Belles-sœurs et crapauds. Amour Disney et agence féministe – Brigitte Vasallo

https://revistaidees.cat/es/germanastres-i-gripaus-amor-disney-i-agenciament-feminista/

Traduction Elisende Coladan

Article publié en catalan, espagnol et anglais dans la revue catalane IDEES

Nous savons que les féminicides sont associés à la construction du genre, à la masculinité guerrière et possessive. Mais, elle est aussi associée à notre construction dépendante de l’amour, tant au niveau émotionnel que matériel, dans notre construction de la subjectivité et elle appelle à la collectivisation des lignes de fuite. C’est ainsi que ce texte veut être un article d’autodéfense féministe et de responsabilité partagée dans cette autodéfense. 27 octobre 2019

S’il y a un aspect qui m’intéresse particulièrement dans la pensée critique de l’amour, ce sont les féminicides et la longue liste de violences dans notre vie amoureuse.  Nous savons que les féminicides sont associés à la construction du genre, à la masculinité guerrière et possessive, à l’objectivation [1] de nos vies, à la conquête de notre corps comme champ de bataille qui s’ajoute à la longue liste d’autres champs de bataille. Mais, elle est aussi associée à notre construction dépendante de l’amour, tant au niveau émotionnel que matériel, dans notre construction de la subjectivité, et elle appelle à la collectivisation des lignes de fuite. Les violences appartiennent à celui qui les cause, mais nous devons la lézarder ensemble pour pouvoir nous en échapper. C’est ainsi que ce texte veut être un article d’autodéfense féministe et de responsabilité partagée dans cette défense, en partant de l’idée que le « je » ne s’arrête pas aux limites de ma propre peau, mais s’étend pour arriver à englober toutes les femmes. Ainsi, la violence relationnelle est le pavé jeté dans la mare, afin de voir jusqu’où peuvent aller les ondulations que cela va provoquer.

Il y a une déclaration – qui est presque un aphorisme – sur laquelle il semble y avoir consensus : l’amour romantique tue. Néanmoins, nous continuons à le reproduire parce que, lorsque nous sommes amoureuses, nous sommes tout à fait certaines que notre amour ne nous tuera pas. Comme nous l’annonçons ainsi, nous le validons par là même. Ainsi nous sommes tout à fait sures que nous ne sommes pas en train de valider l’amour qui tue mais plutôt ce bel amour qui devrait nous sauver. Et c’est là que nous nous retrouvons face aux premiers pièges: premièrement, croire que nous devons mettre un terme au sentiment plutôt qu’à la formulation et, deuxièmement, croire que l’amour romantique ce n’est pas notre si bel amour. Même si la beauté est un élément intrinsèque à l’amour.

Nous pouvons commencer à trier le blé de l’ivraie en faisant un peu de recherche archéologique sur ce terme. Le romantisme est un mouvement culturel et politique qui a atteint son apogée au 19e siècle, un siècle d’une santé de fer qui nous accompagne avec toujours autant de force, depuis 200 ans maintenant. En Europe, nous venions de traverser l’époque napoléonienne (quelque chose de plus facile à dire qu’à faire) et un siècle des Lumières qui était devenu extrêmement ennuyeux et, dans un mouvement pendulaire si fréquent dans l’histoire du continent, le romantisme a parié pour l’extrême opposé (tout au moins officiellement, car il n’était pas si différent en substance). C’est ainsi que nous sommes entrés dans une phase d’exaltation sentimentale presque affectée, du je-je-je, du moi-moi-moi, faite de drames, de traumatismes et de brouillards infinis. Essayez un peu le Tannhäuser de Wagner et vous m’en donnerez des nouvelles …

De toute évidence, l’amour est au cœur de tout cela, mais il ne peut pas s’agir d’un amour serein, car ce n’est tout simplement pas assez wagnérien. C’est l’amour comme défi, comme malheur, l’amour qui peut tout conquérir et qui est, en même temps, impossible. Plus il est impossible, mieux c’est. Il y a eu, quelques siècles plus tôt, Roméo et Juliette de Shakespeare, ancrés dans l’imaginaire collectif européen comme une grande histoire d’amour, dont nous connaissons bien la durée et la fin. Dans notre littérature catalane locale, cette fois en plein milieu du romantisme, appelé ici Renaixença, nous avons le merveilleux Àngel Guimerà, dont Mar i Cel (mer et ciel) raconte l’histoire de l’amour condamné entre Blanca et Saïd, noble chrétienne et pirate musulman, dans le contexte de l’expulsion des Maures d’Espagne, qui vont connaître un amour au-delà de la mort et, qui plus est, symbolisé par la mer et le ciel qui se retrouvent éternellement à l’horizon.

Toute cette exaltation de l’amour comme quelque chose de difficile, comme un sacrifice, comme le sens ultime de tout, a pris racine. De profondes racines. Combinées à la construction sociale des femmes qui prennent soin des autres[2] ainsi qu’à la construction de la subjectivité, elle a produit un dangereux cocktail de confusion entre l’amour et la violence et entre l’amour et l’acceptation personnelle de la violence parce que l’amour peut tout supporter. En fait, pour être tout à fait exacte, l’origine de ce cocktail, reprenant le fil proposé par Gloria Steinem[3], réside dans la confusion entre l’amour et la romance, l’amour et les contes de fées, et même entre l’amour et faire la cour.

Donc, quand nous parlons d’amour romantique, nous ne parlons pas des attentions: nous ne parlons pas de dîners aux chandelles, de couchers de soleil et de nous regarder amoureusement dans les yeux. C’est quelque chose que nous devrions faire plus souvent, et nous devrions nous rendre compte que nous le faisons avec beaucoup plus de personnes et beaucoup plus de choses qu’avec uniquement notre partenaire. Nous sommes  fascinées par le féminisme, les manifestations nous émeuvent, nous avons des dîners avec nos copines qui n’ont rien à envier à ceux que nous avons avec qui nous considérons comme nos «amours», comme si nous ne considérions pas nos copines comme telles, et nous regardons des couchers de soleil seules avec nous-mêmes, trouvant parfois qu’il nous manque la présence de quelqu’un de significatif, comme si nous-mêmes n’étions pas assez significatives.

Lorsque j’ajoute la couche d’amour Disney, j’ajoute le paradigme des contes romantiques pour enfants, que les films de Disney continuent de transmettre aujourd’hui. Si nous continuons à nous raconter ces histoires, c’est parce qu’elles contiennent des informations transmissibles qui sont socialement acceptées et, en tant que telles, rendues invisibles et normalisées. Nous avons beaucoup parlé du prince, en raison, je le crains, de la difficulté que nous avons à en analyser les lignes horizontales sans être piégé dans la verticalité, dans la relation avec le pouvoir primaire qu’il représenterait. Cependant, les contes Disney contiennent des fils importants dans la complexité de notre construction de l’amour qui vont au-delà de l’analyse stricte du couple.

Examinons cela de plus près: Cendrillon, par exemple, la protagoniste des contes, est belle et gentille, deux adjectifs qui vont ensemble pour former une maxime romantique également illustrée par les mots du poète (romantique) Keats,  » la beauté, c’est la vérité ». Il y a une série de valeurs morales associées à la beauté physique ou, plutôt, nous comprenons de manière inconsciente (et systémique) que la bonté a un impact sur l’aspect externe des gens: mais notez que ce sont des aspects externes et des beautés qui sont complètement normalisées par des normes qui ont été établies par le capitalisme autour de la mode et des cosmétiques et transpercées d’un regard extrêmement patriarcal, raciste, validiste et classiste, au minima. Et hétérocentré, évidemment. Mais tout cela n’est qu’une note en bas de page, car ce n’est pas vraiment le sujet de cet article. Cette belle et gentille jeune femme est entourée d’autres femmes laides et mauvaises … les belles-mères, les belles-sœurs … les femmes qui font partie d’une famille «artificielle», une famille «mauvaise» qui n’est même pas une relation de sang. Il y en aurait également assez pour écrire un autre article, mais ne nous laissons pas distraire. Ces femmes qui l’entourent la détestent, lui rendent la vie impossible, et tout au long du récit, il est évident que notre protagoniste, Cendrillon, est meilleure qu’elles. Meilleure. Attention à la première marque de confrontation féminine. Plus jolie, plus douce, plus attentionnée, plus innocente, plus propre et encore bien plus de diktats sur le genre. Et toute l’histoire raconte comment Cendrillon obtient ce qu’elle mérite. Elle le mérite parce qu’elle le mérite, désolée pour la tautologie mais je m’énerve ici. Et quand cette supériorité sur les autres femmes sera-t-elle révélée? Tadam !! Roulements de tambour, s’il vous plaît, maestro… Quand quelqu’un avec tous les avantages de genre et de classe, quelqu’un de plus puissant, un seigneur et un maître, pour le dire franchement, la choisit. Je mentionne le privilège de classe parce que ce n’est pas le garçon d’à côté et, évidemment, pas la garçonne d’à côté. Genre et privilège de classe. Alors, il la choisit et elle accepte ce choix, car la possibilité qu’elle ne le fasse pas n’est même jamais évoquée. L’acceptation est un fait, par défaut. Imaginez que le prince arrive et que Cendrillon lui dise, « mec, désolée, mais tu ne me plais pas » … Cela est inimaginable, j’en ai bien peur, car nous les femmes, nous Cendrillon, nous ne laissons jamais passer l’amour®. C’est exactement ça. Cendrillon gagne et les autres femmes perdent. Et voilà !

C’est exactement comme ça que l’amour romantique tue. Il tue parce qu’il nous confronte, parce qu’il nous isole, il tue parce qu’il fait passer l’amour®, c’est-à-dire notre partenaire, avant tout. Et quand la violence survient, vous m’expliquerez comment c’est possible de déconstruire cela, comment intégrer que ce qui aurait dû être le meilleur qui pouvait nous arriver, ce qui nous donne de la valeur et de l’estime de soi, se révèle être un tas de fumier. Comment en sortir? Parce que nous sommes toutes embarquées dans cette galère.

Il y a beaucoup de fausses idées sur l’amour Disney qui le protègent, même parmi les féministes. L’une d’elle est que l’amour Disney ce n’est pas le véritable amour, mais autre chose. Évidemment, ce que chacune de nous ressent quand nous tombons amoureuses c’est : L’Amour! Ainsi, nous arrivons à la conclusion que l’amour Disney c’est ce que les autres ressentent: nous le signalons (chez les autres) et nous continuons, satisfaites de nous-mêmes. Déconstruisons cela un peu, d’accord? Lorsque nous parlons de «Disney» ou de l’amour romantique, nous faisons référence à la construction, pas au sentiment. Nous ressentons ce que nous ressentons et nous ressentons ce que nous pouvons ressentir. C’est ainsi que nous construisons l’amour, et ce qui est dangereux, c’est comment nous le construisons. De plus, ce que nous ressentons est également une construction. Permettez-moi de vous donner un exemple très utilisé mais toujours très utile. Si nous imaginons faire une promenade nocturne dans un cimetière seule, nous avons peur, et si nous le faisions, nous aurions probablement peur de mourir. Cependant, il n’y a jamais eu de cas enregistré (dans toute l’histoire!) de morts se levant de leur tombe pour tuer quelqu’un, ni de violeurs violant quelqu’un après leur mort, ou quoi que ce soit de ce genre. Et nous pouvons être sures que les vilains méchants ne traînent pas dans les cimetières la nuit, car il n’y a rien à faire là-bas. C’est probablement l’un des endroits les plus sûrs au monde. La peur que nous ressentons est donc une peur socialement construite.

Bien sûr que nous ressentons l’amour, mais c’est aussi quelque chose que nous construisons. Il y a toute une série de rituels impliqués dans le fait d’être amoureuse parce qu’être amoureuses est un diktat de genre, parce qu’être une femme c’est être amoureuse, même si cela est dissonant. Je connais la théorie par cœur, mais je regarde également les réalités sur le terrain et les rares périodes de notre vie que nous passons en dehors des relations avec les partenaires, et comment nous considérons ces périodes comme des espaces en creux entre les relations. Pour tomber amoureuse et faire en sorte que les autres le fassent, nous créons des mythes, nous créons des récits de prédestination, nous resignifions les souvenirs de nos vies pour que nous nous retrouvions là, dans cet amour, dans cette relation. Et faire tout cela ne signifie pas que ce que nous ressentons n’est pas réel. Cela ne signifie même pas que c’est «mauvais». Mais, de la même façon que nous avons compris la construction du genre, il n’en est pas moins réel, il serait nécessaire de comprendre le fait d’être amoureuse de la même manière, et d’en comprendre la performativité.

Une autre chose que nous assumons sur le fait d’être amoureuse et qui (pour moi) contredit frontalement la pensée féministe est le manque d’action lorsque l’on tombe amoureuse. L’idée que c’est inévitable, que lorsque l’amour arrive, il n’y a rien à faire, est une notion extrêmement dangereuse. Notre désir, qui nous appartient, devient un désir de réciprocité, un désir d’être désirée, dans un exercice d’auto-objectivation qui n’a rien à voir avec le corps, mais avec les regards que nous recevons, avec le besoin de recevoir un regard de désir réciproque. D’une certaine manière, nous abandonnons notre désir sans même avoir à décider de le faire: il naît abandonné. Le désir est complété par la réciprocité… et c’est ainsi que nous le perdons. Désirer et vouloir être désirée sont deux choses différentes qui doivent être distinguées l’une de l’autre. La prédestination est également liée à cette histoire de l’inévitabilité: l’autre et moi sommes destinés à être ensemble, et que pouvons-nous faire contre le destin? Cette logique s’inscrit étrangement dans un mouvement déconstructeur comme est le féminisme, qui a tant lutté pour libérer nos vies des griffes de la prédestination.

Et pour clore le tout, le véritable amour, l’amour-amour, est unique. Aucune Cendrillon n’a trois maris et deux petites-amies. L’histoire se termine lorsque vous trouvez l’amour avec un grand «A». C’est ainsi. Comment concilier cette idée si profondément enracinée dans nos êtres avec la réalité de nos longues vies amoureuses et en constante évolution? Facile: en refusant tout sauf notre amour actuel. D’innombrables chansons chantent cela, de la spécificité très spécifique ressentie par toi et moi, comme si personne d’autre n’avait jamais ressenti quelque chose de semblable auparavant. Ciel, quelle intensité ! Mais soyons sérieuses une minute: sans le dire publiquement, essayons de nous répondre à nous-même, en silence. Laissons de côté nos amours actuelles, celles d’entre nous qui en ont un, parce que nous savons que nous ne pouvons pas être objectives à ce sujet, mais, en jetant un œil sur nos amours précédentes, vous ne trouvez pas qu’à chaque fois cela avait l’allure de l’Amour et que ce n’est qu’avec la rupture que nous y pensons comme pas réellement vrai, même un peu temporaire, en tout cas, pas éternel ?

Compte tenu de tout ce bazar, il n’est pas surprenant que nous soyons plutôt sans défense face au fait de tomber amoureuse. Mais il nous reste encore à aborder la question clé, ce qui pour moi est au cœur du problème: la confrontation horizontale, et quand je dis horizontale, je pense à Cendrillon et à ses belles-sœurs et à nous quand nous sommes amoureuses et à nos copines , tout comme je pense à nous quand nous sommes amoureuses et aux ex de notre partenaire. J’ai écrit ailleurs que l’ex de notre partenaire détenait des informations vitales … – et si seulement j’avais appris cela plus tôt-, mais le système ne nous permet pas de les voir. Le système de confrontation, qui nous dit que toutes les autres femmes nous envient et désirent notre prince ou notre princesse, nous enseignant ainsi que nous sommes des concurrentes naturelles et que capter l’attention de cette personne particulière montrera que nous sommes meilleures que toutes les autres. Peut-être que nous ne traversons pas la vie en pensant que nous sommes meilleures (peut-être, dis-je), mais nous avons toutes vécu ce sentiment que nous n’étions pas « l’élue » et nous pensions que nous étions la pire de toutes. Tout cela fait partie de la même logique.

Une roue est une roue et, à ce titre, infinie. Si nous mettions un terme à la confrontation, si nous laissions au moins un espace pour le faire, une grande partie de tout cela changerait. Mais l’arrêter nous ferait changer la façon dont nous nous situons dans les amours, car l’estime de soi dans laquelle nous investissons a beaucoup à voir avec le fait d’être meilleure / pire que les autres. Parce que nous vivons dans un monde hiérarchique dans lequel seule celle qui est la meilleure est valable, dans un monde qui exige constamment de nous démarquer, de nous individualiser. Si nous devions arrêter cela, alors rompre avec quelqu’un ne serait pas une catastrophe aussi terrible, ce ne serait pas honteux, mais ce serait juste une autre étape – naturelle – sur les multiples routes de la vie. Si nous arrêtions cela, nous ne parlerions pas d’être seules quand nous n’avons pas de partenaire, car, en fait, nous ne le serions pas. Parce que nos copines ne donneraient pas non plus la priorité à leurs partenaires par rapport aux autres dont elles s’occupent, parce que nous pourrions créer un réseau, devenir un essaim. Si nous arrêtions cela, nous irions discuter avec les ex de notre partenaire pour voir comment les choses se passaient dans leur relation, et nous recevrions des réponses honnêtes parce que ni leur fierté ni leur estime de soi ne seraient endommagées en nous répondant. Si nous arrêtions cela, je suis convaincue que nous pouvons ouvrir des brèches, toutes ensemble, pour nous aider à échapper à la violence quand la violence arrive. Nous avons perdu trop de sœurs en cours de route, pour penser que cela n’a pas d’importance, que c’est une note en bas de page dans l’histoire.

Nous n’arrivons pas à arrêter cette confrontation horizontale en ce qui concerne nos amours mais, de plus, nous adulons ces relations complexes. Chaque fois que nous nous montrons avec notre partenaire, nous envoyons un message clair à toutes les autres: c’est le bonheur, c’est ce à quoi ressemble une femme qui réussit, sans cela nous ne sommes rien, pas même nous, les féministes, les sœurs autonomes, tout ce que nous disons être. Nous pouvons rompre avec tous les commandements de genre mais pas celui-ci: nous ne pouvons pas, nous ne savons pas comment, nous n’osons pas. Le système est tout puissant.

La construction du genre est basée sur tout cela, sur le fait que nous tombons amoureuses. Ce n’est rien de nouveau ce que je dis ici, mais peut-être que ce n’est que maintenant que nous en voyons les ultimes conséquences.

Pour conclure, et ne rien laisser dans l’encrier, je voudrais signaler également la question de la monogamie. Dans d’autres travaux, j’ai essayé de montrer que la monogamie est un système de distribution de liens et ne concerne pas la quantité, le fait d’avoir un certain nombre de partenaires différents, mais le poids de cette construction par rapport à d’autres liens. Dans ce que nous appelons la polyamour, qui est, pour moi, une forme de monogamie dans la mesure où cela continue à souligner l’importance du partenaire, il est souvent question de compersion, un néologisme qui veut dire : « se réjouir du bonheur d’autrui ». Je ne peux m’empêcher de noter l’étroitesse d’esprit d’une société à laquelle il manque un mot pour définir cela. Dans ce sous-monde polyamoureux, il y a même le syndrome de la bonne polyamoureuse, sorte de mise à jour formelle du mythe de la bonne épouse. Mettre un terme à la confrontation horizontale va de pair avec la compréhension de ses propres limites et savoir comment les protéger, si nous voulons mettre fin à la violence. Comme tous ces problèmes systémiques contre lesquels nous nous battons, cela ne peut pas être modifié individuellement ou immédiatement. La confrontation est stoppée pas à pas, cherchant des alliances, arrêtant les coups et ne tendant pas l’autre joue, se protégeant sans attaquer, ce sont deux choses très différentes. Se donner du pouvoir dans nos propres vies, sur l’intimité dans nos vies aussi, sur l’intimité de nos désirs et de nos amours, oublier tout le ciel et la mer et retourner sur la terre ferme pour transformer l’amour, enfin, en amour, sans capitales, une émotion qui nous fait du bien et qui ne nous rend pas collectivement dépendantes ou souffrantes, violentées ou violées. A nous toutes, d’ouvrir des brèches pour nous échapper et ouvrir des espaces pour nous accueillir quand nous avons besoin de nous échapper. Tant au niveau matériel et qu’émotionnel.

Je n’ai jamais cru que l’enfer dans lequel nous vivons pourrait s’éliminer d’un coup de baguette magique: je suis de l’école intersectionnelle et je crois que l’analyse nous donne des outils pour nous aider à comprendre la réalité, mais ce n’est pas la réalité elle-même. Néanmoins, je suis convaincue, je crois vraiment profondément (quoi que cela puisse signifier) ​​que si nous faisons plus d’efforts pour arrêter les affrontements entre nous, rien ne sera plus jamais comme avant. Ce sera mieux, plus vivable, moins violent.


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_de_l%27objectivation [NdT]

[2] Voir, par exemple, Une voix différente : Pour une éthique du care de Carol Gilligan. Ed. Flammarion [NdT]

[3] Féministe intersectionnelle américaine, journaliste et défenseuse des droits des femmes [NdT]

La responsabilité affective est un mensonge – Alba Centauri – Blog « El diario de Eva »

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Il y a des mots ou expressions que l’on entend régulièrement lorsqu’il s’agit de parler des relations non-monogames. Par exemple, éthique, bienveillance, prendre soin, communication non-violente ou encore: responsabilité affectivité. Brandis en étendards dès qu’il s’agit d’apaiser un conflit ou des souffrances ou de dénoncer des maltraitances. Malheureusement face aux structures de pouvoir et de domination qui nous traversent toutes et tous, il ne s’agit que trop souvent, de vaines tentatives pour trouver des solutions alors que comme tout le monde sait, il n’y a pas de solutions miracles. Pire, ces formules, sont souvent utilisées pour invisibiliser des difficultés ou, plus grave, servent à toutes sortes de manipulation. 

Voici un petit article qui, sans en avoir l’air, pointe le doigt vers cette incohérence fort fréquente entre discours théorique et pratique relationnelle. [NdT]

https://feminismolight.blogspot.com/2019/08/la-responsabilidad-afectiva-es-mentira.html

Traduction : Elisende Coladan

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La personne qui m’a ouvert au monde du polyamour, en théorie et en pratiques, est réapparue hier sur WhatsApp après plusieurs années pendant lesquelles c’était moi qui prenait l’initiative de l’interaction. C’était un de ces signes, même si je me prétends sceptique, que je ne peux voir que comme de l’ordre du destin. Parce que ses dernières expériences activistes et personnelles lui donnent une position unique à partir de laquelle elle peut me parler mieux que quiconque sur les sujet de qui m’intéressent.
Même si je suis encore très triste et que nous n’avons trouvé aucune solution parfaite -je ne crois pas qu’il en ait une -, la conversation m’a donné matière à réfléchir. Le polyamour n’est pas le seul activisme qu’iel et moi partageons, c’est pour cela que notre discours et pratique s’entremêlent avec des apprentissages que nous sortons de nulle part. Un autre activisme particulier. Et de tellement, tellement de souffrances dans nos expériences partagées.
J’ai attiré son attention vers l’incongruité de nos discours publics au sujet de la responsabilité affective et de la pratique privée. Iel pensait que nous n’avions pas à déléguer notre bonheur personnel à d’autres et que nous devions être nous-même responsables de nos limites et de nos besoins.. J’étais d’accord jusqu’ici, cependant, nous entrions en confrontation quand il s’agissait de savoir qui était responsable des sentiments. L’argument de la responsabilité individuelle m’a toujours irritée, car je le considère comme la marque du discours capitaliste qui s’introduit dans un effort de construire des relations collectives qui assument la cause-effet des actions sur les émotions.
Mais alors, dans ce lieu où, enfin, je me sentais sûre de pouvoir exprimer mon désaccord sans être jugée comme une « polyamoureuse imparfaite », sans avoir l’obligation de donner la réponse idéale, je me suis rendu compte de la grave erreur dans le raisonnement polyamoureux de faire appel à la responsabilité affective comme grande, unique et indiscutable solution pour tous nos problèmes relationnels.
Et mon cœur a flanché.
La responsabilité affective est une utopie qui ne fonctionne que si nous partons du principe de bienveillance à l’égard de toutes les personnes avec qui nous sommes en relation.
Exprimé plus clairement: que nous puissions être en relation sans souffrance dans des réseaux affectifs dans lesquelles les personnes prennent soin les unes des autres à travers la responsabilité affective -ce qui implique de s’intéresser aux besoins de chacune d’entre elles (y compris les nôtres et ceux du groupe)- implique que toutes les personnes dans ce réseau ont la disposition, la bonne foi, les outils de gestion, la connaissance intérieure et celle des autres et l’intention de le faire.
Et cette immense prémisse philosophique, logique et éthique, prend l’eau de toute part à la lumière du contexte socio-culturel dans lequel nous nous trouvons. Qui a pu penser que dans un monde cis-hétéro-patriarcal y sans aucune éducation émotionnelle les personnes allaient prendre en charge de manière équitable des besoins des autres ? Qui a imaginé que les dynamiques de discrimination validiste allait s’arrêter uniquement en utilisant un joli mot et un beau concept d’inclusion ?

Vous pouvez y arriver? Parce ce que moi, je n’y arrive pas.

Les mythes du polyamour romantique – Mosca Cojonera

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Golfxs con principios [1]

Le polyamour produit et reproduit des mythes, tout comme les relations monogames. De nombreuses « règles et/ou recettes » circulent, du style « établir des contrats est nécessaire », « être éthique est essentiel », « il faut s’entendre bien entre métamours », « la NRE existe réellement » … Souvent, des personnes viennent me voir dans l’attente de solutions toutes faites, ce à quoi je leur réponds « n’ayez pas peur d’inventer et de vous réinventer », « de vous remettre en question », tout en soulignant le grand nombre de schémas dont nous sommes emplis sans en avoir forcément conscience. Que les non-monogamies ce n’est pas juste une question du nombre de personnes qui entrent en relation. Nous vivons dans un système patriarcal, avec des mécanismes et des croyances qui nous traversent tous et toutes et ne disparaissent pas par magie parce que l’on découvre les non-monogamies et/ou on en prend conscience [2]  [NDT]

http://www.golfxsconprincipios.com/lamoscacojonera/los-mitos-del-poliamor-romantico-2/

Traduction : Elisende Coladan 

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Les mythes, ce n’est pas comme quand on se rend compte que le Père Noël n’existe pas. Les mythes ne se volatilisent pas quand on nous les explique. Les mythes ne disparaissent pas juste parce qu’on en parle et que nous en identifions l’empreinte délictuelle. Les mythes sont une manière qui permet de comprendre la réalité qui « échappe aux radars ». On n’en a pas conscience. Un mythe, par exemple, serait de penser que tout “finit à point » au lieu de croire que tout nous arrive en boucle infinie (le mythe du paradis perdu face à celui de l’éternel retour). L’être humain serait poursuivi de manière injuste. Ce serait le mythe de l’héros.ïne solitaire, de l’artiste tourmenté.e. Des histoires que l’on aime à croire, mais … qui ne sont pas la réalité. Cependant, même si la réalité est autre, nous avons tendance à croire à ces histoires encore et encore.

Il en va de même pour les mythes de l’amour romantique. Bien qu’on nous ait répété cent mille fois qu’ils sont « faux, absurdes, trompeurs, irrationnels et impossibles », ils se perpétuent, par nature, c’est ainsi.

Le problème de les associer à l’amour romantique, c’est de croire que si on est en relation d’une autre manière ( que ce soit le polyamour, ou toute autre type de relation non exclusive), par magie, les mythes sont derrières nous. Et non, cela ne fonctionne pas ainsi. Les mythes ne vont pas disparaître parce qu’on est plus de deux, parce qu’on est dans un réseau relationnel. Le mythe n’est pas une idée qui peut changer de la nuit au lendemain. Il ne s’agit pas de juste y réfléchir et d’arrêter d’y croire. On n’est pas pour autant stupide parce qu’on continue à croire à certaines de ces idées. Toute la culture qui nous entoure se base sur un grand nombre de ces croyances, qui sont répétées maintes fois dans les films, les romans, dans les conseils que nos ami.e.s nous donnent, dans ce que dit notre mère[3]. Ces émotions sont acquises depuis toujours et réapparaissent sous des formes diverses. Et une démarche rationnelle n’apporte rien (contrairement à ce que certains groupes polyamoureux ou certaines propositions politiques ont pu croire)..

C’est ainsi que, lorsque l’on change de type de relation, on continue à réagir de manière similaire encore pendant longtemps, vraiment longtemps. Parce que l’on continue à avoir des attentes et c’est logique d’en avoir. C’est impossible de vivre autrement, sans imaginer quoi que ce soit sur le lendemain. C’est logique et humain de chercher à savoir si ce que l’on a prévu pour les week-end va vraiment avoir lieu. C’est logique et humain de vouloir savoir si demain on va être dans la même maison, si on va répondre à nos messages, si on ne va pas découvrir soudainement qu’il y a plus de 15 personnes dans notre relation. C’est logique d’avoir besoin de savoir sur qui on peut compter si un jour tombe le diagnostic d’une maladie chronique, le jour où on souhaite avoir un enfant, le jour où il s’agit d’acheter une maison. Il faut s’attendre nos relations humaines soient les mêmes que celles de tout le monde, que celles qui forment  la culture dans laquelle on a grandi et dans laquelle on continue à vivre.

Ainsi est-ce très courant que les mythes soient toujours présents quand on établit un autre type de relation, quand il semble que l’on a « abandonné la monogamie ». Les mêmes « fantasmes » peuvent apparaître que ceux qui étaient présent dans une relation exclusive et monogame. Ce n’est pas parce que l’on n’a pas suffisamment « évolué » ou parce que l’on n’a pas fait suffisamment d’efforts. Tout ne dépend pas de nous-mêmes. C’est bien plus complexe, c’est un mélange entre notre culture, nos idées, nos émotions et nos intuitions dans les infinies variantes possibles des relations avec d’autres personnes, à différentes époques de nos vies. Il est ainsi tout à fait imaginable que ces mythes puissent se reproduire, tels quels, dans d’autres types de relations …

… Une erreur fréquente c’est imaginer que nos idées sur les relations (romantiques et/ou affectives et/ou sexuelles et/ou d’un autre genre) sont comme un meuble d’Ikea. Quelque chose de jetable et on en achète un autre. Qu’il est possible d’assister à un atelier ou a une conférence et « arrêter d’y croire ». Ces mythes sont traversés par de multiples croyances sur ce qui est masculin, ce qui est féminin, c’est qu’est l’attirance, les désirs, l’amitié, les projets, l’engagement, les droits et obligations, le sexe, le désir, le plaisir … C’est un ensemble d’idées. Un système. Mais pas un système acheté en kit chez Ikea, qu’il est possible de démonter et remonter. Comme l’explique Brigitte Vasallo dans son livre[4], ne démontons pas nos relations pour tomber dans l’individualisme, dans un « moi, ça ne m’atteint pas », « ce n’est pas mon problème » … Nous pouvons commettre l’erreur de « démonter le système », en croyant que c’est comme un oignon, couche après couche … et découvrir, trop tard, que le centre de l’oignon est vide. Que nous avons tout détruit en pensant qu’en son centre résidait la « vérité » du système. Un système qui est une somme d’idées et de concepts. L’idée c’est de voir ce que nous gardons et ce que nous laissons derrière nous, sans qu’il y ait de formules magiques. Là où on arrivera sera ce qui sera possible à ce moment-là. Cela dépendra, avant tout, de nos propres circonstances vitales, de nos expériences antérieures, de nos propres désirs, de ce que nous voulons (et non pas de ce qu’on nous dit de faire ou ne pas faire). C’est une tâche qui prend du temps, qui se fait progressivement, en l’adaptant à tout instant, à ce que l’on est capable d’assumer à ce moment-là. C’est pour cela que c’est une bonne chose que l’on écrive autant sur le thème[5], que des livres s’écrivent et soient traduits[6]. Pour continuer à réfléchir sur le sujet sans trouver La Solution Définitive car, évidemment, elle n’existe pas.

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[1] http://www.golfxsconprincipios.com/golfxsconprincipios/

[2] De fait, il y a bien des formes de non-monogamies oppressives [NdT]

[3] Et certains thérapeutes ou coachs …

[4] « Pensamiento monógamo, terror poliamoroso », ed. La Oveja Roja, Madrid, 2018, dont je vais traduire dès que possible des extraits [NdT]

[5] En Espagne ! [NdT]

[6] Pour le moment, je ne peux que traduire des articles, mais effectivement, il faudrait traduire des livres et aller bien au-delà de « La salope éthique » [NdT]

La violence de la communication non violente – Natàlia Wuwei Climent

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Illustration de Tània Manzanal Cerdà

Les bienfaits de la communication non violente sont incontestables et très souvent reconnus. Ce qui ne l’est pas, c’est son utilisation à des fins de manipulation et de maltraitance. 

Cet outil, très fréquemment utilisé dans les milieux et relations non monogames, n’est pas sans problème. Il est important de le savoir et d’être prudent.e.s si nous nous sentons décontenancé.e.s, angoissé.e.s ou déboussolé.e.s face à des personnes qui, sous couvert de CNV, peuvent actionner des mécanismes d’oppression et d’emprise.

Cela fait un grand moment que je m’interroge sur son utilisation à des fins peu louables et j’ai déjà échangé avec Natàlia à ce sujet. Il y a quelques semaines, elle a publié un article en catalan, dans le journal La Directa, où elle expose brièvement quels aspects lui paraissent les plus problématiques ainsi que sa propre expérience avec la CNV.

La violència de la comunicació no violenta

Traduction : Elisende Coladan

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La communication non violente est devenue un des outils couramment utilisés dans nos espaces. Il en existe des versions critiques et elle a des aspects utiles, notamment ceux qui sont en relation avec les notions d’empouvoirement, d’autonomie et ou de responsabilisation. Cependant, il est important de comprendre quelles sont les bases conceptuelles sur lesquelles la CNV s’est construite, pour en faire une utilisation plus consciente. Dans ce texte, je parlerai de la CNV définie par Rosenberg au début des années 60, qui est celle qui est le plus souvent mentionnée dans les ateliers et les débats. C’est celle qui est le plus couramment employée et qui s’est transformée en une sorte de dogme.

Je l’ai tellement vue utilisée pour manipuler, maltraiter et abuser que cela est devenu une sorte de signal d’alarme suffisamment importante pour m’amener à essayer de mieux comprendre quels en sont les aspects problématiques. Une grande partie de ce discours est basé sur une vision individualiste qui considère les personnes comme des êtres isolés et indépendants qui se trouvent affectés les uns par les autres de manière ponctuelle et volontaire, en laissant de côté ou en ignorant tous les aspects liés à l’interdépendance. La CNV peut être un très bon outil si nous sommes dans une relation horizontale, mais elle ne prend pas en compte les structures de pouvoir et les hiérarchies qui sont très souvent présentes dans les relations.

La responsabilité

La CNV appelle « violence » le fait de nier sa propre responsabilité dans des actes et des émotions. La proposition n’est pas sans intérêt. Le problème réside en comment se fait la distribution des responsabilités, car cela dépend de bien des facteurs, notamment du contexte (entourage social), tout comme de la manière dont cela se fait et est reçu. La CNV est basée sur un paradigme où les responsabilités de chaque personne sont totalement séparées, et où la relation et son contexte sont effacés : nous sommes complètement responsables de ce que nous faisons et ressentons, et l’autre est totalement responsable de ce qu’il fait et ressent, et ce que nous ressentons à cause de ce que l’autre fait est de notre responsabilité. Selon la CNV, signaler quelque chose vers l’extérieur est toujours un acte violent.

Un des exemples qu’utilise la CNV pour illustrer ce que je viens d’exposer est la critique faite à l’expression « je devrais » ou « je dois ». Cette expression utilise le verbe « devoir » pour exprimer l’obligation : nous faisons quelque chose parce que nous nous en sentons obligés, non pas parce que nous en faisons le choix. Selon la CNV, utiliser cette expression nous enlève la responsabilité et la conscience de notre responsabilité. La proposition est donc de changer ce que nous « devons » par ce que nous « choisissons ». Cette vision devrait nous aider à prendre conscience de ce que nous faisons et du pouvoir que nous avons sur nos ressentis et de comment nous nous sentons entouré.e.s. Ce qui, comme toute pensée libérale, se base uniquement sur la liberté de choix et efface les situations sociales inégales. Avoir moins d’options ou choisir la coercition, ce n’est pas choisir librement.

Par ailleurs, des personnes utilisent souvent la CNV pour ne pas avoir à assumer la responsabilité d’agressions ou d’actions qui touchent leurs relations car, si nous sommes totalement responsables de ce que nous ressentons, la manière dont l’autre se sent par rapport à nos actions n’est pas de notre responsabilité.

L’objectivité

Selon la CNV, pour communiquer de façon non violente, il est nécessaire de partir d’observations objectives, et non pas d’appréciations subjectives : par exemple, dire à une personne qu’elle est en train de nous ignorer est une appréciation subjective, mais dire « non » est une réponse à une observation objective. Agir ainsi permet de ne pas accepter ce que nous méconnaissons ni d’attribuer à l’autre des intentions, des souhaits ou des émotions.

Cependant, par défaut, ce qui est souvent décrit comme des observations objectives s’apparente à une définition concrète du monde qui nous entoure, liée aux privilèges (l’objectivité souvent correspond au regard de l’homme blanc, cis, hétérosexuel, de classe moyenne-haute, neurotypique, mince, sans handicap, etc. C’est-à-dire à ceux qui ont le pouvoir de décider ce qui est objectif et ce qui ne l’est pas). Donc, ce type d’observations bénéficie habituellement à qui a le plus de privilèges. Selon l’exemple donné, supposer que l’autre personne ne nous a pas répondu peut être une perception subjective qui correspond à l’idée de comment doit être faite une réponse à partir de la seule forme de communication valable : peut-être que cette personne a répondu selon ses capacités de communication, mais qu’elle n’a pas été comprise, car la compréhension passe par des filtres normatifs culturels et neurotypiques. C’est en cela que le contexte est important.

Ce raisonnement invisibilise également notre capacité d’expression lorsque nous nous sentons manipulé.e.s ou quand il y a maltraitance, puisque ce type d’appréciation est généralement considérée comme subjective.

L’empathie

Finalement, l’élément phare de la CNV, c’est l’empathie. La CNV décrit le processus empathique comme une interprétation de ce dont l’autre a besoin sans qu’il ne le demande. Ce qu’affirme la CNV, c’est que lorsqu’une personne se plaint, il n’est pas possible d’être responsable de ce qu’elle ressent et que, par conséquent, cela doit provenir de quelque chose qu’elle ne peut pas satisfaire par elle-même. C’est donc important de le lui faire savoir (ce qui présuppose un besoin non satisfait). De mon point de vue, c’est plutôt violent de dire à quelqu’un.e ce dont elle a besoin et comment elle se sent par rapport à ce besoin, car c’est en faire une lecture, sans qu’elle ne puisse s’exprimer et sans même qu’elle ne l’ait demandé. De plus, c’est dévier l’attention de sa demande première, en faisant un passage subtil du fait signalé à la personne qui le signale.

J’ai vu tellement de manipulations au moyen de ce type d’empathie, comme dans cet exemple : si tu essaies de signaler une agression, tu vas être immédiatement interrogée sur tes émotions et sur tes propres carences affectives, comme si les émotions exprimées ne pouvaient pas venir de l’agression elle-même. Cela est possible puisque la personne qui agresse n’est pas responsable de tes émotions. C’est ce fait qui m’a provoqué le plus d’anxiété quand je me suis trouvée face à une personne qui utilisait la communication non violente.

Polyamour et réseaux affectifs : réforme ou révolution ? – Brigitte Vasallo

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illustration : Carlos Mol

Je suis en pleine lecture du dernier livre de Brigitte Vasallo, Pensamiento monogamo / Terror poliamoroso [1]. J’y retrouve toutes les idées qu’elle a développées au cours de ces dernières années, lors de conférences, d’ateliers ou dans des articles. Je crois qu’il y a très peu de pages où je n’ai pas souligné une phrase, tellement pratiquement tout me parle. J’y reviendrai très certainement dans un article sur ce blog.

Dans le chapitre « Les outils du maître ne détruiront jamais la maison du maître » [2], elle cite cet article que je traduis aujourd’hui et qu’elle avait publié originellement dans la revue féministe Pikara Magazine. Elle y présente l’idée, centrale dans son livre, que la monogamie est un système auquel nous participons toutes et que le polyamour ou l’anarchie relationnelle ne font que le reproduire, tout en s’y opposant. Elle propose d’imaginer et de construire des réseaux affectifs plutôt que de continuer, autrement, le système monogame. 

Polyamor y redes afectivas: ¿reforma o revolución?

Traduction : Elisende Coladan

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« Polyamour » est un mot parapluie qui recouvre bien des manières différentes de vivre des relations non monogames consensuelles et non possessives. Manières qui sont en construction, en cours de conceptualisation et en processus de mise en commun, avec toutes sortes de nuances. Parce que tout ça n’est qu’à ses débuts et relativement nouveau, nous n’envisageons pas le polyamour, les réseaux affectifs, l’anarchie relationnelle comme un système qui remplace la monogamie, mais comme une série de pensées et de vécus qui ouvrent un espace pour des constructions personnelles et dissidentes. Nous ne cherchons pas des modèles, mais nous partageons des références et des propositions. Nos désaccords entre nos formes de penser et de vivre nous alimentent et nous aident à créer des relations DIY (« Do It Yourself ») à partir d’outils comme la communication, l’empathie et le défi d’être à l’encontre des formes établies par une morale et des coutumes que nous ne sentons pas nôtres.

Cependant, au fur et à mesure que nous grandissons en tant que collectif, nous donnant et prenant du sens, apparaît une question de fond qui touche directement la portée de la déconstruction que nos structures affectives proposent : jusqu’où va notre pensée critique amoureuse ? Jusqu’où va le pouvoir transformateur de ce que nous proposons, ce que nous insistons à appeler « politique » ?

Malheureusement, le polyamour s’inscrit sur un terrain, à la fois littéral et métaphorique. Un terrain marqué par des centres et des périphéries, par des privilèges et des subalternités.

Le contexte dans lequel nous essayons de penser et de vivre, bien à regret, c’est l’hétéropatriarcat capitaliste. Ces mots essaient de définir un monde de relations inégalitaires, où on nous indique, d’emblée, un grand nombre d’impossibilités. Comme, par exemple, une classe sociale qui ne change pas proportionnellement à l’effort investi, une nationalité qui détermine notre mobilité et notre espérance de vie, un entourage culturel qui nous imbibera de structures invisibles et un genre qui sera décisif, et décidera, malgré ce que tu peux croire, de tes goûts et de tes couleurs.

Que nous sommes un amalgame de privilèges et d’oppressions est quelque chose de tellement évident que cela fait presque honte de l’écrire. Mais, aussi évident soit-il, il faut le répéter jusqu’à en avoir la nausée, même si ne pas passer sous silence cette évidence implique, pour toujours, la fin de notre vie sociale. Nous sommes tous et toutes un mélange d’oppressions et de privilèges, et nous avons une sensibilité à fleur de peau, en ce qui concerne notre petit récif d’oppressions, mais nous sommes bien plus désinvoltes en ce qui concerne les oppressions des autres, avec l’excuse que, si cela ne nous concerne pas directement, c’est comme si ça n’existait pas. C’est ainsi que, dans la mouvance polyamoureuse, il est clair que la monogamie, c’est le diable, mais imaginer la monogamie comme un champignon venimeux isolé, c’est tricher. C’est vouloir ouvrir une brèche dans le petit bout de monogamie qui nous opprime, en laissant intactes les parties qui oppriment les autres, dans lesquelles nous avons, très probablement, notre part de privilège.

L’exemple classique est celui de l’homme blanc, cis, hétéro, de classe moyenne qui, précisément, parce qu’il a été touché par on ne sait quelle loterie du privilège, a de très sérieux problèmes pour pouvoir comprendre la relation existante entre système monogame et violence de genre, convaincu qu’il est que le machisme, ce n’est pas si grave que ça, et qu’il n’est pas nécessaire de l’éliminer afin de construire des relations amoureuses plus saines. Mais ce n’est pas le seul exemple, mes compagnes : les blanches, hétéros, cis de classe moyennes, nous sommes peu enclines à recevoir des critiques lorsque nous marchons sur des zones sensibles (et nous y allons, nous aussi, de notre « mais ça n’est pas si grave que ça »), ou nous nous consacrons à faire des conférences ou à écrire des articles (comme cette « dénommée » Vasallo), comme si des femmes n’avaient pas besoin de la monogamie pour pouvoir élever leurs enfants, pour ne donner que cet exemple fort évident.

Si nous voulons être politiques, nous avons à remonter nos manches et aller au charbon, jusqu’à trouver les multiples racines du système. Nous devons oser bouger des aspects qui nous touchent directement, reconnaître nos erreurs, écouter des points de vue et des besoins que nous n’avions même pas imaginés. Ne pas nous sentir offensées quand le problème nous est montré du doigt : comme disait Italo Calvino, l’enfer c’est nous et les autres. Ce n’est pas que les autres.

Dans le cas contraire, le polyamour ne sera qu’un effet de mode qui affirme que la monogamie n’est pas un système, mais une possibilité comme une autre, qu’il n’est pas possible de rationaliser l’amour sans lui en enlever toute la magie et que le Père Noël existe vraiment. Ce sera ainsi une réforme de la monogamie comme une rénovation de salle de bain, où on installe juste un nouveau carrelage. Et ce sera, surtout, une occasion de perdue de faire une révolution des affects qui pourra constituer un changement significatif, réel, profond et durable, en ce qui concerne notre manière d’aimer, de baiser et de vivre les relations.

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[1] La oveja negra éditeur, novembre 2018

[2] Phrase prononcée par Audre Lorde, lors d’une conférence organisée à New York en 1979 autour du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir.

Les maltraitances se cachent sous l’Amour Romantique . Brigitte Vasallo

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Erika Kuhn (https://obraerikakuhn.blogspot.com/) – Dessin fait à partir d’une photographie de Ashley Lebedev http://pcdn.500px.net/2128392/0113ba219b95343578b9aa135319bc35632eae5d/4.jpg

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Interview réalisée par Cristina Garde et publiée en catalan, le samedi 15 avril 2017, dans le journal Social.cat

social.cat/entrevista/6640/els-maltractaments-samaguen-sota-formes-damor-romantic?utm_source=dlvr.it&utm_medium=facebook

Traduction: Elisende Coladan

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« Patriarcat, racisme et capitalisme sont les trois axes de la domination ».

Brigitte Vasallo paraphrase le sociologue portugais Boaventura de Sousa Santos et s’approprie la citation. Elle se définit comme une écrivaine titubante, activiste LGTBI et féministe plus préoccupée par le racisme que par le genre. Elle considère que les femmes ont assumé un rôle qui les fait se sentir coupables et qui les transforme toujours en « celles qui prennent soin » des autres, avec leurs qualités, mais également leurs craintes et elle dénonce que les violences machistes ne sont que la pointe de l’iceberg d’un système qui légitime les inégalités.

« Les femmes, nous subissons toute sorte de violences en même temps et nous les vivons de manière bien plus forte que les hommes ».

  • Comment se construisent ces inégalités ? Qu’est-ce qu’une inégalité ?

J’utilise souvent, comme référence, une phrase de Michel Foucault. Il définit l’inégalité comme les conditions de l’acceptabilité du meurtre, c’est-à-dire, le moment où l’assassinat d’un collectif devient acceptable. Et « acceptable » veut dire que cela n’engendre aucun scandale, que ce n’est pas un problème. Il y a beaucoup d’inégalités quotidiennes sur le terrain du genre, comme sur bien d’autres. Mais sur celui du genre, cette acceptabilité est vraiment évidente. Il suffit de penser aux féminicides.

  • « Féminicide » est un terme dont la loi ne tient pas compte. De fait, l’administration n’a, à ce jour, que le registre des femmes assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint. Comment faire alors pour y ajouter celles qui le sont par la violence machiste ?

Ce système d’inégalités est une violence en soi, mais, effectivement, lorsque nous parlons de violences machistes, s’élève toujours le débat sur le fait de savoir où en est la limite. Si bien que cela nous préoccupe que le genre soit entendu comme concernant uniquement le corps des femmes ; que quand il s’agit de violence machiste, les autres corps soient laissés de côté, comme celui des enfants, comme les corps homos. Quand il s’agit de violence, dans le contexte des féminicides, il n’est pas question des enfants ni de l’entourage. La violence machiste va bien plus loin que la personne qui la subit, que la personne assassinée. Un meurtre est, d’un extrême à l’autre, un drame social.

  • En Catalogne, les dénonciations de violences machistes dans le cadre conjugal ont tendance à stagner, tandis que le nombre de femmes assassinées ne diminue pas. Vous croyez vraiment que nous sommes en train d’inverser la tendance ?

Je ne sais pas si, en Catalogne, nous allons mieux ou moins bien. Ce que je sais, c’est qu’un seul assassinat, qu’une seule violence, c’est déjà trop. Vraiment, c’est possible qu’elles soient plus visibles maintenant, mais il y a encore beaucoup à faire pour qu’il ait une prise de conscience. Le travail actuel ne montre que la pointe de l’iceberg et absolument pas l’ensemble. Il n’y qu’à voir comment cela est abordé dans les écoles, quels sont les reportages diffusés par les médias, quelles promotions font encore les films de certains types de rôles. Tout cela fait qu’ensuite, l’assassinat d’une femme, une violence contre elle, sont possibles sans que personne n’en soit scandalisé.

« Quand nous parlons de violences machistes, nous parlons de violences structurelles, qui ont une raison systémique qui les alimente, qui les renforce, qui les justifie et les légitime. »

  • Nous avons arrêté d’utiliser le terme « violence de genre » qui réunissait, entre autres, toutes les attaques des hommes contre les femmes et des femmes contre les hommes, et nous acceptons, de fait, que la violence de genre est, majoritairement, une violence machiste.

Je ne suis pas très partante pour prendre en compte la violence d’un groupe minoritaire contre un groupe majoritaire. La violence que peut exercer une femme contre un homme ou une personne LGTBI contre une personne hétérosexuelle est une violence concrète, elle n’est pas réalisée sur tout un système qui la représente. Par contre, si nous parlons de violence machiste, nous parlons de violences structurelles. Quand nous disons « structurelles », nous faisons référence non seulement à la raison systémique qui les alimente, leur donne leur force, les justifie et légitime, mais également au fait que, également, il est très compliqué de s’en défendre. Se défendre de ce qui nous agresse est fort compliqué car il y a toute une série de mécanismes qui font que la violence est possible.

  • La législation espagnole ne semble pas comprendre, non plus, la violence contre les femmes comme une violence structurale.

Nous savons bien qui légifère et à quel point la législation est toujours à la traîne des demandes sociales. Mais, avant de parler de ce qu’il est possible ou pas de dénoncer, il faut s’interroger sur l’unique moyen qui nous est proposé pour porter plainte. Nous sommes en train de demander, par exemple, à des populations qui sont poursuivies par la police à travers des rafles ou des expulsions, de porter plainte devant les mêmes forces de police qui les menacent. C’est ridicule et à côté de la plaque. Tout est à changer de haut en bas. Cela est en train de se faire, mais peu à peu. Ce qui est dommage car l’urgence est là.

  • Urgent parce que toutes les femmes nous pouvons subir la maltraitance, nulle n’en est exempte…

Oui. La maltraitance peut nous atteindre toutes. Avoir lu ou faire de l’activisme ne nous libère pas de la possibilité de la vivre, parce qu’elle est extrêmement invisibilisée, parce que nous partons d’une construction de genre qui nous fait être obligatoirement coupables et celles qui prennent soin des autres, et c’est un piège des plus compliqués à démonter, car cela va au-delà de la situation de maltraitance, mais vient de la manière dont on nous apprend à être au monde. Après, il y a cette grande solitude, qui fait que c’est très difficile d’expliquer ce qui nous arrive. Être féministe et activiste ne rend pas plus facile le fait d’avoir à expliquer ce que nous subissons et souffrons en termes de violence.

  • Pourquoi est-ce si difficile de rendre visible la maltraitance ?

Il est difficile de la visibiliser parce qu’elle est soutenue par une propagande qui la normalise, depuis les chansons pop jusqu’au reggaeton, par exemple. La plupart de la maltraitance ne se voit pas, parce qu’elle est cachée derrière les différentes formes de l’amour romantique. Cela est ancré bien au-delà du rationnel qu’il est possible de démonter en lisant et en faisant des réunions pour en parler.

  • Et comment se soutient ce système de domination machiste ?

D’un côté, il y a une question d’habitus, comme disait Pierre Bourdieu, c’est-à-dire, l’habitude, la manière dont les choses se passent et qui permettent qu’elles puissent se reproduire parce qu’elles sont extrêmement intériorisées. Le public s’habitue à une série d’images, de propositions que les médias continuent à reproduire car elles sont réellement intériorisées. Cela génère un cercle vicieux qu’il est très difficile de casser. Ce serait comme le côté innocent, si on peut dire.

  • Et l’autre ?

L’autre côté, c’est que toutes ces violences apportent une série de bénéfices au capitalisme, aux pouvoirs établis. Cela apporte des bénéfices qu’il y ait une partie de la population, les femmes, qui est minorisée. Et là, nous parlons uniquement d’une perspective qui ne prend en compte que les femmes en tant que telles, si nous si on ajoute les éléments de race, de classe sociale, de santé mentale, d’âge… alors, la montagne est énorme ! Ceci est bien utile pour le système, parce que cela génère une forme de gouvernabilité, cette pensée positive à la mode qui me déchire, toute simple : si on hiérarchise la population et si certains exercent des violences contre les autres, par le fait qu’elles sont en-dessous, c’est résolu : on a l’armée.

  • C’est à ce moment-là que l’on parle d’un système patriarcal. Comment faut-il comprendre ce terme ?

Toutes les formes de domination sont souvent envisagées à partir de la notion de genres qui fonctionnent de la même manière. Et ce n’est pas le cas. Tout est domination masculine, mais tout n’est pas patriarcat. Gayle Rubin définit le patriarcat comme une forme méditerranéenne. Le patriarcat originel est Abraham, qui est le père du judaïsme, du christianisme et de l’Islam, la représentation du berger qui contrôle le troupeau et les femmes. Cela me paraît intéressant, parce que souvent nous voyons l’Islam comme quelque chose d’étrange et pourtant, l’origine en est la même. En ce qui concerne les sociétés latino-américaines, Gloria Anzaldúa, par exemple, montre la continuation des formes de domination présentes pendant la colonisation. Souvent, quand nous voyageons, il nous arrive de penser « Quelle société machiste ! », alors c’est juste que ça s’exprime de manière différente. Cela nous surprend parce ce que nous ne sommes pas habituées à ces formes-là, mais aux nôtres, que nous avons tellement assimilées que nous les voyons plus.

  • De manière générale, la domination masculine montre son pouvoir d’une manière bien concrète : en établissant des relations de hiérarchie, elle soumet à travers la violence.

La violence est clairement une question de pouvoir, c’est une question de chosification et de déshumanisation de l’autre, de la possibilité que cela se passe. La femme n’a pratiquement jamais ce pouvoir. J’ai écrit, il y a peu, un texte sur la culture du viol et les théoriciens comprennent uniquement le viol comme un pouvoir qui s’exerce contre les femmes. C’est quelque chose qui m’hérisse le poil, parce que les chiffres d’enfants violés par d’autres hommes est très élevé. Cette violence s’exerce également sur d’autres collectifs. Cela m’irrite également quand, dans des situations où les femmes ont le pouvoir, cette violence existe également. Je pense, par exemple, à des viols d’homme de la part de femmes soldats, dans la prison d’Abu Ghraib.

  • Et, quand nous avons compris que le pouvoir s’exerce par la violence, quand nous avons appris qu’une femme doit maintenir une posture qui la rend coupable, comment fait-on pour déconstruire les rôles ?

Il n’y a pas un processus de déconstruction suivi d’un de construction : ils sont simultanés. Je ne sais pas comment nous y arrivons, mais je sais que, les femmes, nous avons la capacité de le faire et que nous avons besoin de nous accompagner les unes les autres pour trouver les mécanismes et les stratégies pour y arriver. Il faut également avoir à l’esprit que toutes les stratégies de résistance sont légitimes Je pense au cas concret où la violence de genre est accompagnée de racisme. Quand nous parlons de violence contre les femmes, on pourrait penser que nous parlons uniquement de machisme, mais le racisme est une violence contre les femmes, le capitalisme est une violence contre les femmes. Les femmes, nous subissons toutes les formes de violence en même temps et de manière bien plus multiple que les hommes.

  • Donc, comme fait-on pour résister contre ce système de domination ?

Il y a des théories qui centrent leur analyse uniquement sur un point, les perspectives monofocales qui expriment que lorsqu’il n’y aura plus de genres, tout sera résolu ou quand il n’y aura plus de classes sociales, tout sera résolu, ou quand il n’y aura plus de racisme, tout sera résolu… Je pense, comme Patricia Hill Collins, que les violences comme formes de domination ne sont pas une matrice, mais un réseau. Donc, il changer de dynamique à partir de différents axes. Ce n’est pas évident, pour moi, de savoir comment construire autrement les relations, mais je suis assez convaincue que le changement passe par les dynamiques et non pas par le résultat immédiat, qui souvent n’est pas celui escompté. Je ne crois pas que seul la notion de genre contre le patriarcat puisse provoquer une quelconque chute.

  • Mais, si nous rompons avec la hiérarchie de genre, il sera possible de le faire avec toutes les autres.

On peut être en train de rompre une hiérarchie établie par le genre, en même temps que la hiérarchie de races peut paraître normale. La hiérarchie de classes peut paraitre terrible, mais la hiérarchie par orientations sexuelles peut sembler correcte. Nous sommes pleines de contradictions. J’aime beaucoup la pensée de Boaventura de Sousa Santos qui parle toujours du patriarcat, du capitalisme et du racisme comme des trois principaux axes de domination. Il affirme qu’ils vont effectivement ensemble et qu’ils se rétroalimentent. Que cela vaut la peine, à chaque fois, de regarder quel est l’axe émergeant. Et se fixer sur ce point ne veut pas dire qu’il faut aller vite et oublier toutes les autres luttes. Cela veut dire qu’à partir de nos luttes, nous avons à prendre en compte cet axe.

  • Je pense aux femmes réfugiées, aujourd’hui c’est le collectif le plus vulnérable, mais je ne sais pas si nous sommes en train de vraiment les prendre en compte comme il faut.

Est-ce que lorsque nous pensons à la lutte contre la violence machiste, nous pensons aux femmes réfugiées ? Non, nous imaginons que c’est un autre type de violence, mais ce sont également des femmes. Même si nous sommes des femmes, nous sommes des femmes blanches, en situation de pouvoir, et nous devons le prendre en compte. C’est toujours après qu’un collectif en ait fait la demande explicite que nous pouvons commencer à nous organiser/trouver des solutions. Je pense au débat sur le voile, à toutes les féministes noires. J’ai déjà écrit sur le fait qu’elles nous ont déjà demandé de ne pas mélanger les concepts, que ce n’est pas la même chose d’être une femme noire dans un contexte raciste qu’être femme dans un groupe hégémonique. Les féminismes, au pluriel, doivent bien plus prendre cela en compte, que ce qui a été fait jusqu’à présent.

  • De fait, maintenant, il y a des femmes issues du monde de la culture de masses et du showbiz, qui claironnent une sorte de féminisme dilué, qui convient au système de domination, bien plus qu’il ne représente une lutte.

C’est vrai que, souvent, on la sensation qu’on est en train de surfer sur un féminisme de surface et que, rarement, on arrive à un réel engagement, mais je pense que cela sert probablement à quelqu’un. Et si ce genre de message arrive là où n’arrive pas le mien ? J’ai le sentiment que chacune fait ce qu’elle peut et que l’ennemi est bien là, de l’autre côté. Par exemple, même si les quotas sont effrayants, je me rends compte qu’ils ont une fonction. À partir de mon expérience d’activiste contre l’islamophobie, quand je dis « si à cette conf, il n’y a pas de musulmanes, je n’y participe pas », les gens bougent et, ensuite, lors d’autres colloques, on pense à elles bien avant moi. C’est une question de résistance. Il semble que si on ne fait pas du forcing, rien ne change. Maintenant, cela dérange qu’il n’y ait pas de parité. Cela commence à changer.

Pensée monogame au-delà des couples « ou mémoires d’une C » (ou pourquoi je déteste vraiment la monogamie) – Wuwei (Natàlia)

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Ilustration de Wuwei (Natàlia)*(Traduction à la fin de l’article)

Cela fait quelques temps que je lis ce que Natàlia écrit sur les « C ». Notamment sur son mur Facebook. Mais je n’ai jamais assisté à une des présentations ou ateliers qu’elle organise sur le sujet.

Voici qu’enfin, elle publie un texte sur ce thème et je suis vraiment contente de pouvoir le traduire, afin de partager ses idées avec le lectorat francophone.

(J’ai rajouté « ou mémoires d’une C » au titre original, parce que c’est le sujet de départ de cet article et celui de la conférence présentée lors des 3é Jornades d’Amors Plurals, en janvier dernier, à Barcelone.)

Traduction : Elisende Coladan

 

Jo amo C a
Photo Monica Rabadan.

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Cet article est un résumé (très résumé) de la présentation « Mémoires d’une C », que j’ai proposée en novembre de l’année dernière et que j’ai répétée en janvier dernier, lors des 3e Jornades d’Amors Plurals (à Barcelone).

A et B ont une relation. B connaît C, A et B commencent à prendre des décisions au sujet de cette relation, mais ces décisions affectent également la relation entre B et C. Néanmoins, C n’en sera informée [1] à aucun moment. Lors des groupes de discussions, il s’agit souvent de donner son opinion sur A ou sur B, mais personne ne se demande comment se sent ou ce dont a besoin C. Finalement, une décision est prise et c’est fort probable que C ne sera informée que du verdict final. Au mieux, il lui sera possible d’exprimer son accord ou pas (sans plus de nuances). Lorsqu’il y a un « conflit » entre A et B à cause de l’existence de C, cette situation se présente fréquemment mais, il arrive également que C soit complètement effacée.

J’ai commencé à m’inquiéter pour les C (et pour toutes les autres lettres qui suivent), quand j’ai remarqué que, dans les groupes de discussion, il y avait des exemples de conflits entre A, B et C (lettres utilisées pour garder l’anonymat des personnes). C y était mentionnée, dès le début, comme « un problème », comme « un objet » et non pas comme « un sujet » : tout le monde y allait de son avis sur des aspects qui affectaient C, mais personne ne se posait la question de comment C se sentait ou de ce qu’elle pouvait souhaiter. On parlait de C mais pas avec C. À ce moment-là, je vivais moi-même une relation où je sentais que tout était défini par des éléments qui m’étaient extérieurs et que je n’avais pas de voix, ni de possibilité de comprendre, ni de droit à décider… et que mes émotions ou mes besoins étaient effacés ou méprisés.

La pensée monogame au-delà du couple

Les normes imposées par la pensée monogame, en ce qui concerne les relations romantiques et sexuelles, influencent tout type de relations. La manière dont nous devons être en lien se fait selon le statut relationnel (couple, amitié, etc) et chaque statut est placé à un niveau différent, formant des hiérarchies. Cette pensée génère une demande d’exclusivité pour le couple, et pas seulement d’ordre sexuel : cela touche quasiment tous les aspects de la vie. Il s’agit de la quantité de temps passé ensemble, des activités qui ne peuvent pas être partagées avec d’autres (comme les vacances ou l’éducation des enfants) ou, simplement, que cette relation soit reconnue en tant que telle. C’est cette reconnaissance qui nous aide à nous sentir appréciée et à valoriser chacune de nos relations et à « reconnaitre » notre existence dans la relation (sans cette reconnaissance, bien des aspects qu’elle nous apporte sont facilement effacés, et la possibilité d’engagement et de prendre soin ne sont pas reconnus). Cette reconnaissance n’existe que dans le cas des relations de couple.

Malgré toute la violence qu’il peut y avoir dans une relation de couple, elle bénéficie d’un privilège social. À travers des demandes d’exclusivité, spécialement celle de la reconnaissance, une hiérarchie s’installe entre les relations. Cela permet d’établir des « normes », imposées par cette relation, sur les « autres » relations. Lesdites relations finissent par être dominées par les couples, sans qu’elles aient leur mot à dire. J’en profite pour préciser que hiérarchie et importance ou priorité ne sont pas du même ordre : avoir différentes relations dans des ordres différents d’importance ou de priorité ne veut pas dire qu’il s’agit de hiérarchie. Il est tout à fait possible d’avoir des relations à différents degrés d’importance ou de priorité, ou bien dans lesquelles ce qui est partagé est totalement différent, sans que cela n’implique que ces personnes n’aient pas leur mot à dire sur ce qui les affecte.

Cette pensée monogame efface également des liens, des émotions et des violences. Cela a pour effet que, lorsque l’on parle de « relation », tout le monde comprend « relation de couple », que dès que l’on mentionne des « sentiments » par défaut, on pense à ceux d’ordre « romantique » ou bien encore, si nous parlons de « violences de genre », ou de « maltraitances », il est habituel de penser d’abord aux violences conjugales, effaçant ainsi tous les autres types de relations qui existent en dehors du couple. C’est ainsi qu’il est fréquent de prêter plus attention aux émotions qui viennent de la relation de couple qu’à celles de tout autre relation (niant ainsi toute possibilité d’accompagnement émotionnel ou même empêchant les personnes de s’exprimer à ce sujet).

Cette pensée peut se reproduire lorsque nous parlons de nos relations comme « sexo-affectives », ou sans les nommer clairement, car cela implique la possibilité de les hiérarchiser. En effet, plus une relation est « amoureuse/romantique » ou/et « sexuelle », plus elle a tendance à être placée en haut de l’échelle des hiérarchies. C’est également le cas lorsqu’il y a une relation « de couple » avec plus de deux personnes [2], ou dans les relations non monogames, quand il y a un « couple principal » et des relations secondaires. Par ailleurs, il est également possible de construire des relations hiérarchisées pour d’autres raisons que l’amour romantique ou le sexe.

Violence monogame

Cette violence s’exprime de différentes façons selon le type de relation : il y a celle qui se produit dans les relations de couples, mais il y en a d’autres qui se produisent sur les autres relations, et qui se basent, par exemple, sur le fait de les effacer du paysage. Par exemple, quand une relation n’est pas reconnue, que des expressions stéréotypées sont utilisées, comme « l’autre », « l’amante » (concepts qui indiquent une altérité), ou que l’on les considère comme « seulement » des relations amicales (en les plaçant, de fait, à un niveau inférieur). Violence qui fait qu’il y a comme intention que C ne soit « rien, ni personne » pour ne pas « fâcher » A ou B, qui est en couple et avec qui on est en relation, ou que C ne soit pas entendue lorsqu’elle exprime un certain inconfort dans la relation, ou que les soucis de A ou B soient toujours une priorité, quels qu’ils soient et quel que soit le contexte.

Les personnes qui peuvent se sentir les plus touchées par ce genre de violence sont celles qui sont traversées par d’autres structures (comme le machisme, l’hétérosexisme, le racisme, le classisme, la psychophobie, etc.) De plus, certaines personnes avec beaucoup de privilèges peuvent profiter de la situation et la retourner à leur profit, car s’il s’agit de relations peu impliquantes, ces personnes peuvent conserver tranquillement leurs privilèges, sans avoir à donner de leur temps, à prendre soin des autres ou à s’engager.

Rompre avec la pensé monogame 

Le consumérisme relationnel fait que nous nous retrouvons souvent dans une situation vulnérable. Le couple semble être le seul refuge possible dans une société patriarcale, capitaliste et agressive, spécialement pour les personnes traversées par la violence structurelle [3]. Souvent, ce fait est signalé, mais le manque de préoccupation et de soin en dehors du couple (ou de certain type de relations ou de hiérarchies) y est oublié. Il n’est pas considéré comme un des problèmes importants, laissant ainsi la porte ouverte à la reproduction du même modèle de couple, présenté comme la « solution » à tous les maux.

Rompre avec la monogamie ne devrait pas « seulement » vouloir dire : rompre avec une pensée qui ne nous autorise pas à avoir plus d’un « couple » ou à avoir des relations sexuelles avec d’autres. Cela ne devrait pas, non plus, « seulement » impliquer comment le faire, sans nous faire mal entre couples ou partenaires sexuelles. Selon moi, rompre avec la monogamie, c’est aller jusqu’à la racine du problème : c’est rompre avec cette hiérarchie constante, l’objectivation qui efface les liens, le prendre soin de l’autre et les engagements, tout comme les violences ou la maltraitance. À mon sens, rompre avec la monogamie veut dire apprendre à être plus conscientes des « autres » : de toutes les personnes avec qui nous sommes en lien, mais également celles qui le sont avec nos relations. Nous avons toutes le droit d’être reconnues, d’avoir de l’affection, des soins et pouvoir « être ».

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Traduction de l’illustration de l’article :

* Salut : je suis une C.

  • Je ne peux pas définir la relation
  • Je n’ai pas de voix
  • Je n’ai pas d’opinions, ni de souhaits, ni de besoins ou de volonté.
  • Ma relation n’est pas reconnue
  • Je ne peux pas participer aux processus de prise de décision sur les aspects qui me concernent
  • Je suis invisibilisée.

[1] Comme il est d’usage dans les milieux non monogames féministes en Espagne, l’autrice de cet article utilise le féminin de manière générique, c’est-à-dire qu’il s’adresse à tout le monde. NDT

[2] Trio ou trouple, par exemple. NDT

[3] « …ce concept est apparu dans les écrits scientifiques pour la première fois en 1969 dans la théorie de la paix élaborée par Johan Galtung. Cette théorie présente la violence comme l’écart entre une situation réelle et une situation potentielle, où les besoins de certains groupes ne sont pas comblés, alors que les ressources sont présentes de façon suffisante pour les satisfaire » in Analyser la violence structurelle faite aux femmes à partir d’une perspective féministe intersectionnelle de Catherine Flynn, Dominique Damant et Jeanne Bernard. NDT https://www.erudit.org/fr/revues/nps/2014-v26-n2–nps01770/1029260ar.pdf 

Polyamour néolibéral : ressers-moi une assiette de gambas. Brigitte Vasallo

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https://fr.dreamstime.com

Cette semaine, Brigitte Vasallo revient sur le polyamour qui n’est ni un produit miracle ni un produit de consommation.

Encore une fois, j’ai traduit quasiment tout de suite cet article, car c’est le genre de propos que l’on n’entend pas en France et qu’il faut vraiment diffuser largement. Le polyamour n’est pas la porte ouverte à tous les possibles, dans l’immédiateté. Ce sont des relations qui demandent à se construire dans la réflexion, dans le prendre soin, sinon les dégâts collatéraux sont énormes. 

https://www.cuerpomente.com/blogs/brigitte-vasallo/poliamor-neoliberal_1494

Traduction : Elisende Coladan

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Le polyamour est associé à la consommation et l’immédiateté, mais les relations polyamoureuses se construisent lentement. Sinon, nous parlons de monogamie.

Chères amies,

J’étais en train de réfléchir sur ce que j’allais vous raconter cette semaine lorsque j’ai reçu une notification m’indiquant que Olza m’a citée dans son blog [1] cette semaine et qu’elle se demande si en ces temps polyamoureux, le fait de construire une relation lentement a encore du sens.

Ay, mon amie Olza, viens ici, je vais te raconter : à mon avis, et je te le dis après 20 ans de relations polyamoureuses, le polyamour ne peut que se construire lentement, c’est l’unique manière pour que ce soit vraiment du polyamour et qu’il soit réellement soutenable et durable.

Ce dont tu parles, c’est autre chose, ce sont des monogamies consécutives, qui en tant que telles, s’entrecroisent pendant un temps, jusqu’à ce que l’une d’elles ne tienne plus le coup, soit parce qu’elle a décidé avec qui elle veut rester soit parce qu’elle ne supporte plus le triangle amoureux. Sans aucun doute, il y a des personnes qui appellent cela du polyamour, mais je pense qu’il faut y ajouter, en ce moment de l’histoire, un nom : c’est du polyamour néolibéral. Mais tout n’est pas néolibéral dans le polyamour.

Amours en buffet à volonté, que ça marche ou pas

J’ai un exemple qui me plait beaucoup : ce sont ces buffets à volonté où tu vois des quantités énormes de nourriture présentées sur des plats et, sur les tables, il y a des choses un peu grignotées et abandonnées sans état d’âme, pour être remplacées par d’autres et on réalise que personne ne va pouvoir manger toute cette nourriture mais que si quelqu’un s’y risque, cela va finir en une indigestion gigantesque. Pourtant la bouffe est là, disponible. Elle nous donne la sensation que nous ne pouvons pas faire autre chose que la consommer. Il y a même cette idée que cela est une liberté, ce qui est un non-sens, parce que si nous ne pouvons pas éviter de vouloir manger, où est la liberté ?

Bref, avec les amours et le polyamour, c’est la même chose : on démarre au quart de tour parce que tout à coup, tout semble possible : waouh ! Et alors, il faut tout consommer, tout, tout, tout. Parce que cela devient possible et qu’on ne sait pas quoi faire de cette possibilité.

Ce qui n’est jamais précisé, c’est qu’il est également possible de ne pas le faire. Et même, ce dont on est en train de prendre conscience, c’est que cette fièvre de consommation est monogame, elle n’est pas polyamoureuse.

Pourquoi ? Parce que la monogamie nous a appris que, quand nous sommes en couple, si quelqu’un.e nous plait, il faut être avec cette personne, parce que le désir doit se concrétiser en quelque chose et que l’amour qui n’est pas réciproque n’est pas une joie, mais un malheur. Et là, vous réalisez : penser qu’aimer quelqu’un.e puisse être un malheur c’est un malheur en soi !

En monogamie, le désir est le début de quelque chose, ce n’est jamais quelque chose en soi. Et j’ajoute ici que la culture du viol a un pied dans la place.

Donc, si avec le polyamour, nous ne revoyons pas avec précaution nos bases monogames, nous continuons dans le même schéma : quelqu’un nous plait, nous allons vers cette personne, que ça soit le bon moment ou pas, que ce soit une histoire qui tienne la route ou pas, etc. Et on y va : la majorité des histoires polyamoureuses finissent par être cela, des monogamies consécutives qui s’entrecroisent pendant un certain temps jusqu’à ce que quelqu’un se barre.

Et si le désir était quelque chose de beau en soi ? Et s’il n’était pas nécessaire de faire toute une histoire chaque fois que nous éprouvons du désir ? Et si cela pouvait être plus simple et que nous pouvions dire à quelqu’un.e « je te désire » et que l’autre personne pouvait nous répondre « oh, c’est beau » et rien de plus, sans que le désir soit une proposition, ni une attente, ni rien de plus que du désir ? Imaginez-vous un monde ainsi ? Eh bien, c’est le monde polyamoureux que certaines d’entre nous imaginent. Nous sommes peu nombreuses, mais nous existons.

Et oui, comme tu le dis si bien, moi aussi je suis fatiguée. Je suis fatiguée d’être un terrain d’expérimentation, de mettre mon corps au service de l’auto-apprentissage du polyamour et de finir toute cabossée dans le caniveau et brisée à tout bout de champ.

Alors je demande aussi de la lenteur. Je réclame de réfléchir, je réclame de prendre soin et je suis en train d’apprendre, t’imagines, à 44 ans, à poser des limites qui me font du bien.

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[1] Dans les lignes qui suivent Brigitte parle d’un article de la psychiatre Ibone Olza, sur un psychiatre espagnol, qui, 10 ans après avoir commis un féminicide, exerce aujourd’hui en libéral. Je ne les ai pas traduites, car elles se situent hors contexte francophone, mais il m’a paru important de signaler le fait.

Le polyamour, Le nouveau miracle au pouvoir dégraissant – Brigitte Vasallo

no funciona

Depuis l’an dernier, Brigitte Vasallo a une rubrique hebdomadaire dans un magazine espagnol de psychologie positive, Mente Sana.

Ces derniers temps, elle a écrit sur la dépression et sur le fait que, bien que polyamoureuse, elle est jalouse.

Il m’a paru intéressant de traduire son dernier article car, avec humour, elle mentionne un fait essentiel : le polyamour n’est pas un produit miracle, ce n’est pas la porte ouverte à tous les possibles, ce n’est pas juste la possibilité d’aimer ou d’avoir des relations sexuelles et affectives avec plusieurs personnes et de s’organiser grâce à un agenda électronique. C’est bien pour cela que ça ne fonctionne pas pour beaucoup, que ça génère des dégâts psychologiques ainsi que des maltraitances.

https://www.cuerpomente.com/blogs/brigitte-vasallo/poliamor-no-funciona_1490

Traduction : Elisende Coladan

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Chères amies,

J’allais commencer l’année en écrivant une série d’articles sur la dépression, mais mes cheffes m’ont dit que ça commençait à bien faire avec la tristesse et qu’il serait bon que j’écrive quelque chose de plus marrant maintenant.

Alors, je leur ai proposé d’écrire sur le polyamour.

Et elles m’ont dit oui.

Et cela m’a amusée que quelqu’une puisse penser que le polyamour soit un thème plus amusant que la dépression.

J’ai pensé en moi-même : seule une personne monogame peut avoir cette idée. Mais je n’ai rien dit et j’ai commencé à écrire.

Le polyamour, ça ne fonctionne pas ! (et ça ne devrait pas fonctionner)

Il y a quelques semaines, je vous ai dit que si je recevais un euro chaque fois que quelqu’un me disait « voyons, voyons, tu causes beaucoup de polyamour, mais à la fin, tu es jalouse comme tout le monde », je serais actuellement dans un paradis fiscal, en train de savourer un daiquiri et de vivre une vie de folie, mais en positif (car la vie de folie, en négatif, c’est mon truc avec la dépression, mais comme je ne peux pas vous en parler, etc…)

Je suis polyamoureuse et je suis jalouse.

Bon, allons droit au but : si à cet euro j’ajoutais un autre euro chaque fois que j’ai entendu dire que « le polyamour, ça ne fonctionne pas », je serais actuellement la Bill Gates du polyamour et je me consacrerais à la philanthropie. Je donnerais des millions d’euros pour cloner MaThérapeute© pour qu’elle puisse nous recevoir toutes et nous transformer en personnes avisées, très avisées.

Vous dites que le polyamour, ça ne marche pas. Ben oui, évidemment, que ça ne fonctionne pas. D’ailleurs, cette phrase est à la base du fait que ça ne fonctionne pas. Parce que cette manière de penser l’amour est en elle-même monogame, mais je vous parlerai de cela un autre jour.

Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur le fait que le polyamour, mes chéries, n’est pas une machine distributrice de sodas ou un ascenseur. Le polyamour n’est pas un truc auquel il est possible de faire « reset », ou de donner des petits coups, de ceux qui font que quelque chose remarche alors que c’était en panne.

Le polyamour ne fonctionne pas : il faut le faire fonctionner. Et c’est là que tout est foutu d’avance.

Le polyamour, le nouveau miracle au pouvoir dégraissant

Il y a eu un moment, dans nos vies, où nous avons cru que le polyamour c’était comme dire « abracadabra ». On claque des doigts et le voilà. Fini les mauvais trips, plus de jalousie, plus de peurs, parce que toi, ma compagne, tu as trouvé le po-ly-a-mour, le nouveau produit miracle au pouvoir dégraissant.

Donc, tu y vas à fond dans le miracle et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, tu as le cœur blessé ou tu blesses celui des autres et tu dis partout que « ça ne fonctionne pas ». Tu te mets même à écrire des articles : j’en ai lu quelques-unes qui déversent une quantité incroyable de rage monogame parce que ce truc ne fonctionne pas.

Vous imaginez quelqu’une en train d’écrire des articles sur « le féminisme ne fonctionne pas » parce que pour elle ça n’a pas marché ? Ben, c’est exactement ce que nous faisons avec le polyamour. Au lieu de nous mettre à réfléchir pour trouver ce que nous avons raté et comment fonctionne cette histoire de structures [1], nous disons que c’est la faute du polyamour, comme si c’était un monsieur assis quelque part ou comme si c’était un dieu, ce qui est très confortable pour rejeter la faute sur quelqu’un.

Le fait est que le polyamour n’est pas une formule magique, ce n’est pas quelque chose qui existe : c’est une proposition, un horizon, un imaginaire à construire. Dire que tu commences une relation polyamoureuse, c’est prendre l’engagement d’en créer les conditions qui feront que la multiplicité amoureuse sera possible sans que personne ne meure pendant l’essai.

J’aime comment le philosophe Emmanuel Levinas imaginait la liberté. Il disait plus ou moins que la liberté, c’est se créer les conditions d’être libre.

Il en va de même avec le polyamour : c’est créer les conditions pour être polyamoureuse. C’est générer un espace relationnel pour pouvoir l’être.

Le polyamour, tout comme la liberté, ce n’est pas une idée, mais une mise en pratique. Et si la mise en pratique polyamoureuse ne fonctionne pas, il faut changer de pratique, sans plus, et arrêter de rejeter la faute sur l’illusion de nos incapacités amoureuses.

Pour finir, je vous laisse cette idée en passant : le polyamour n’est pas obligatoire. Si réellement, ça ne fonctionne pas avec vous, keep calm et passez à autre chose, car nous souffrons déjà suffisamment comme ça sans avoir à nous compliquer la vie encore plus avec ça.

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[1] Je vous invite à lire, à ce sujet, l’article de Coral Herrera Gomez : Ce n’est pas toi, c’est la structure : déconstruction de la polyamorie féministe.

Les dangers du polyamour et les « féminimacs » – Paula Huma González

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Ilustration: Lumi Mae – https://reginanavarro.blogosfera.uol.com.br/2016/08/06/da-monogamia-ao-poliamor/?cmpid=copiaecola

Pikara Magazine est une revue digitale féministe espagnole. Cet article vient de  la section de publication libre de Pikara, dont l’objectif, comme son nom indique, est de promouvoir la participation des lectrices et des lecteurs. 

https://www.pikaramagazine.com/2017/03/los-peligros-del-poliamor-y-los-femichulos/  

Traduction elisende Coladan

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Il arrive, très souvent, qu’on retrouve énormément d’attitudes  machistes dans des espaces féministes mixtes, dans lesquels les femmes devraient se sentir plus à l’aise et tranquilles qu’ailleurs. Quand le polyamour, dans ce même espace féministe, rencontre le machisme, cela très mal finir. C’est en grande partie parce que nous ne voyons pas venir les féminimacs (nom donné, en Espagne, à un homme qui se dit féministe, mais derrière qui se cache un machiste) et qu’ils se permettent des comportements (dans un réseau affectif polyamoureux, régit par leurs privilèges) que nous qualifierions immédiatement de machistes dans une ambiance non féministe. Combien de fois ne nous sommes-nous pas trouvées embarquées [1] dans un réseau affectif polyamoureux dans lequel, comme par hasard, il y a un homme central autour duquel circulent des femmes ? Une relation polyamoureuse peut très bien se passer si tant est que chacun prenne soin des autres, qu’il y ait une bonne communication entre tout le monde et que la relation de pouvoir soit horizontale [2].

Au sujet de la communication, bien plus de facteurs entrent en jeu dans une relation polyamoureuse que dans une relation monogame. Parmi eux, deux éléments très importants : il n’existe pas de références culturelles pour les relations polyamoureuses, et ce type de relation peut faire naître un bien plus grand nombre d’insécurités qu’une relation à deux. Ici, je vais particulièrement m’arrêter sur ce premier point. En effet, souvent, nous partons de zéro dans la construction de ces réseaux affectifs. Nous avons juste quelques livres, des articles ou des expériences racontées par un certain nombre de personnes. De plus, comme il s’agit de relations hors normes, il y a une terrible méconnaissance de la façon dont il est possible de créer des relations saines dans la configuration polyamoureuse. La meilleure manière de résoudre ce souci est d’avoir une très bonne communication entre tout le monde et cela ne signifie pas, à mon sens, d’uniquement exprimer ses insécurités, sensations et impressions. Je pense qu’il est également très important de communiquer à l’autre quelles sont nos intentions pour la relation. C’est ainsi que je souhaite reprendre l’idée de Thomas A. Mappes sur le consentement volontaire et informé [3]. Il part de l’idée qu’un échange fluide d’informations est nécessaire pour ne pas utiliser une personne sexuellement. C’est ainsi que, dans les relations polyamoureuses, afin de ne pas tomber dans une utilisation sexuelle des autres personnes, il est nécessaire de communiquer ses intentions, qu’il s’agisse d’une relation sexuelle occasionnelle ou d’une relation sexo-affective prolongée.

Le thème du « prendre soin » [4] est intimement lié à celui de la communication, car communiquer c’est également prendre soin. Chaque personne est différente, et si nous en tenons compte au moment d’établir des relations polyamoureuses, nous aurons aussi à l’assimiler en prenant soin de ces relations. Les personnes avec qui nous établissons des liens sont différentes de nous et différentes entres elles, ce qui fait que chacune aura besoin que l’on prenne soin d’elle de manière différente. La communication est indispensable, afin de connaître leurs attentes dans la relation, de savoir de quelle manière elles souhaitent que l’on prenne soin d’elles, comment elles se sentent, comment sont leurs rythmes, ce qu’elles aiment ou pas, comment elles pensent s’investir dans la relation, etc. Il est également nécessaire d’expliquer ce dont on a soi-même besoin, nos impressions, ce que l’on peut apporter ou pas, ce que nous aimons ou pas. Je comprends aisément que cela ne soit pas facile, d’autant plus que l’on nous a toujours dit que les sentiments sont quelque chose d’intime et de privé qu’il faut garder pour soi. Même ainsi, c’est vraiment quelque chose qu’il est nécessaire de travailler afin de nous déconstruire et la meilleure manière d’y arriver, c’est avec un entourage sûr, avec des personnes qui nous transmettent précisément cela : un sentiment de sécurité.

Finalement, en ce qui concerne l’horizontalité, je voudrais apporter ma note personnelle avec une citation du livre L’insoutenable légèreté de l’être, dans lequel Tereza (une des protagonistes) raconte à Tomas (avec qui elle a une relation ouverte), qu’elle a fait de lui. Ce rêve pourrait décrire parfaitement ce qui m’est venu à l’esprit alors que je vivais une relation polyamoureuse très mal gérée, dans laquelle l’homme se trouvait au centre et décidait de la destinée de chacune des femmes. Et c’est dans ce genre de configuration que peut surgir la grande majorité des problèmes :

« C’était une grande piscine couverte. On était une vingtaine. Rien que des femmes. On était toutes complètement nues et on devait marcher au pas autour du bassin. Il y avait un grand panier suspendu sous le plafond, et dedans il y avait un type. Il portait un chapeau à larges bords qui dissimulait son visage, mais je savais que c’était toi. Tu nous donnais des ordres. Tu criais. Il fallait qu’on chante en défilant et qu’on fléchisse les genoux. Quand une femme ratait sa flexion, tu lui tirais dessus avec un revolver et elle tombait morte dans le bassin. À ce moment-là, toutes les autres éclataient de rire et elles se mettaient à chanter encore plus fort. Et toi, tu ne nous quittais pas des yeux, et si l’une d’entre nous faisait un mouvement de travers tu l’abattais. Le bassin était plein de cadavres qui flottaient au ras de l’eau. Et moi, je savais que je n’avais plus la force de faire ma prochaine flexion et que tu allais me tuer ! » [5]

Comme nous l’avons vu ci-dessus, la communication, le « prendre soin » et l’horizontalité sont les trois piliers du polyamour et ils doivent concomitants. Quand je parle d’horizontalité, je fais référence au fait que les différentes personnes faisant partie de la relation doivent être dans la même situation et il ne peut pas y avoir une asymétrie de soins ou d’informations. Peut-être que c’est l’aspect le plus compliqué, car il implique le besoin de se retrouver dans une situation équilibrée par rapport au reste des personnes inclues dans le réseau affectif polyamoureux, mais il est vraiment nécessaire.

Pour arriver à cette horizontalité, nous devons prendre en compte un certain nombre de choses. Pour commencer, le patriarcat. Cela nous échappe parfois : le polyamour doit absolument inclure une perspective de genre. Nous ne pouvons pas penser que, dans une relation polyamoureuse, les hommes et les femmes sont au même niveau. Les hommes hétérosexuels ont toute une série d’attitudes et de comportements machistes bien ancrés et, même s’ils faisaient un grand travail de déconstruction, il leur serait bien difficile de changer. C’est ainsi que, dans un réseau affectif polyamoureux, il est très facile que l’homme, avec ses privilèges, se retrouve au centre et choisisse avec qui il couche et avec qui non, pendant que les femmes adoptent une attitude soumise et passive. Que se passe-t-il, alors, aves les « féminimacs » ? Ça peut être plus compliqué à repérer parce qu’ils sont souvent très subtils, qu’en ce qui concerne le polyamour, ils vont faire le célèbre « mansplaining [6] », « en prenant les rênes de la relation » avec l’excuse que c’est eux qui savent et agissant ainsi de manière paternaliste et privilégiée.

L’autre problème, c’est que les femmes ont également, comme les hommes, intériorisé certains comportements machistes. On nous a enseigné, depuis toujours, des attitudes comme la soumission à l’homme, ou la culpabilité… Et ceci joue vraiment beaucoup en notre défaveur, car bien des problèmes dans ce type de relations viennent de la jalousie et, si ces problèmes ne sont pas bien gérés, il n’y a plus d’horizontalité.

Il faut faire attention avec les situations comme celle dont je viens de parler, où l’homme est au centre d’un axe central autour duquel gravite le reste des femmes. Car il peut manipuler les femmes de manière consciente ou inconsciente, et c’est ainsi que la femme finira par se sentir coupable d’être jalouse des autres femmes, quand en réalité cette jalousie est probablement le fruit d’un manque de communication et d’une accumulation d’insécurités provoquées par l’homme lui-même.

Un autre aspect à prendre en compte, c’est celui des liens émotionnels et c’est bien la part qui m’est la plus douloureuse. Nous devons être très prudentes et ne pas nous relâcher quand nous souhaitons avoir des relations sexo-affectives avec un homme. Nous ne devons, à aucun moment, enlever nos « lunettes violettes », celles que nous mettons lorsque nous apprenons ce qu’est le féminisme, parce que lorsque nous sommes en relation avec quel que soit l’homme, il va reproduire des comportements machistes, même implicites. Le fait d’avoir un lien émotionnel, dans le cas d’une relation sexo-affective, peut faire que nous nous voilons la face et que nous n’arriverons pas à voir ces attitudes machistes.

Pour finir, il n’y pas de formule pour éviter qu’un réseau affectif polyamoureux ne se transforme en quelque chose de nocif et toxique mais, tout au moins, nous pouvons savoir d’où viennent les dangers que nous pouvons rencontrer, afin d’essayer de les éviter. De plus, il est indispensable de ne pas oublier la position de privilège qu’ont les hommes hétérosexuels, pour envisager d’élaborer, comme je l’ai dit auparavant, une bonne pratique du polyamour avec une perspective féministe.

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[1] Comme il est d’usage dans les milieux non monogames féministes en Espagne, l’autrice de cet article utilise le féminin de manière générique, c’est-à-dire qu’il s’adresse à tout le monde.

[2] Non hiérarchique (NTD)

[3] Thomas A. Mappes et J.S. Zembaty (eds.), Social Ethics. Morality and Social policy, N.Y., McGraw-Hill, 1987.

[4] Pour la notion de « prendre soin », ou « cuidados » en espagnol, ou « care » en anglais, voir le paragraphe « Prendre soin et le sens de cette expression » dans l’article de Natàlia Wuwei : « Après avoir rompu avec la monogamie » https://nonmonogamie.wordpress.com/2017/02/21/apres-avoir-rompu-avec-la-monogamie-natalia-wuwei/

[5] Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être, Gallimard, 1984.

[6] Le « mansplaining » désigne la situation où un homme (en anglais « man ») se croit en devoir d’expliquer (en anglais « explain ») à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, généralement de façon paternaliste ou condescendante. Wikipedia