Les maltraitances se cachent sous l’Amour Romantique . Brigitte Vasallo

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Erika Kuhn (https://obraerikakuhn.blogspot.com/) – Dessin fait à partir d’une photographie de Ashley Lebedev http://pcdn.500px.net/2128392/0113ba219b95343578b9aa135319bc35632eae5d/4.jpg

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Interview réalisée par Cristina Garde et publiée en catalan, le samedi 15 avril 2017, dans le journal Social.cat

social.cat/entrevista/6640/els-maltractaments-samaguen-sota-formes-damor-romantic?utm_source=dlvr.it&utm_medium=facebook

Traduction: Elisende Coladan

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« Patriarcat, racisme et capitalisme sont les trois axes de la domination ».

Brigitte Vasallo paraphrase le sociologue portugais Boaventura de Sousa Santos et s’approprie la citation. Elle se définit comme une écrivaine titubante, activiste LGTBI et féministe plus préoccupée par le racisme que par le genre. Elle considère que les femmes ont assumé un rôle qui les fait se sentir coupables et qui les transforme toujours en « celles qui prennent soin » des autres, avec leurs qualités, mais également leurs craintes et elle dénonce que les violences machistes ne sont que la pointe de l’iceberg d’un système qui légitime les inégalités.

« Les femmes, nous subissons toute sorte de violences en même temps et nous les vivons de manière bien plus forte que les hommes ».

  • Comment se construisent ces inégalités ? Qu’est-ce qu’une inégalité ?

J’utilise souvent, comme référence, une phrase de Michel Foucault. Il définit l’inégalité comme les conditions de l’acceptabilité du meurtre, c’est-à-dire, le moment où l’assassinat d’un collectif devient acceptable. Et « acceptable » veut dire que cela n’engendre aucun scandale, que ce n’est pas un problème. Il y a beaucoup d’inégalités quotidiennes sur le terrain du genre, comme sur bien d’autres. Mais sur celui du genre, cette acceptabilité est vraiment évidente. Il suffit de penser aux féminicides.

  • « Féminicide » est un terme dont la loi ne tient pas compte. De fait, l’administration n’a, à ce jour, que le registre des femmes assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint. Comment faire alors pour y ajouter celles qui le sont par la violence machiste ?

Ce système d’inégalités est une violence en soi, mais, effectivement, lorsque nous parlons de violences machistes, s’élève toujours le débat sur le fait de savoir où en est la limite. Si bien que cela nous préoccupe que le genre soit entendu comme concernant uniquement le corps des femmes ; que quand il s’agit de violence machiste, les autres corps soient laissés de côté, comme celui des enfants, comme les corps homos. Quand il s’agit de violence, dans le contexte des féminicides, il n’est pas question des enfants ni de l’entourage. La violence machiste va bien plus loin que la personne qui la subit, que la personne assassinée. Un meurtre est, d’un extrême à l’autre, un drame social.

  • En Catalogne, les dénonciations de violences machistes dans le cadre conjugal ont tendance à stagner, tandis que le nombre de femmes assassinées ne diminue pas. Vous croyez vraiment que nous sommes en train d’inverser la tendance ?

Je ne sais pas si, en Catalogne, nous allons mieux ou moins bien. Ce que je sais, c’est qu’un seul assassinat, qu’une seule violence, c’est déjà trop. Vraiment, c’est possible qu’elles soient plus visibles maintenant, mais il y a encore beaucoup à faire pour qu’il ait une prise de conscience. Le travail actuel ne montre que la pointe de l’iceberg et absolument pas l’ensemble. Il n’y qu’à voir comment cela est abordé dans les écoles, quels sont les reportages diffusés par les médias, quelles promotions font encore les films de certains types de rôles. Tout cela fait qu’ensuite, l’assassinat d’une femme, une violence contre elle, sont possibles sans que personne n’en soit scandalisé.

« Quand nous parlons de violences machistes, nous parlons de violences structurelles, qui ont une raison systémique qui les alimente, qui les renforce, qui les justifie et les légitime. »

  • Nous avons arrêté d’utiliser le terme « violence de genre » qui réunissait, entre autres, toutes les attaques des hommes contre les femmes et des femmes contre les hommes, et nous acceptons, de fait, que la violence de genre est, majoritairement, une violence machiste.

Je ne suis pas très partante pour prendre en compte la violence d’un groupe minoritaire contre un groupe majoritaire. La violence que peut exercer une femme contre un homme ou une personne LGTBI contre une personne hétérosexuelle est une violence concrète, elle n’est pas réalisée sur tout un système qui la représente. Par contre, si nous parlons de violence machiste, nous parlons de violences structurelles. Quand nous disons « structurelles », nous faisons référence non seulement à la raison systémique qui les alimente, leur donne leur force, les justifie et légitime, mais également au fait que, également, il est très compliqué de s’en défendre. Se défendre de ce qui nous agresse est fort compliqué car il y a toute une série de mécanismes qui font que la violence est possible.

  • La législation espagnole ne semble pas comprendre, non plus, la violence contre les femmes comme une violence structurale.

Nous savons bien qui légifère et à quel point la législation est toujours à la traîne des demandes sociales. Mais, avant de parler de ce qu’il est possible ou pas de dénoncer, il faut s’interroger sur l’unique moyen qui nous est proposé pour porter plainte. Nous sommes en train de demander, par exemple, à des populations qui sont poursuivies par la police à travers des rafles ou des expulsions, de porter plainte devant les mêmes forces de police qui les menacent. C’est ridicule et à côté de la plaque. Tout est à changer de haut en bas. Cela est en train de se faire, mais peu à peu. Ce qui est dommage car l’urgence est là.

  • Urgent parce que toutes les femmes nous pouvons subir la maltraitance, nulle n’en est exempte…

Oui. La maltraitance peut nous atteindre toutes. Avoir lu ou faire de l’activisme ne nous libère pas de la possibilité de la vivre, parce qu’elle est extrêmement invisibilisée, parce que nous partons d’une construction de genre qui nous fait être obligatoirement coupables et celles qui prennent soin des autres, et c’est un piège des plus compliqués à démonter, car cela va au-delà de la situation de maltraitance, mais vient de la manière dont on nous apprend à être au monde. Après, il y a cette grande solitude, qui fait que c’est très difficile d’expliquer ce qui nous arrive. Être féministe et activiste ne rend pas plus facile le fait d’avoir à expliquer ce que nous subissons et souffrons en termes de violence.

  • Pourquoi est-ce si difficile de rendre visible la maltraitance ?

Il est difficile de la visibiliser parce qu’elle est soutenue par une propagande qui la normalise, depuis les chansons pop jusqu’au reggaeton, par exemple. La plupart de la maltraitance ne se voit pas, parce qu’elle est cachée derrière les différentes formes de l’amour romantique. Cela est ancré bien au-delà du rationnel qu’il est possible de démonter en lisant et en faisant des réunions pour en parler.

  • Et comment se soutient ce système de domination machiste ?

D’un côté, il y a une question d’habitus, comme disait Pierre Bourdieu, c’est-à-dire, l’habitude, la manière dont les choses se passent et qui permettent qu’elles puissent se reproduire parce qu’elles sont extrêmement intériorisées. Le public s’habitue à une série d’images, de propositions que les médias continuent à reproduire car elles sont réellement intériorisées. Cela génère un cercle vicieux qu’il est très difficile de casser. Ce serait comme le côté innocent, si on peut dire.

  • Et l’autre ?

L’autre côté, c’est que toutes ces violences apportent une série de bénéfices au capitalisme, aux pouvoirs établis. Cela apporte des bénéfices qu’il y ait une partie de la population, les femmes, qui est minorisée. Et là, nous parlons uniquement d’une perspective qui ne prend en compte que les femmes en tant que telles, si nous si on ajoute les éléments de race, de classe sociale, de santé mentale, d’âge… alors, la montagne est énorme ! Ceci est bien utile pour le système, parce que cela génère une forme de gouvernabilité, cette pensée positive à la mode qui me déchire, toute simple : si on hiérarchise la population et si certains exercent des violences contre les autres, par le fait qu’elles sont en-dessous, c’est résolu : on a l’armée.

  • C’est à ce moment-là que l’on parle d’un système patriarcal. Comment faut-il comprendre ce terme ?

Toutes les formes de domination sont souvent envisagées à partir de la notion de genres qui fonctionnent de la même manière. Et ce n’est pas le cas. Tout est domination masculine, mais tout n’est pas patriarcat. Gayle Rubin définit le patriarcat comme une forme méditerranéenne. Le patriarcat originel est Abraham, qui est le père du judaïsme, du christianisme et de l’Islam, la représentation du berger qui contrôle le troupeau et les femmes. Cela me paraît intéressant, parce que souvent nous voyons l’Islam comme quelque chose d’étrange et pourtant, l’origine en est la même. En ce qui concerne les sociétés latino-américaines, Gloria Anzaldúa, par exemple, montre la continuation des formes de domination présentes pendant la colonisation. Souvent, quand nous voyageons, il nous arrive de penser « Quelle société machiste ! », alors c’est juste que ça s’exprime de manière différente. Cela nous surprend parce ce que nous ne sommes pas habituées à ces formes-là, mais aux nôtres, que nous avons tellement assimilées que nous les voyons plus.

  • De manière générale, la domination masculine montre son pouvoir d’une manière bien concrète : en établissant des relations de hiérarchie, elle soumet à travers la violence.

La violence est clairement une question de pouvoir, c’est une question de chosification et de déshumanisation de l’autre, de la possibilité que cela se passe. La femme n’a pratiquement jamais ce pouvoir. J’ai écrit, il y a peu, un texte sur la culture du viol et les théoriciens comprennent uniquement le viol comme un pouvoir qui s’exerce contre les femmes. C’est quelque chose qui m’hérisse le poil, parce que les chiffres d’enfants violés par d’autres hommes est très élevé. Cette violence s’exerce également sur d’autres collectifs. Cela m’irrite également quand, dans des situations où les femmes ont le pouvoir, cette violence existe également. Je pense, par exemple, à des viols d’homme de la part de femmes soldats, dans la prison d’Abu Ghraib.

  • Et, quand nous avons compris que le pouvoir s’exerce par la violence, quand nous avons appris qu’une femme doit maintenir une posture qui la rend coupable, comment fait-on pour déconstruire les rôles ?

Il n’y a pas un processus de déconstruction suivi d’un de construction : ils sont simultanés. Je ne sais pas comment nous y arrivons, mais je sais que, les femmes, nous avons la capacité de le faire et que nous avons besoin de nous accompagner les unes les autres pour trouver les mécanismes et les stratégies pour y arriver. Il faut également avoir à l’esprit que toutes les stratégies de résistance sont légitimes Je pense au cas concret où la violence de genre est accompagnée de racisme. Quand nous parlons de violence contre les femmes, on pourrait penser que nous parlons uniquement de machisme, mais le racisme est une violence contre les femmes, le capitalisme est une violence contre les femmes. Les femmes, nous subissons toutes les formes de violence en même temps et de manière bien plus multiple que les hommes.

  • Donc, comme fait-on pour résister contre ce système de domination ?

Il y a des théories qui centrent leur analyse uniquement sur un point, les perspectives monofocales qui expriment que lorsqu’il n’y aura plus de genres, tout sera résolu ou quand il n’y aura plus de classes sociales, tout sera résolu, ou quand il n’y aura plus de racisme, tout sera résolu… Je pense, comme Patricia Hill Collins, que les violences comme formes de domination ne sont pas une matrice, mais un réseau. Donc, il changer de dynamique à partir de différents axes. Ce n’est pas évident, pour moi, de savoir comment construire autrement les relations, mais je suis assez convaincue que le changement passe par les dynamiques et non pas par le résultat immédiat, qui souvent n’est pas celui escompté. Je ne crois pas que seul la notion de genre contre le patriarcat puisse provoquer une quelconque chute.

  • Mais, si nous rompons avec la hiérarchie de genre, il sera possible de le faire avec toutes les autres.

On peut être en train de rompre une hiérarchie établie par le genre, en même temps que la hiérarchie de races peut paraître normale. La hiérarchie de classes peut paraitre terrible, mais la hiérarchie par orientations sexuelles peut sembler correcte. Nous sommes pleines de contradictions. J’aime beaucoup la pensée de Boaventura de Sousa Santos qui parle toujours du patriarcat, du capitalisme et du racisme comme des trois principaux axes de domination. Il affirme qu’ils vont effectivement ensemble et qu’ils se rétroalimentent. Que cela vaut la peine, à chaque fois, de regarder quel est l’axe émergeant. Et se fixer sur ce point ne veut pas dire qu’il faut aller vite et oublier toutes les autres luttes. Cela veut dire qu’à partir de nos luttes, nous avons à prendre en compte cet axe.

  • Je pense aux femmes réfugiées, aujourd’hui c’est le collectif le plus vulnérable, mais je ne sais pas si nous sommes en train de vraiment les prendre en compte comme il faut.

Est-ce que lorsque nous pensons à la lutte contre la violence machiste, nous pensons aux femmes réfugiées ? Non, nous imaginons que c’est un autre type de violence, mais ce sont également des femmes. Même si nous sommes des femmes, nous sommes des femmes blanches, en situation de pouvoir, et nous devons le prendre en compte. C’est toujours après qu’un collectif en ait fait la demande explicite que nous pouvons commencer à nous organiser/trouver des solutions. Je pense au débat sur le voile, à toutes les féministes noires. J’ai déjà écrit sur le fait qu’elles nous ont déjà demandé de ne pas mélanger les concepts, que ce n’est pas la même chose d’être une femme noire dans un contexte raciste qu’être femme dans un groupe hégémonique. Les féminismes, au pluriel, doivent bien plus prendre cela en compte, que ce qui a été fait jusqu’à présent.

  • De fait, maintenant, il y a des femmes issues du monde de la culture de masses et du showbiz, qui claironnent une sorte de féminisme dilué, qui convient au système de domination, bien plus qu’il ne représente une lutte.

C’est vrai que, souvent, on la sensation qu’on est en train de surfer sur un féminisme de surface et que, rarement, on arrive à un réel engagement, mais je pense que cela sert probablement à quelqu’un. Et si ce genre de message arrive là où n’arrive pas le mien ? J’ai le sentiment que chacune fait ce qu’elle peut et que l’ennemi est bien là, de l’autre côté. Par exemple, même si les quotas sont effrayants, je me rends compte qu’ils ont une fonction. À partir de mon expérience d’activiste contre l’islamophobie, quand je dis « si à cette conf, il n’y a pas de musulmanes, je n’y participe pas », les gens bougent et, ensuite, lors d’autres colloques, on pense à elles bien avant moi. C’est une question de résistance. Il semble que si on ne fait pas du forcing, rien ne change. Maintenant, cela dérange qu’il n’y ait pas de parité. Cela commence à changer.

Ruptures amoureuses, séparations affectueuses. Coral Herrera Gómez

coraçao quebrado

Article original : http://haikita.blogspot.fr/2014/10/rupturas-amorosas-separaciones-carinosas.html

Traduction : Elisende Coladan

Ici, je ne présente la traduction que de certains passages de l’article original. Je suis l’auteure de ce qui est entre parenthèses.

Je pense que cet article s’adresse aux personnes qui ont vécu, vivent et souhaitent vivre des relations où l’amour a été présent, ainsi qu’une écoute et un soutien réciproque. Mais dans lesquelles, pour quelque raison que ce soit, une séparation est nécessaire. Dans celles où il y a un déséquilibre, des blessures dues à un manque de « prendre soin », quand  une personne se sent utilisée par l’autre, une relation qui n’est pas saine, qui est toxique, il est préférable, lorsqu’une prise de conscience se fait, de se séparer, de quitter la relation, sans retour. Panser ses plaies, se reconstruire et aller de l’avant. 

Cet article permet aussi bien de réfléchir sur les séparations que sur notre manière de vivre nos relations. Il ne peut y avoir de séparation affectueuse s’il n’y a pas eu de relation affectueuse. 

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« Est-ce que c’est vrai qu’il n’y a qu’un pas de l’amour à la haine ?

Est-ce que c’est possible de se séparer avec la même tendresse qu’au début de la relation affective ?

Comment apprendre à bien dire au revoir aux êtres que l’on aime ?

Nous avons beaucoup de mal commencer vraiment une relation avec amour et pourtant nous vivons dans une société romantique : nous aimons les chansons d’amour, les « happy ends », les noces et les petits cœurs rouges… Néanmoins, nous ne savons pas (comment) nous aimer, ni (comment) nous séparer, parce que nous ne savons gérer nos émotions et nous n’avons pas les outils qui nous permettraient de mettre fin à une relation avec le même amour qu’elle a commencé.

Notre culture nous faire croire à l’Amour, Grand et Eternel. C’est pour cela que, quand il se termine, c’est un drame immense dont nous nous considérons victimes : nous n’utilisons pas (souvent) l’expression « nous nous sommes séparés », mais « il/elle m’a abandonné.e », ce qui a pour effet de réveiller la solidarité de nos proches (et, au cas où on ne le dirait pas, c’est bien ainsi que nous nous sentons : abandonné.e.s).

Nous avons du mal à accepter le fait que les amours se finissent, que quand cela va mal, il vaut mieux se séparer. On dit qu’il vaut mieux « être seul.e que mal accompagné.e ». Mais nous appliquons rarement ce principe parce que nous vivons dans un monde individualiste et une de nos plus grandes terreurs, c’est la peur de la solitude. La peur que personne ne nous aime. La peur de ne plus être important.e pour personne et que nos êtres chers continuent leur vie sans avoir besoin de nous avoir en elle.

Il y a beaucoup de peurs qui nous envahissent lorsqu’une relation prend fin, mais c’est parce que nous n’avons pas appris à nous séparer, et parce qu’on associe la séparation à un échec. Dans les films (ou les romans), nous avons rarement des exemples de personnes qui se séparent avec amour. Dans la vraie vie, c’est rare de voir des couples qui se séparent avec affection et tendresse.

Au lieu de nous sentir heureux d’avoir pu vivre une belle histoire d’amour, nous nous sentons blessé.e.s parce que l’histoire est finie. Cela peut sonner bizarre de dire : « Merci, Marguerite, pour les 3 ans de bonheur que nous avons vécus, j’espère que tu seras heureuse dans cette nouvelle étape de vie », ou « Pierre, j’ai vraiment eu 4 mois merveilleux avec toi, merci de m’avoir permis de profiter de ce petit moment de vie à tes côtés », mais sans aucun doute, nous irions mieux si nous arrivions à assumer que les histoires commencent et se terminent. Savoir aussi qu’il est préférable de se quitter tant que ce n’est pas encore trop douloureux, quand tout va bien et qu’il est possible de parler calmement.

« De belles ruptures rendraient les deuils romantiques bien plus court. Il serait ainsi plus facile de panser ses plaies et commencer une nouvelle étape de vie, soit seul.e.s, soit avec d’autres personnes. Mais, pour ce faire, il est nécessaire d’apprendre à se séparer, à rester en contact avec l’autre avec le même amour qu’au début de la relation, à échanger clairement et sincèrement, à communiquer avec transparence tout en essayant de ne pas faire mal. Nous pourrions vivre la rupture comme l’opportunité de vivre autrement notre relation, de la reformuler, de la transformer en amitié, par exemple.

Quand nous souffrons parce qu’un amour a pris fin, il est possible de nous connecter avec la part de nous la plus généreuse et ouverte. Dire adieu en laissant de côté les rancœurs, les peurs, les reproches et les égoïsmes : il s’agit d’être généreux.euse, d’apprendre à aimer non seulement notre propre liberté, mais également celle des personnes que nous aimons.

Si nous nous entraînons à apprendre à nous dire adieu avec amour, nous pouvons profiter plus du moment présent et moins nous préoccuper du futur, et ainsi laisser le passé sans trop de souffrances. Il serait plus facile d’assumer que personne ne nous appartiennent, que la vie n’est qu’un chemin sur lequel nous transitons, parfois seul.e.s, parfois accompagné.e.s par de belles personnes.

Et que ces belles personnes vont et viennent, comme nous-mêmes. Les camarades du lycée, de l’université, les collègues arrivent et s’en vont de nos vies, tout comme les grands-parents et les parents, et également les enfants. Les amours apparaissent, restent un temps et s’en vont… et nous-mêmes, nous arrivons dans la vie de certaines personnes et nous en partons. Parce que nous déménageons, parce que nous migrons, parce que nous évoluons ou parce que nous mourons. Personne n’est éternel, et les relations ne le sont pas non plus.

La liberté de pouvoir rester ou partir est la base d’une belle relation d’amour, dans laquelle il est possible de choisir d’autres chemins, de partager des moments de notre existence et de pouvoir dire adieu avec générosité et gratitude… Essayons de nous exercer dans l’art de souffrir moins et de profiter plus de l’amour.

Il y a d’autres manières de nous aimer, la vie ne dure qu’un instant et il faut savoir la savourer

Pensée monogame au-delà des couples « ou mémoires d’une C » (ou pourquoi je déteste vraiment la monogamie) – Wuwei (Natàlia)

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Ilustration de Wuwei (Natàlia)*(Traduction à la fin de l’article)

Cela fait quelques temps que je lis ce que Natàlia écrit sur les « C ». Notamment sur son mur Facebook. Mais je n’ai jamais assisté à une des présentations ou ateliers qu’elle organise sur le sujet.

Voici qu’enfin, elle publie un texte sur ce thème et je suis vraiment contente de pouvoir le traduire, afin de partager ses idées avec le lectorat francophone.

(J’ai rajouté « ou mémoires d’une C » au titre original, parce que c’est le sujet de départ de cet article et celui de la conférence présentée lors des 3é Jornades d’Amors Plurals, en janvier dernier, à Barcelone.)

Traduction : Elisende Coladan

 

Jo amo C a
Photo Monica Rabadan.

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Cet article est un résumé (très résumé) de la présentation « Mémoires d’une C », que j’ai proposée en novembre de l’année dernière et que j’ai répétée en janvier dernier, lors des 3e Jornades d’Amors Plurals (à Barcelone).

A et B ont une relation. B connaît C, A et B commencent à prendre des décisions au sujet de cette relation, mais ces décisions affectent également la relation entre B et C. Néanmoins, C n’en sera informée [1] à aucun moment. Lors des groupes de discussions, il s’agit souvent de donner son opinion sur A ou sur B, mais personne ne se demande comment se sent ou ce dont a besoin C. Finalement, une décision est prise et c’est fort probable que C ne sera informée que du verdict final. Au mieux, il lui sera possible d’exprimer son accord ou pas (sans plus de nuances). Lorsqu’il y a un « conflit » entre A et B à cause de l’existence de C, cette situation se présente fréquemment mais, il arrive également que C soit complètement effacée.

J’ai commencé à m’inquiéter pour les C (et pour toutes les autres lettres qui suivent), quand j’ai remarqué que, dans les groupes de discussion, il y avait des exemples de conflits entre A, B et C (lettres utilisées pour garder l’anonymat des personnes). C y était mentionnée, dès le début, comme « un problème », comme « un objet » et non pas comme « un sujet » : tout le monde y allait de son avis sur des aspects qui affectaient C, mais personne ne se posait la question de comment C se sentait ou de ce qu’elle pouvait souhaiter. On parlait de C mais pas avec C. À ce moment-là, je vivais moi-même une relation où je sentais que tout était défini par des éléments qui m’étaient extérieurs et que je n’avais pas de voix, ni de possibilité de comprendre, ni de droit à décider… et que mes émotions ou mes besoins étaient effacés ou méprisés.

La pensée monogame au-delà du couple

Les normes imposées par la pensée monogame, en ce qui concerne les relations romantiques et sexuelles, influencent tout type de relations. La manière dont nous devons être en lien se fait selon le statut relationnel (couple, amitié, etc) et chaque statut est placé à un niveau différent, formant des hiérarchies. Cette pensée génère une demande d’exclusivité pour le couple, et pas seulement d’ordre sexuel : cela touche quasiment tous les aspects de la vie. Il s’agit de la quantité de temps passé ensemble, des activités qui ne peuvent pas être partagées avec d’autres (comme les vacances ou l’éducation des enfants) ou, simplement, que cette relation soit reconnue en tant que telle. C’est cette reconnaissance qui nous aide à nous sentir appréciée et à valoriser chacune de nos relations et à « reconnaitre » notre existence dans la relation (sans cette reconnaissance, bien des aspects qu’elle nous apporte sont facilement effacés, et la possibilité d’engagement et de prendre soin ne sont pas reconnus). Cette reconnaissance n’existe que dans le cas des relations de couple.

Malgré toute la violence qu’il peut y avoir dans une relation de couple, elle bénéficie d’un privilège social. À travers des demandes d’exclusivité, spécialement celle de la reconnaissance, une hiérarchie s’installe entre les relations. Cela permet d’établir des « normes », imposées par cette relation, sur les « autres » relations. Lesdites relations finissent par être dominées par les couples, sans qu’elles aient leur mot à dire. J’en profite pour préciser que hiérarchie et importance ou priorité ne sont pas du même ordre : avoir différentes relations dans des ordres différents d’importance ou de priorité ne veut pas dire qu’il s’agit de hiérarchie. Il est tout à fait possible d’avoir des relations à différents degrés d’importance ou de priorité, ou bien dans lesquelles ce qui est partagé est totalement différent, sans que cela n’implique que ces personnes n’aient pas leur mot à dire sur ce qui les affecte.

Cette pensée monogame efface également des liens, des émotions et des violences. Cela a pour effet que, lorsque l’on parle de « relation », tout le monde comprend « relation de couple », que dès que l’on mentionne des « sentiments » par défaut, on pense à ceux d’ordre « romantique » ou bien encore, si nous parlons de « violences de genre », ou de « maltraitances », il est habituel de penser d’abord aux violences conjugales, effaçant ainsi tous les autres types de relations qui existent en dehors du couple. C’est ainsi qu’il est fréquent de prêter plus attention aux émotions qui viennent de la relation de couple qu’à celles de tout autre relation (niant ainsi toute possibilité d’accompagnement émotionnel ou même empêchant les personnes de s’exprimer à ce sujet).

Cette pensée peut se reproduire lorsque nous parlons de nos relations comme « sexo-affectives », ou sans les nommer clairement, car cela implique la possibilité de les hiérarchiser. En effet, plus une relation est « amoureuse/romantique » ou/et « sexuelle », plus elle a tendance à être placée en haut de l’échelle des hiérarchies. C’est également le cas lorsqu’il y a une relation « de couple » avec plus de deux personnes [2], ou dans les relations non monogames, quand il y a un « couple principal » et des relations secondaires. Par ailleurs, il est également possible de construire des relations hiérarchisées pour d’autres raisons que l’amour romantique ou le sexe.

Violence monogame

Cette violence s’exprime de différentes façons selon le type de relation : il y a celle qui se produit dans les relations de couples, mais il y en a d’autres qui se produisent sur les autres relations, et qui se basent, par exemple, sur le fait de les effacer du paysage. Par exemple, quand une relation n’est pas reconnue, que des expressions stéréotypées sont utilisées, comme « l’autre », « l’amante » (concepts qui indiquent une altérité), ou que l’on les considère comme « seulement » des relations amicales (en les plaçant, de fait, à un niveau inférieur). Violence qui fait qu’il y a comme intention que C ne soit « rien, ni personne » pour ne pas « fâcher » A ou B, qui est en couple et avec qui on est en relation, ou que C ne soit pas entendue lorsqu’elle exprime un certain inconfort dans la relation, ou que les soucis de A ou B soient toujours une priorité, quels qu’ils soient et quel que soit le contexte.

Les personnes qui peuvent se sentir les plus touchées par ce genre de violence sont celles qui sont traversées par d’autres structures (comme le machisme, l’hétérosexisme, le racisme, le classisme, la psychophobie, etc.) De plus, certaines personnes avec beaucoup de privilèges peuvent profiter de la situation et la retourner à leur profit, car s’il s’agit de relations peu impliquantes, ces personnes peuvent conserver tranquillement leurs privilèges, sans avoir à donner de leur temps, à prendre soin des autres ou à s’engager.

Rompre avec la pensé monogame 

Le consumérisme relationnel fait que nous nous retrouvons souvent dans une situation vulnérable. Le couple semble être le seul refuge possible dans une société patriarcale, capitaliste et agressive, spécialement pour les personnes traversées par la violence structurelle [3]. Souvent, ce fait est signalé, mais le manque de préoccupation et de soin en dehors du couple (ou de certain type de relations ou de hiérarchies) y est oublié. Il n’est pas considéré comme un des problèmes importants, laissant ainsi la porte ouverte à la reproduction du même modèle de couple, présenté comme la « solution » à tous les maux.

Rompre avec la monogamie ne devrait pas « seulement » vouloir dire : rompre avec une pensée qui ne nous autorise pas à avoir plus d’un « couple » ou à avoir des relations sexuelles avec d’autres. Cela ne devrait pas, non plus, « seulement » impliquer comment le faire, sans nous faire mal entre couples ou partenaires sexuelles. Selon moi, rompre avec la monogamie, c’est aller jusqu’à la racine du problème : c’est rompre avec cette hiérarchie constante, l’objectivation qui efface les liens, le prendre soin de l’autre et les engagements, tout comme les violences ou la maltraitance. À mon sens, rompre avec la monogamie veut dire apprendre à être plus conscientes des « autres » : de toutes les personnes avec qui nous sommes en lien, mais également celles qui le sont avec nos relations. Nous avons toutes le droit d’être reconnues, d’avoir de l’affection, des soins et pouvoir « être ».

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Traduction de l’illustration de l’article :

* Salut : je suis une C.

  • Je ne peux pas définir la relation
  • Je n’ai pas de voix
  • Je n’ai pas d’opinions, ni de souhaits, ni de besoins ou de volonté.
  • Ma relation n’est pas reconnue
  • Je ne peux pas participer aux processus de prise de décision sur les aspects qui me concernent
  • Je suis invisibilisée.

[1] Comme il est d’usage dans les milieux non monogames féministes en Espagne, l’autrice de cet article utilise le féminin de manière générique, c’est-à-dire qu’il s’adresse à tout le monde. NDT

[2] Trio ou trouple, par exemple. NDT

[3] « …ce concept est apparu dans les écrits scientifiques pour la première fois en 1969 dans la théorie de la paix élaborée par Johan Galtung. Cette théorie présente la violence comme l’écart entre une situation réelle et une situation potentielle, où les besoins de certains groupes ne sont pas comblés, alors que les ressources sont présentes de façon suffisante pour les satisfaire » in Analyser la violence structurelle faite aux femmes à partir d’une perspective féministe intersectionnelle de Catherine Flynn, Dominique Damant et Jeanne Bernard. NDT https://www.erudit.org/fr/revues/nps/2014-v26-n2–nps01770/1029260ar.pdf 

Je suis polyamoureuse et jalouse – Brigitte Vasallo

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La vague – Camille Claudel

Le hasard a fait que j’ai retrouvé cet article dans mes archives, en attente de traduction. Alors, oui, je publie dans un ordre non chronologique. Je l’avais trouvé intéressant à l’époque et il me semble l’être toujours. Le thème de la jalousie revient de manière quasi obsessionnelle lorsqu’il s’agit de parler de polyamour. Il parait que cela se travaille, que cela se dépasse. Ce qui est certain, c’est que cela est souvent douloureux et qu’essayer de l’éviter est un leurre. Brigitte Vasallo faisait référence à cet article dans « Le polyamour, le nouveau miracle au pouvoir dégraissant », que j’ai traduit et publié au début de l’année.

https://www.cuerpomente.com/blogs/brigitte-vasallo/poliamor-como-no-tener-celos_1306

Traduction : Elisende Coladan

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Il ne s’agit pas de quoi, mais de comment. Gérer la jalousie dans une relation non monogame demande d’en prendre soin et d’avoir une authentique empathie.

Chères amies,

si je recevais un euro chaque fois que quelqu’un me dit « voyons, voyons, tu parles beaucoup de polyamour, mais à la fin, tu es jalouse comme tout le monde », je serais actuellement dans un paradis fiscal, où je pourrais cacher ma fortune immense.

Ou, comme raconte la rappeuse Bittah sur Twitter : « parler autant de polyamour, autant de polyamour, et à la fin… » c’est un véritable dard empoisonné. Cela revient au même que de parler de violence machiste et puis dire qu’entre les lesbiennes, il y a également de la violence ou critiquer une ophtalmologue parce qu’elle porte des lunettes. Beaucoup d’ophtalmologie, beaucoup d’ophtalmologie et à la fin…

Alors, je vais répondre à toutes celles qui me doivent cet euro : voyons si nous pouvons tirer au clair certaines choses. La jalousie n’est pas un choix. En fait, je crois bien qu’il n’y a pas une seule personne polyamoureuse qui n’ait pas essayé de s’en débarrasser en faisant toutes sortes de pactes, y compris avec le diable, afin de s’en libérer. Mais, malheureusement, cela ne fonctionne pas comme cela.

Je suis assaillie par elle, spécialement au tout début d’une relation — pas à la fin. Quand j’ai une relation qui a vécu, qui est toute cabossée, ma confiance en le fait que l’on s’en remettra augmente et je suis moins jalouse, je me fais moins de soucis.

Quand l’autre personne commence une relation, j’ai également plus tendance à avoir peur au début que quand du temps a passé et tout est plus stable.

Quand la troisième personne est monogame, cela m’inquiète bien plus, parce les dynamiques de renforcement sont plus fortes qu’avec quelqu’un d’habitué à la collaboration et qui, en plus, a d’autres personnes de qui prendre soin.

J’ai mis en place, ceci dit, une méthodologie qui s’apparente à une série de lapins que je sors de mon chapeau, comme une magicienne. Une série de trucs de prestidigitation qui font que je ne sois pas assaillie par la peur ou que cela le moins possible.

La méthode d’ingénierie contre la jalousie

Je viens de découvrir, avec The Jealousy Workbook de Kathy Labriola, que mon système a même un nom. Il s’agit de la méthode d’ingénierie contre la jalousie. L’inconvénient de la méthode c’est qu’il est nécessaire que tout le monde m’aide, et cela ne fonctionne pas toujours, mais je vais vous expliquer pourquoi.

La méthode consiste en le fait que, après 20 ans de relations non monogames, on commence à bien en connaître les abîmes. Les abîmes de chacune sont particuliers, et ils viennent d’un tas de choses : nos traumas d’enfant, la famille, les relations passées, le caractère, les circonstances vitales et l’expérience.

Et les abîmes changent également selon le moment : il n’y a pas de cartographie fixe. Quand on vit un bon moment, les abîmes sont plus légers. Si je suis dans une passe délicate, tout devient très compliqué.

Pour que je puisse passer au-dessus d’un abîme sans m’écraser, j’ai besoin de quelque chose très simple : un pont. Et je sais bien que parfois les ponts ne fonctionnent pas. Si ces ponts se construisent, je les emprunte parfois en vacillant, accrochée à la rambarde et un peu tremblante, mais, en général, j’arrive à passer.

Mais ce n’est pas un truc infaillible : si je suis en pleine dépression, il n’y a pas pont qui vaille. Mais, bon, il s’agit d’une autre histoire.

Quand j’explique mon abîme à la personne qui est avec moi et, par extension, à la nouvelle personne qui est avec elle, il peut se passer deux choses :

— Qu’elles comprennent quel est mon abîme et qu’il faut y faire attention.
— Ou bien qu’elles le voient à partir de leurs propres perspectives, leurs histoires, leurs passés, leurs peurs et leurs personnalités et qu’elles décident qu’il ne s’agit pas d’un abîme mais d’une flaque d’eau. Et que, par conséquent, cela ne vaut pas la peine d’établir un pont. Et, bien sûr, je tombe. Carrément. Ça remue tout mon passé familial, toutes mes histoires amoureuses, ça chamboule.

Et, à partir de là, elles me regardent. Il est fort possible qu’elles me voient en train de me noyer dans un verre d’eau, et c’est là où se pointe la fameuse phrase : beaucoup parler de polyamour et regarde ce qui se passe.

Mais ce que l’on ne comprend pas, ou que l’on n’a pas envie de comprendre, c’est que, lorsqu’il s’agit de polyamour, ce n’est pas le « quoi » qui compte, mais le « comment ».

Et, cela dit, si quelqu’un veut me filer un euro, je vous donne mon numéro de compte en message privé.

Polyamour néolibéral : ressers-moi une assiette de gambas. Brigitte Vasallo

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Cette semaine, Brigitte Vasallo revient sur le polyamour qui n’est ni un produit miracle ni un produit de consommation.

Encore une fois, j’ai traduit quasiment tout de suite cet article, car c’est le genre de propos que l’on n’entend pas en France et qu’il faut vraiment diffuser largement. Le polyamour n’est pas la porte ouverte à tous les possibles, dans l’immédiateté. Ce sont des relations qui demandent à se construire dans la réflexion, dans le prendre soin, sinon les dégâts collatéraux sont énormes. 

https://www.cuerpomente.com/blogs/brigitte-vasallo/poliamor-neoliberal_1494

Traduction : Elisende Coladan

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Le polyamour est associé à la consommation et l’immédiateté, mais les relations polyamoureuses se construisent lentement. Sinon, nous parlons de monogamie.

Chères amies,

J’étais en train de réfléchir sur ce que j’allais vous raconter cette semaine lorsque j’ai reçu une notification m’indiquant que Olza m’a citée dans son blog [1] cette semaine et qu’elle se demande si en ces temps polyamoureux, le fait de construire une relation lentement a encore du sens.

Ay, mon amie Olza, viens ici, je vais te raconter : à mon avis, et je te le dis après 20 ans de relations polyamoureuses, le polyamour ne peut que se construire lentement, c’est l’unique manière pour que ce soit vraiment du polyamour et qu’il soit réellement soutenable et durable.

Ce dont tu parles, c’est autre chose, ce sont des monogamies consécutives, qui en tant que telles, s’entrecroisent pendant un temps, jusqu’à ce que l’une d’elles ne tienne plus le coup, soit parce qu’elle a décidé avec qui elle veut rester soit parce qu’elle ne supporte plus le triangle amoureux. Sans aucun doute, il y a des personnes qui appellent cela du polyamour, mais je pense qu’il faut y ajouter, en ce moment de l’histoire, un nom : c’est du polyamour néolibéral. Mais tout n’est pas néolibéral dans le polyamour.

Amours en buffet à volonté, que ça marche ou pas

J’ai un exemple qui me plait beaucoup : ce sont ces buffets à volonté où tu vois des quantités énormes de nourriture présentées sur des plats et, sur les tables, il y a des choses un peu grignotées et abandonnées sans état d’âme, pour être remplacées par d’autres et on réalise que personne ne va pouvoir manger toute cette nourriture mais que si quelqu’un s’y risque, cela va finir en une indigestion gigantesque. Pourtant la bouffe est là, disponible. Elle nous donne la sensation que nous ne pouvons pas faire autre chose que la consommer. Il y a même cette idée que cela est une liberté, ce qui est un non-sens, parce que si nous ne pouvons pas éviter de vouloir manger, où est la liberté ?

Bref, avec les amours et le polyamour, c’est la même chose : on démarre au quart de tour parce que tout à coup, tout semble possible : waouh ! Et alors, il faut tout consommer, tout, tout, tout. Parce que cela devient possible et qu’on ne sait pas quoi faire de cette possibilité.

Ce qui n’est jamais précisé, c’est qu’il est également possible de ne pas le faire. Et même, ce dont on est en train de prendre conscience, c’est que cette fièvre de consommation est monogame, elle n’est pas polyamoureuse.

Pourquoi ? Parce que la monogamie nous a appris que, quand nous sommes en couple, si quelqu’un.e nous plait, il faut être avec cette personne, parce que le désir doit se concrétiser en quelque chose et que l’amour qui n’est pas réciproque n’est pas une joie, mais un malheur. Et là, vous réalisez : penser qu’aimer quelqu’un.e puisse être un malheur c’est un malheur en soi !

En monogamie, le désir est le début de quelque chose, ce n’est jamais quelque chose en soi. Et j’ajoute ici que la culture du viol a un pied dans la place.

Donc, si avec le polyamour, nous ne revoyons pas avec précaution nos bases monogames, nous continuons dans le même schéma : quelqu’un nous plait, nous allons vers cette personne, que ça soit le bon moment ou pas, que ce soit une histoire qui tienne la route ou pas, etc. Et on y va : la majorité des histoires polyamoureuses finissent par être cela, des monogamies consécutives qui s’entrecroisent pendant un certain temps jusqu’à ce que quelqu’un se barre.

Et si le désir était quelque chose de beau en soi ? Et s’il n’était pas nécessaire de faire toute une histoire chaque fois que nous éprouvons du désir ? Et si cela pouvait être plus simple et que nous pouvions dire à quelqu’un.e « je te désire » et que l’autre personne pouvait nous répondre « oh, c’est beau » et rien de plus, sans que le désir soit une proposition, ni une attente, ni rien de plus que du désir ? Imaginez-vous un monde ainsi ? Eh bien, c’est le monde polyamoureux que certaines d’entre nous imaginent. Nous sommes peu nombreuses, mais nous existons.

Et oui, comme tu le dis si bien, moi aussi je suis fatiguée. Je suis fatiguée d’être un terrain d’expérimentation, de mettre mon corps au service de l’auto-apprentissage du polyamour et de finir toute cabossée dans le caniveau et brisée à tout bout de champ.

Alors je demande aussi de la lenteur. Je réclame de réfléchir, je réclame de prendre soin et je suis en train d’apprendre, t’imagines, à 44 ans, à poser des limites qui me font du bien.

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[1] Dans les lignes qui suivent Brigitte parle d’un article de la psychiatre Ibone Olza, sur un psychiatre espagnol, qui, 10 ans après avoir commis un féminicide, exerce aujourd’hui en libéral. Je ne les ai pas traduites, car elles se situent hors contexte francophone, mais il m’a paru important de signaler le fait.

Les dangers du polyamour et les « féminimacs » – Paula Huma González

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Ilustration: Lumi Mae – https://reginanavarro.blogosfera.uol.com.br/2016/08/06/da-monogamia-ao-poliamor/?cmpid=copiaecola

Pikara Magazine est une revue digitale féministe espagnole. Cet article vient de  la section de publication libre de Pikara, dont l’objectif, comme son nom indique, est de promouvoir la participation des lectrices et des lecteurs. 

https://www.pikaramagazine.com/2017/03/los-peligros-del-poliamor-y-los-femichulos/  

Traduction elisende Coladan

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Il arrive, très souvent, qu’on retrouve énormément d’attitudes  machistes dans des espaces féministes mixtes, dans lesquels les femmes devraient se sentir plus à l’aise et tranquilles qu’ailleurs. Quand le polyamour, dans ce même espace féministe, rencontre le machisme, cela très mal finir. C’est en grande partie parce que nous ne voyons pas venir les féminimacs (nom donné, en Espagne, à un homme qui se dit féministe, mais derrière qui se cache un machiste) et qu’ils se permettent des comportements (dans un réseau affectif polyamoureux, régit par leurs privilèges) que nous qualifierions immédiatement de machistes dans une ambiance non féministe. Combien de fois ne nous sommes-nous pas trouvées embarquées [1] dans un réseau affectif polyamoureux dans lequel, comme par hasard, il y a un homme central autour duquel circulent des femmes ? Une relation polyamoureuse peut très bien se passer si tant est que chacun prenne soin des autres, qu’il y ait une bonne communication entre tout le monde et que la relation de pouvoir soit horizontale [2].

Au sujet de la communication, bien plus de facteurs entrent en jeu dans une relation polyamoureuse que dans une relation monogame. Parmi eux, deux éléments très importants : il n’existe pas de références culturelles pour les relations polyamoureuses, et ce type de relation peut faire naître un bien plus grand nombre d’insécurités qu’une relation à deux. Ici, je vais particulièrement m’arrêter sur ce premier point. En effet, souvent, nous partons de zéro dans la construction de ces réseaux affectifs. Nous avons juste quelques livres, des articles ou des expériences racontées par un certain nombre de personnes. De plus, comme il s’agit de relations hors normes, il y a une terrible méconnaissance de la façon dont il est possible de créer des relations saines dans la configuration polyamoureuse. La meilleure manière de résoudre ce souci est d’avoir une très bonne communication entre tout le monde et cela ne signifie pas, à mon sens, d’uniquement exprimer ses insécurités, sensations et impressions. Je pense qu’il est également très important de communiquer à l’autre quelles sont nos intentions pour la relation. C’est ainsi que je souhaite reprendre l’idée de Thomas A. Mappes sur le consentement volontaire et informé [3]. Il part de l’idée qu’un échange fluide d’informations est nécessaire pour ne pas utiliser une personne sexuellement. C’est ainsi que, dans les relations polyamoureuses, afin de ne pas tomber dans une utilisation sexuelle des autres personnes, il est nécessaire de communiquer ses intentions, qu’il s’agisse d’une relation sexuelle occasionnelle ou d’une relation sexo-affective prolongée.

Le thème du « prendre soin » [4] est intimement lié à celui de la communication, car communiquer c’est également prendre soin. Chaque personne est différente, et si nous en tenons compte au moment d’établir des relations polyamoureuses, nous aurons aussi à l’assimiler en prenant soin de ces relations. Les personnes avec qui nous établissons des liens sont différentes de nous et différentes entres elles, ce qui fait que chacune aura besoin que l’on prenne soin d’elle de manière différente. La communication est indispensable, afin de connaître leurs attentes dans la relation, de savoir de quelle manière elles souhaitent que l’on prenne soin d’elles, comment elles se sentent, comment sont leurs rythmes, ce qu’elles aiment ou pas, comment elles pensent s’investir dans la relation, etc. Il est également nécessaire d’expliquer ce dont on a soi-même besoin, nos impressions, ce que l’on peut apporter ou pas, ce que nous aimons ou pas. Je comprends aisément que cela ne soit pas facile, d’autant plus que l’on nous a toujours dit que les sentiments sont quelque chose d’intime et de privé qu’il faut garder pour soi. Même ainsi, c’est vraiment quelque chose qu’il est nécessaire de travailler afin de nous déconstruire et la meilleure manière d’y arriver, c’est avec un entourage sûr, avec des personnes qui nous transmettent précisément cela : un sentiment de sécurité.

Finalement, en ce qui concerne l’horizontalité, je voudrais apporter ma note personnelle avec une citation du livre L’insoutenable légèreté de l’être, dans lequel Tereza (une des protagonistes) raconte à Tomas (avec qui elle a une relation ouverte), qu’elle a fait de lui. Ce rêve pourrait décrire parfaitement ce qui m’est venu à l’esprit alors que je vivais une relation polyamoureuse très mal gérée, dans laquelle l’homme se trouvait au centre et décidait de la destinée de chacune des femmes. Et c’est dans ce genre de configuration que peut surgir la grande majorité des problèmes :

« C’était une grande piscine couverte. On était une vingtaine. Rien que des femmes. On était toutes complètement nues et on devait marcher au pas autour du bassin. Il y avait un grand panier suspendu sous le plafond, et dedans il y avait un type. Il portait un chapeau à larges bords qui dissimulait son visage, mais je savais que c’était toi. Tu nous donnais des ordres. Tu criais. Il fallait qu’on chante en défilant et qu’on fléchisse les genoux. Quand une femme ratait sa flexion, tu lui tirais dessus avec un revolver et elle tombait morte dans le bassin. À ce moment-là, toutes les autres éclataient de rire et elles se mettaient à chanter encore plus fort. Et toi, tu ne nous quittais pas des yeux, et si l’une d’entre nous faisait un mouvement de travers tu l’abattais. Le bassin était plein de cadavres qui flottaient au ras de l’eau. Et moi, je savais que je n’avais plus la force de faire ma prochaine flexion et que tu allais me tuer ! » [5]

Comme nous l’avons vu ci-dessus, la communication, le « prendre soin » et l’horizontalité sont les trois piliers du polyamour et ils doivent concomitants. Quand je parle d’horizontalité, je fais référence au fait que les différentes personnes faisant partie de la relation doivent être dans la même situation et il ne peut pas y avoir une asymétrie de soins ou d’informations. Peut-être que c’est l’aspect le plus compliqué, car il implique le besoin de se retrouver dans une situation équilibrée par rapport au reste des personnes inclues dans le réseau affectif polyamoureux, mais il est vraiment nécessaire.

Pour arriver à cette horizontalité, nous devons prendre en compte un certain nombre de choses. Pour commencer, le patriarcat. Cela nous échappe parfois : le polyamour doit absolument inclure une perspective de genre. Nous ne pouvons pas penser que, dans une relation polyamoureuse, les hommes et les femmes sont au même niveau. Les hommes hétérosexuels ont toute une série d’attitudes et de comportements machistes bien ancrés et, même s’ils faisaient un grand travail de déconstruction, il leur serait bien difficile de changer. C’est ainsi que, dans un réseau affectif polyamoureux, il est très facile que l’homme, avec ses privilèges, se retrouve au centre et choisisse avec qui il couche et avec qui non, pendant que les femmes adoptent une attitude soumise et passive. Que se passe-t-il, alors, aves les « féminimacs » ? Ça peut être plus compliqué à repérer parce qu’ils sont souvent très subtils, qu’en ce qui concerne le polyamour, ils vont faire le célèbre « mansplaining [6] », « en prenant les rênes de la relation » avec l’excuse que c’est eux qui savent et agissant ainsi de manière paternaliste et privilégiée.

L’autre problème, c’est que les femmes ont également, comme les hommes, intériorisé certains comportements machistes. On nous a enseigné, depuis toujours, des attitudes comme la soumission à l’homme, ou la culpabilité… Et ceci joue vraiment beaucoup en notre défaveur, car bien des problèmes dans ce type de relations viennent de la jalousie et, si ces problèmes ne sont pas bien gérés, il n’y a plus d’horizontalité.

Il faut faire attention avec les situations comme celle dont je viens de parler, où l’homme est au centre d’un axe central autour duquel gravite le reste des femmes. Car il peut manipuler les femmes de manière consciente ou inconsciente, et c’est ainsi que la femme finira par se sentir coupable d’être jalouse des autres femmes, quand en réalité cette jalousie est probablement le fruit d’un manque de communication et d’une accumulation d’insécurités provoquées par l’homme lui-même.

Un autre aspect à prendre en compte, c’est celui des liens émotionnels et c’est bien la part qui m’est la plus douloureuse. Nous devons être très prudentes et ne pas nous relâcher quand nous souhaitons avoir des relations sexo-affectives avec un homme. Nous ne devons, à aucun moment, enlever nos « lunettes violettes », celles que nous mettons lorsque nous apprenons ce qu’est le féminisme, parce que lorsque nous sommes en relation avec quel que soit l’homme, il va reproduire des comportements machistes, même implicites. Le fait d’avoir un lien émotionnel, dans le cas d’une relation sexo-affective, peut faire que nous nous voilons la face et que nous n’arriverons pas à voir ces attitudes machistes.

Pour finir, il n’y pas de formule pour éviter qu’un réseau affectif polyamoureux ne se transforme en quelque chose de nocif et toxique mais, tout au moins, nous pouvons savoir d’où viennent les dangers que nous pouvons rencontrer, afin d’essayer de les éviter. De plus, il est indispensable de ne pas oublier la position de privilège qu’ont les hommes hétérosexuels, pour envisager d’élaborer, comme je l’ai dit auparavant, une bonne pratique du polyamour avec une perspective féministe.

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[1] Comme il est d’usage dans les milieux non monogames féministes en Espagne, l’autrice de cet article utilise le féminin de manière générique, c’est-à-dire qu’il s’adresse à tout le monde.

[2] Non hiérarchique (NTD)

[3] Thomas A. Mappes et J.S. Zembaty (eds.), Social Ethics. Morality and Social policy, N.Y., McGraw-Hill, 1987.

[4] Pour la notion de « prendre soin », ou « cuidados » en espagnol, ou « care » en anglais, voir le paragraphe « Prendre soin et le sens de cette expression » dans l’article de Natàlia Wuwei : « Après avoir rompu avec la monogamie » https://nonmonogamie.wordpress.com/2017/02/21/apres-avoir-rompu-avec-la-monogamie-natalia-wuwei/

[5] Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être, Gallimard, 1984.

[6] Le « mansplaining » désigne la situation où un homme (en anglais « man ») se croit en devoir d’expliquer (en anglais « explain ») à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, généralement de façon paternaliste ou condescendante. Wikipedia