La violence de la communication non violente – Natàlia Wuwei Climent

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Illustration de Tània Manzanal Cerdà

Les bienfaits de la communication non violente sont incontestables et très souvent reconnus. Ce qui ne l’est pas, c’est son utilisation à des fins de manipulation et de maltraitance. 

Cet outil, très fréquemment utilisé dans les milieux et relations non monogames, n’est pas sans problème. Il est important de le savoir et d’être prudent.e.s si nous nous sentons décontenancé.e.s, angoissé.e.s ou déboussolé.e.s face à des personnes qui, sous couvert de CNV, peuvent actionner des mécanismes d’oppression et d’emprise.

Cela fait un grand moment que je m’interroge sur son utilisation à des fins peu louables et j’ai déjà échangé avec Natàlia à ce sujet. Il y a quelques semaines, elle a publié un article en catalan, dans le journal La Directa, où elle expose brièvement quels aspects lui paraissent les plus problématiques ainsi que sa propre expérience avec la CNV.

La violència de la comunicació no violenta

Traduction : Elisende Coladan

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La communication non violente est devenue un des outils couramment utilisés dans nos espaces. Il en existe des versions critiques et elle a des aspects utiles, notamment ceux qui sont en relation avec les notions d’empouvoirement, d’autonomie et ou de responsabilisation. Cependant, il est important de comprendre quelles sont les bases conceptuelles sur lesquelles la CNV s’est construite, pour en faire une utilisation plus consciente. Dans ce texte, je parlerai de la CNV définie par Rosenberg au début des années 60, qui est celle qui est le plus souvent mentionnée dans les ateliers et les débats. C’est celle qui est le plus couramment employée et qui s’est transformée en une sorte de dogme.

Je l’ai tellement vue utilisée pour manipuler, maltraiter et abuser que cela est devenu une sorte de signal d’alarme suffisamment importante pour m’amener à essayer de mieux comprendre quels en sont les aspects problématiques. Une grande partie de ce discours est basé sur une vision individualiste qui considère les personnes comme des êtres isolés et indépendants qui se trouvent affectés les uns par les autres de manière ponctuelle et volontaire, en laissant de côté ou en ignorant tous les aspects liés à l’interdépendance. La CNV peut être un très bon outil si nous sommes dans une relation horizontale, mais elle ne prend pas en compte les structures de pouvoir et les hiérarchies qui sont très souvent présentes dans les relations.

La responsabilité

La CNV appelle « violence » le fait de nier sa propre responsabilité dans des actes et des émotions. La proposition n’est pas sans intérêt. Le problème réside en comment se fait la distribution des responsabilités, car cela dépend de bien des facteurs, notamment du contexte (entourage social), tout comme de la manière dont cela se fait et est reçu. La CNV est basée sur un paradigme où les responsabilités de chaque personne sont totalement séparées, et où la relation et son contexte sont effacés : nous sommes complètement responsables de ce que nous faisons et ressentons, et l’autre est totalement responsable de ce qu’il fait et ressent, et ce que nous ressentons à cause de ce que l’autre fait est de notre responsabilité. Selon la CNV, signaler quelque chose vers l’extérieur est toujours un acte violent.

Un des exemples qu’utilise la CNV pour illustrer ce que je viens d’exposer est la critique faite à l’expression « je devrais » ou « je dois ». Cette expression utilise le verbe « devoir » pour exprimer l’obligation : nous faisons quelque chose parce que nous nous en sentons obligés, non pas parce que nous en faisons le choix. Selon la CNV, utiliser cette expression nous enlève la responsabilité et la conscience de notre responsabilité. La proposition est donc de changer ce que nous « devons » par ce que nous « choisissons ». Cette vision devrait nous aider à prendre conscience de ce que nous faisons et du pouvoir que nous avons sur nos ressentis et de comment nous nous sentons entouré.e.s. Ce qui, comme toute pensée libérale, se base uniquement sur la liberté de choix et efface les situations sociales inégales. Avoir moins d’options ou choisir la coercition, ce n’est pas choisir librement.

Par ailleurs, des personnes utilisent souvent la CNV pour ne pas avoir à assumer la responsabilité d’agressions ou d’actions qui touchent leurs relations car, si nous sommes totalement responsables de ce que nous ressentons, la manière dont l’autre se sent par rapport à nos actions n’est pas de notre responsabilité.

L’objectivité

Selon la CNV, pour communiquer de façon non violente, il est nécessaire de partir d’observations objectives, et non pas d’appréciations subjectives : par exemple, dire à une personne qu’elle est en train de nous ignorer est une appréciation subjective, mais dire « non » est une réponse à une observation objective. Agir ainsi permet de ne pas accepter ce que nous méconnaissons ni d’attribuer à l’autre des intentions, des souhaits ou des émotions.

Cependant, par défaut, ce qui est souvent décrit comme des observations objectives s’apparente à une définition concrète du monde qui nous entoure, liée aux privilèges (l’objectivité souvent correspond au regard de l’homme blanc, cis, hétérosexuel, de classe moyenne-haute, neurotypique, mince, sans handicap, etc. C’est-à-dire à ceux qui ont le pouvoir de décider ce qui est objectif et ce qui ne l’est pas). Donc, ce type d’observations bénéficie habituellement à qui a le plus de privilèges. Selon l’exemple donné, supposer que l’autre personne ne nous a pas répondu peut être une perception subjective qui correspond à l’idée de comment doit être faite une réponse à partir de la seule forme de communication valable : peut-être que cette personne a répondu selon ses capacités de communication, mais qu’elle n’a pas été comprise, car la compréhension passe par des filtres normatifs culturels et neurotypiques. C’est en cela que le contexte est important.

Ce raisonnement invisibilise également notre capacité d’expression lorsque nous nous sentons manipulé.e.s ou quand il y a maltraitance, puisque ce type d’appréciation est généralement considérée comme subjective.

L’empathie

Finalement, l’élément phare de la CNV, c’est l’empathie. La CNV décrit le processus empathique comme une interprétation de ce dont l’autre a besoin sans qu’il ne le demande. Ce qu’affirme la CNV, c’est que lorsqu’une personne se plaint, il n’est pas possible d’être responsable de ce qu’elle ressent et que, par conséquent, cela doit provenir de quelque chose qu’elle ne peut pas satisfaire par elle-même. C’est donc important de le lui faire savoir (ce qui présuppose un besoin non satisfait). De mon point de vue, c’est plutôt violent de dire à quelqu’un.e ce dont elle a besoin et comment elle se sent par rapport à ce besoin, car c’est en faire une lecture, sans qu’elle ne puisse s’exprimer et sans même qu’elle ne l’ait demandé. De plus, c’est dévier l’attention de sa demande première, en faisant un passage subtil du fait signalé à la personne qui le signale.

J’ai vu tellement de manipulations au moyen de ce type d’empathie, comme dans cet exemple : si tu essaies de signaler une agression, tu vas être immédiatement interrogée sur tes émotions et sur tes propres carences affectives, comme si les émotions exprimées ne pouvaient pas venir de l’agression elle-même. Cela est possible puisque la personne qui agresse n’est pas responsable de tes émotions. C’est ce fait qui m’a provoqué le plus d’anxiété quand je me suis trouvée face à une personne qui utilisait la communication non violente.

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