico-social : Eixams est un espace anticapitaliste et écologiste, tout particulièrement sur les questions de de la recherche de formes d’organisation économiques, sociales et familiales alternatives à celles imposées par l’économie actuelle, et la recherche de formes de consommation respectueuses.

[3] Composée cette année de trois femmes et deux hommes.

[4] J’ai utilisé la technique des trois phrases apprise pendant deux formations d’auto-défense féministe, la première avec l’association Garance à Bruxelles et l’autre avec l’association Loreleï à Paris. Elle consiste à s’exprimer trois phrases courtes et précises :

  • 1re phrase : décrire le comportement dérangeant
  • 2e phrase : décrire le sentiment que ce comportement provoque chez nous
  • 3e phrase : faire une demande concrète

Livre sur l’auto-défense féministe : NON C’EST NON — Petit manuel d’autodéfense à l’usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire.

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