Depuis l’an dernier, Brigitte Vasallo a une rubrique hebdomadaire dans un magazine espagnol de psychologie positive, Mente Sana.
Ces derniers temps, elle a écrit sur la dépression et sur le fait que, bien que polyamoureuse, elle est jalouse.
Il m’a paru intéressant de traduire son dernier article car, avec humour, elle mentionne un fait essentiel : le polyamour n’est pas un produit miracle, ce n’est pas la porte ouverte à tous les possibles, ce n’est pas juste la possibilité d’aimer ou d’avoir des relations sexuelles et affectives avec plusieurs personnes et de s’organiser grâce à un agenda électronique. C’est bien pour cela que ça ne fonctionne pas pour beaucoup, que ça génère des dégâts psychologiques ainsi que des maltraitances.
https://www.cuerpomente.com/blogs/brigitte-vasallo/poliamor-no-funciona_1490
Traduction : Elisende Coladan
____________________________________________________________________________________________
Chères amies,
J’allais commencer l’année en écrivant une série d’articles sur la dépression, mais mes cheffes m’ont dit que ça commençait à bien faire avec la tristesse et qu’il serait bon que j’écrive quelque chose de plus marrant maintenant.
Alors, je leur ai proposé d’écrire sur le polyamour.
Et elles m’ont dit oui.
Et cela m’a amusée que quelqu’une puisse penser que le polyamour soit un thème plus amusant que la dépression.
J’ai pensé en moi-même : seule une personne monogame peut avoir cette idée. Mais je n’ai rien dit et j’ai commencé à écrire.
Le polyamour, ça ne fonctionne pas ! (et ça ne devrait pas fonctionner)
Il y a quelques semaines, je vous ai dit que si je recevais un euro chaque fois que quelqu’un me disait « voyons, voyons, tu causes beaucoup de polyamour, mais à la fin, tu es jalouse comme tout le monde », je serais actuellement dans un paradis fiscal, en train de savourer un daiquiri et de vivre une vie de folie, mais en positif (car la vie de folie, en négatif, c’est mon truc avec la dépression, mais comme je ne peux pas vous en parler, etc…)
Je suis polyamoureuse et je suis jalouse.
Bon, allons droit au but : si à cet euro j’ajoutais un autre euro chaque fois que j’ai entendu dire que « le polyamour, ça ne fonctionne pas », je serais actuellement la Bill Gates du polyamour et je me consacrerais à la philanthropie. Je donnerais des millions d’euros pour cloner MaThérapeute© pour qu’elle puisse nous recevoir toutes et nous transformer en personnes avisées, très avisées.
Vous dites que le polyamour, ça ne marche pas. Ben oui, évidemment, que ça ne fonctionne pas. D’ailleurs, cette phrase est à la base du fait que ça ne fonctionne pas. Parce que cette manière de penser l’amour est en elle-même monogame, mais je vous parlerai de cela un autre jour.
Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur le fait que le polyamour, mes chéries, n’est pas une machine distributrice de sodas ou un ascenseur. Le polyamour n’est pas un truc auquel il est possible de faire « reset », ou de donner des petits coups, de ceux qui font que quelque chose remarche alors que c’était en panne.
Le polyamour ne fonctionne pas : il faut le faire fonctionner. Et c’est là que tout est foutu d’avance.
Le polyamour, le nouveau miracle au pouvoir dégraissant
Il y a eu un moment, dans nos vies, où nous avons cru que le polyamour c’était comme dire « abracadabra ». On claque des doigts et le voilà. Fini les mauvais trips, plus de jalousie, plus de peurs, parce que toi, ma compagne, tu as trouvé le po-ly-a-mour, le nouveau produit miracle au pouvoir dégraissant.
Donc, tu y vas à fond dans le miracle et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, tu as le cœur blessé ou tu blesses celui des autres et tu dis partout que « ça ne fonctionne pas ». Tu te mets même à écrire des articles : j’en ai lu quelques-unes qui déversent une quantité incroyable de rage monogame parce que ce truc ne fonctionne pas.
Vous imaginez quelqu’une en train d’écrire des articles sur « le féminisme ne fonctionne pas » parce que pour elle ça n’a pas marché ? Ben, c’est exactement ce que nous faisons avec le polyamour. Au lieu de nous mettre à réfléchir pour trouver ce que nous avons raté et comment fonctionne cette histoire de structures [1], nous disons que c’est la faute du polyamour, comme si c’était un monsieur assis quelque part ou comme si c’était un dieu, ce qui est très confortable pour rejeter la faute sur quelqu’un.
Le fait est que le polyamour n’est pas une formule magique, ce n’est pas quelque chose qui existe : c’est une proposition, un horizon, un imaginaire à construire. Dire que tu commences une relation polyamoureuse, c’est prendre l’engagement d’en créer les conditions qui feront que la multiplicité amoureuse sera possible sans que personne ne meure pendant l’essai.
J’aime comment le philosophe Emmanuel Levinas imaginait la liberté. Il disait plus ou moins que la liberté, c’est se créer les conditions d’être libre.
Il en va de même avec le polyamour : c’est créer les conditions pour être polyamoureuse. C’est générer un espace relationnel pour pouvoir l’être.
Le polyamour, tout comme la liberté, ce n’est pas une idée, mais une mise en pratique. Et si la mise en pratique polyamoureuse ne fonctionne pas, il faut changer de pratique, sans plus, et arrêter de rejeter la faute sur l’illusion de nos incapacités amoureuses.
Pour finir, je vous laisse cette idée en passant : le polyamour n’est pas obligatoire. Si réellement, ça ne fonctionne pas avec vous, keep calm et passez à autre chose, car nous souffrons déjà suffisamment comme ça sans avoir à nous compliquer la vie encore plus avec ça.
____________________________________________________________________________________________
[1] Je vous invite à lire, à ce sujet, l’article de Coral Herrera Gomez : Ce n’est pas toi, c’est la structure : déconstruction de la polyamorie féministe.
Je suis mitigé sur ce mot « fonctionner » dans le domaine des relations.
D’un côté il y a une réalité (des enjeux pratiques, logistiques… qui font que ça « fonctionne » ou non).
D’un autre côté, les mono (et les non-mono) qui posent cette question ont une vision un peu « consommatrice » du truc, comme si c’était une machine à café ou un produit nettoyant en effet.
De plus ils ne se demandent jamais si « la monogamie fonctionne ».
J’aimeJ’aime
Il me semble clair que Brigitte Vasallo, que je sais fine et pertinente, a écrit ce billet humoristique pour se railler du verbe « fonctionner », utilisé dans le cadre des relations.
Et effectivement, qui se demande si la monogamie fonctionne ou pas, en dehors des personnes qui vivent des relations hors monogamie, en conscience ? Qui se questionne du reste, sur quels sont les enjeux de la monogamie, pourquoi est-elle prépondérante, etc ? Car, nombre de personnes se tournent vers le polyamour parce que cela a l’air « plus facile »: plus rien à cacher, possibilité de multiplier les relations, organisation qui tient compte de tout le monde, solution face à l’infidélité, etc …
Tout ce que je publie et écris ici, va notamment, dans le sens d’amener des réflexions au-delà du nombre, de tout se dire et de s’organiser. C’est-à-dire au-delà des enjeux pratiques ou logistiques.
J’aimeAimé par 1 personne
Oui je voulais dire que je suis d’accord avec elle (enfin je crois) : ça ne « fonctionne » pas… en tout cas pas dans le sens où on dirait « cette voiture fonctionne ».
Et il n’y a pas de raison que ce soit le cas.
J’aimeAimé par 1 personne