Relations sexo-affectives alternatives à la pensée monogame hétéronormative, à partir d'une perspective féministe: traductions, réflexions et analyses.
Cette semaine, Brigitte Vasallo revient sur le polyamour qui n’est ni un produit miracle ni un produit de consommation.
Encore une fois, j’ai traduit quasiment tout de suite cet article, car c’est le genre de propos que l’on n’entend pas en France et qu’il faut vraiment diffuser largement. Le polyamour n’est pas la porte ouverte à tous les possibles, dans l’immédiateté. Ce sont des relations qui demandent à se construire dans la réflexion, dans le prendre soin, sinon les dégâts collatéraux sont énormes.
Le polyamour est associé à la consommation et l’immédiateté, mais les relations polyamoureuses se construisent lentement. Sinon, nous parlons de monogamie.
Chères amies,
J’étais en train de réfléchir sur ce que j’allais vous raconter cette semaine lorsque j’ai reçu une notification m’indiquant que Olza m’a citée dans son blog [1] cette semaine et qu’elle se demande si en ces temps polyamoureux, le fait de construire une relation lentement a encore du sens.
Ay, mon amie Olza, viens ici, je vais te raconter : à mon avis, et je te le dis après 20 ans de relations polyamoureuses, le polyamour ne peut que se construire lentement, c’est l’unique manière pour que ce soit vraiment du polyamour et qu’il soit réellement soutenable et durable.
Ce dont tu parles, c’est autre chose, ce sont des monogamies consécutives, qui en tant que telles, s’entrecroisent pendant un temps, jusqu’à ce que l’une d’elles ne tienne plus le coup, soit parce qu’elle a décidé avec qui elle veut rester soit parce qu’elle ne supporte plus le triangle amoureux. Sans aucun doute, il y a des personnes qui appellent cela du polyamour, mais je pense qu’il faut y ajouter, en ce moment de l’histoire, un nom : c’est du polyamour néolibéral. Mais tout n’est pas néolibéral dans le polyamour.
Amours en buffet à volonté, que ça marche ou pas
J’ai un exemple qui me plait beaucoup : ce sont ces buffets à volonté où tu vois des quantités énormes de nourriture présentées sur des plats et, sur les tables, il y a des choses un peu grignotées et abandonnées sans état d’âme, pour être remplacées par d’autres et on réalise que personne ne va pouvoir manger toute cette nourriture mais que si quelqu’un s’y risque, cela va finir en une indigestion gigantesque. Pourtant la bouffe est là, disponible. Elle nous donne la sensation que nous ne pouvons pas faire autre chose que la consommer. Il y a même cette idée que cela est une liberté, ce qui est un non-sens, parce que si nous ne pouvons pas éviter de vouloir manger, où est la liberté ?
Bref, avec les amours et le polyamour, c’est la même chose : on démarre au quart de tour parce que tout à coup, tout semble possible : waouh ! Et alors, il faut tout consommer, tout, tout, tout. Parce que cela devient possible et qu’on ne sait pas quoi faire de cette possibilité.
Ce qui n’est jamais précisé, c’est qu’il est également possible de ne pas le faire. Et même, ce dont on est en train de prendre conscience, c’est que cette fièvre de consommation est monogame, elle n’est pas polyamoureuse.
Pourquoi ? Parce que la monogamie nous a appris que, quand nous sommes en couple, si quelqu’un.e nous plait, il faut être avec cette personne, parce que le désir doit se concrétiser en quelque chose et que l’amour qui n’est pas réciproque n’est pas une joie, mais un malheur. Et là, vous réalisez : penser qu’aimer quelqu’un.e puisse être un malheur c’est un malheur en soi !
En monogamie, le désir est le début de quelque chose, ce n’est jamais quelque chose en soi. Et j’ajoute ici que la culture du viol a un pied dans la place.
Donc, si avec le polyamour, nous ne revoyons pas avec précaution nos bases monogames, nous continuons dans le même schéma : quelqu’un nous plait, nous allons vers cette personne, que ça soit le bon moment ou pas, que ce soit une histoire qui tienne la route ou pas, etc. Et on y va : la majorité des histoires polyamoureuses finissent par être cela, des monogamies consécutives qui s’entrecroisent pendant un certain temps jusqu’à ce que quelqu’un se barre.
Et si le désir était quelque chose de beau en soi ? Et s’il n’était pas nécessaire de faire toute une histoire chaque fois que nous éprouvons du désir ? Et si cela pouvait être plus simple et que nous pouvions dire à quelqu’un.e « je te désire » et que l’autre personne pouvait nous répondre « oh, c’est beau » et rien de plus, sans que le désir soit une proposition, ni une attente, ni rien de plus que du désir ? Imaginez-vous un monde ainsi ? Eh bien, c’est le monde polyamoureux que certaines d’entre nous imaginent. Nous sommes peu nombreuses, mais nous existons.
Et oui, comme tu le dis si bien, moi aussi je suis fatiguée. Je suis fatiguée d’être un terrain d’expérimentation, de mettre mon corps au service de l’auto-apprentissage du polyamour et de finir toute cabossée dans le caniveau et brisée à tout bout de champ.
Alors je demande aussi de la lenteur. Je réclame de réfléchir, je réclame de prendre soin et je suis en train d’apprendre, t’imagines, à 44 ans, à poser des limites qui me font du bien.
[1] Dans les lignes qui suivent Brigitte parle d’un article de la psychiatre Ibone Olza, sur un psychiatre espagnol, qui, 10 ans après avoir commis un féminicide, exerce aujourd’hui en libéral. Je ne les ai pas traduites, car elles se situent hors contexte francophone, mais il m’a paru important de signaler le fait.
Depuis l’an dernier, Brigitte Vasallo a une rubrique hebdomadaire dans un magazine espagnol de psychologie positive, MenteSana.
Ces derniers temps, elle a écrit sur la dépression et sur le fait que, bien que polyamoureuse, elle est jalouse.
Il m’a paru intéressant de traduire son dernierarticlecar, avec humour, elle mentionne un fait essentiel : le polyamour n’est pas un produit miracle, ce n’est pas la porte ouverte à tous les possibles, ce n’est pas juste la possibilité d’aimer ou d’avoir des relations sexuelles et affectives avec plusieurs personnes et de s’organiser grâce à un agenda électronique. C’est bien pour cela que ça ne fonctionne pas pour beaucoup, que ça génère des dégâts psychologiques ainsi que des maltraitances.
J’allais commencer l’année en écrivant une série d’articles sur la dépression, mais mes cheffes m’ont dit que ça commençait à bien faire avec la tristesse et qu’il serait bon que j’écrive quelque chose de plus marrant maintenant.
Alors, je leur ai proposé d’écrire sur le polyamour.
Et elles m’ont dit oui.
Et cela m’a amusée que quelqu’une puisse penser que le polyamour soit un thème plus amusant que la dépression.
J’ai pensé en moi-même : seule une personne monogame peut avoir cette idée. Mais je n’ai rien dit et j’ai commencé à écrire.
Le polyamour, ça ne fonctionne pas ! (et ça ne devrait pas fonctionner)
Il y a quelques semaines, je vous ai dit que si je recevais un euro chaque fois que quelqu’un me disait « voyons, voyons, tu causes beaucoup de polyamour, mais à la fin, tu es jalouse comme tout le monde », je serais actuellement dans un paradis fiscal, en train de savourer un daiquiri et de vivre une vie de folie, mais en positif (car la vie de folie, en négatif, c’est mon truc avec la dépression, mais comme je ne peux pas vous en parler, etc…)
Vous dites que le polyamour, ça ne marche pas. Ben oui, évidemment, que ça ne fonctionne pas. D’ailleurs, cette phrase est à la base du fait que ça ne fonctionne pas. Parce que cette manière de penser l’amour est en elle-même monogame, mais je vous parlerai de cela un autre jour.
Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur le fait que le polyamour, mes chéries, n’est pas une machine distributrice de sodas ou un ascenseur. Le polyamour n’est pas un truc auquel il est possible de faire « reset », ou de donner des petits coups, de ceux qui font que quelque chose remarche alors que c’était en panne.
Le polyamour ne fonctionne pas : il faut le faire fonctionner. Et c’est là que tout est foutu d’avance.
Le polyamour, le nouveau miracle au pouvoir dégraissant
Il y a eu un moment, dans nos vies, où nous avons cru que le polyamour c’était comme dire « abracadabra ». On claque des doigts et le voilà. Fini les mauvais trips, plus de jalousie, plus de peurs, parce que toi, ma compagne, tu as trouvé le po-ly-a-mour, le nouveau produit miracle au pouvoir dégraissant.
Donc, tu y vas à fond dans le miracle et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, tu as le cœur blessé ou tu blesses celui des autres et tu dis partout que « ça ne fonctionne pas ». Tu te mets même à écrire des articles : j’en ai lu quelques-unes qui déversent une quantité incroyable de rage monogame parce que ce truc ne fonctionne pas.
Vous imaginez quelqu’une en train d’écrire des articles sur « le féminisme ne fonctionne pas » parce que pour elle ça n’a pas marché ? Ben, c’est exactement ce que nous faisons avec le polyamour. Au lieu de nous mettre à réfléchir pour trouver ce que nous avons raté et comment fonctionne cette histoire de structures [1], nous disons que c’est la faute du polyamour, comme si c’était un monsieur assis quelque part ou comme si c’était un dieu, ce qui est très confortable pour rejeter la faute sur quelqu’un.
Le fait est que le polyamour n’est pas une formule magique, ce n’est pas quelque chose qui existe : c’est une proposition, un horizon, un imaginaire à construire. Dire que tu commences une relation polyamoureuse, c’est prendre l’engagement d’en créer les conditions qui feront que la multiplicité amoureuse sera possible sans que personne ne meure pendant l’essai.
J’aime comment le philosophe Emmanuel Levinas imaginait la liberté. Il disait plus ou moins que la liberté, c’est se créer les conditions d’être libre.
Il en va de même avec le polyamour : c’est créer les conditions pour être polyamoureuse. C’est générer un espace relationnel pour pouvoir l’être.
Le polyamour, tout comme la liberté, ce n’est pas une idée, mais une mise en pratique. Et si la mise en pratique polyamoureuse ne fonctionne pas, il faut changer de pratique, sans plus, et arrêter de rejeter la faute sur l’illusion de nos incapacités amoureuses.
Pour finir, je vous laisse cette idée en passant : le polyamour n’est pas obligatoire. Si réellement, ça ne fonctionne pas avec vous, keep calm et passez à autre chose, car nous souffrons déjà suffisamment comme ça sans avoir à nous compliquer la vie encore plus avec ça.
Pikara Magazine est une revue digitale féministe espagnole. Cet article vient de la section de publication libre de Pikara, dont l’objectif, comme son nom indique, est de promouvoir la participation des lectrices et des lecteurs.
Il arrive, très souvent, qu’on retrouve énormément d’attitudes machistes dans des espaces féministes mixtes, dans lesquels les femmes devraient se sentir plus à l’aise et tranquilles qu’ailleurs. Quand le polyamour, dans ce même espace féministe, rencontre le machisme, cela très mal finir. C’est en grande partie parce que nous ne voyons pas venir les féminimacs (nom donné, en Espagne, à un homme qui se dit féministe, mais derrière qui se cache un machiste) et qu’ils se permettent des comportements (dans un réseau affectif polyamoureux, régit par leurs privilèges) que nous qualifierions immédiatement de machistes dans une ambiance non féministe. Combien de fois ne nous sommes-nous pas trouvées embarquées [1] dans un réseau affectif polyamoureux dans lequel, comme par hasard, il y a un homme central autour duquel circulent des femmes ? Une relation polyamoureuse peut très bien se passer si tant est que chacun prenne soin des autres, qu’il y ait une bonne communication entre tout le monde et que la relation de pouvoir soit horizontale [2].
Au sujet de la communication, bien plus de facteurs entrent en jeu dans une relation polyamoureuse que dans une relation monogame. Parmi eux, deux éléments très importants : il n’existe pas de références culturelles pour les relations polyamoureuses, et ce type de relation peut faire naître un bien plus grand nombre d’insécurités qu’une relation à deux. Ici, je vais particulièrement m’arrêter sur ce premier point. En effet, souvent, nous partons de zéro dans la construction de ces réseaux affectifs. Nous avons juste quelques livres, des articles ou des expériences racontées par un certain nombre de personnes. De plus, comme il s’agit de relations hors normes, il y a une terrible méconnaissance de la façon dont il est possible de créer des relations saines dans la configuration polyamoureuse. La meilleure manière de résoudre ce souci est d’avoir une très bonne communication entre tout le monde et cela ne signifie pas, à mon sens, d’uniquement exprimer ses insécurités, sensations et impressions. Je pense qu’il est également très important de communiquer à l’autre quelles sont nos intentions pour la relation. C’est ainsi que je souhaite reprendre l’idée de Thomas A. Mappes sur le consentement volontaire et informé [3]. Il part de l’idée qu’un échange fluide d’informations est nécessaire pour ne pas utiliser une personne sexuellement. C’est ainsi que, dans les relations polyamoureuses, afin de ne pas tomber dans une utilisation sexuelle des autres personnes, il est nécessaire de communiquer ses intentions, qu’il s’agisse d’une relation sexuelle occasionnelle ou d’une relation sexo-affective prolongée.
Le thème du « prendre soin » [4] est intimement lié à celui de la communication, car communiquer c’est également prendre soin. Chaque personne est différente, et si nous en tenons compte au moment d’établir des relations polyamoureuses, nous aurons aussi à l’assimiler en prenant soin de ces relations. Les personnes avec qui nous établissons des liens sont différentes de nous et différentes entres elles, ce qui fait que chacune aura besoin que l’on prenne soin d’elle de manière différente. La communication est indispensable, afin de connaître leurs attentes dans la relation, de savoir de quelle manière elles souhaitent que l’on prenne soin d’elles, comment elles se sentent, comment sont leurs rythmes, ce qu’elles aiment ou pas, comment elles pensent s’investir dans la relation, etc. Il est également nécessaire d’expliquer ce dont on a soi-même besoin, nos impressions, ce que l’on peut apporter ou pas, ce que nous aimons ou pas. Je comprends aisément que cela ne soit pas facile, d’autant plus que l’on nous a toujours dit que les sentiments sont quelque chose d’intime et de privé qu’il faut garder pour soi. Même ainsi, c’est vraiment quelque chose qu’il est nécessaire de travailler afin de nous déconstruire et la meilleure manière d’y arriver, c’est avec un entourage sûr, avec des personnes qui nous transmettent précisément cela : un sentiment de sécurité.
Finalement, en ce qui concerne l’horizontalité, je voudrais apporter ma note personnelle avec une citation du livre L’insoutenable légèreté de l’être, dans lequel Tereza (une des protagonistes) raconte à Tomas (avec qui elle a une relation ouverte), qu’elle a fait de lui. Ce rêve pourrait décrire parfaitement ce qui m’est venu à l’esprit alors que je vivais une relation polyamoureuse très mal gérée, dans laquelle l’homme se trouvait au centre et décidait de la destinée de chacune des femmes. Et c’est dans ce genre de configuration que peut surgir la grande majorité des problèmes :
« C’était une grande piscine couverte. On était une vingtaine. Rien que des femmes. On était toutes complètement nues et on devait marcher au pas autour du bassin. Il y avait un grand panier suspendu sous le plafond, et dedans il y avait un type. Il portait un chapeau à larges bords qui dissimulait son visage, mais je savais que c’était toi. Tu nous donnais des ordres. Tu criais. Il fallait qu’on chante en défilant et qu’on fléchisse les genoux. Quand une femme ratait sa flexion, tu lui tirais dessus avec un revolver et elle tombait morte dans le bassin. À ce moment-là, toutes les autres éclataient de rire et elles se mettaient à chanter encore plus fort. Et toi, tu ne nous quittais pas des yeux, et si l’une d’entre nous faisait un mouvement de travers tu l’abattais. Le bassin était plein de cadavres qui flottaient au ras de l’eau. Et moi, je savais que je n’avais plus la force de faire ma prochaine flexion et que tu allais me tuer ! » [5]
Comme nous l’avons vu ci-dessus, la communication, le « prendre soin » et l’horizontalité sont les trois piliers du polyamour et ils doivent concomitants. Quand je parle d’horizontalité, je fais référence au fait que les différentes personnes faisant partie de la relation doivent être dans la même situation et il ne peut pas y avoir une asymétrie de soins ou d’informations. Peut-être que c’est l’aspect le plus compliqué, car il implique le besoin de se retrouver dans une situation équilibrée par rapport au reste des personnes inclues dans le réseau affectif polyamoureux, mais il est vraiment nécessaire.
Pour arriver à cette horizontalité, nous devons prendre en compte un certain nombre de choses. Pour commencer, le patriarcat. Cela nous échappe parfois : le polyamour doit absolument inclure une perspective de genre. Nous ne pouvons pas penser que, dans une relation polyamoureuse, les hommes et les femmes sont au même niveau. Les hommes hétérosexuels ont toute une série d’attitudes et de comportements machistes bien ancrés et, même s’ils faisaient un grand travail de déconstruction, il leur serait bien difficile de changer. C’est ainsi que, dans un réseau affectif polyamoureux, il est très facile que l’homme, avec ses privilèges, se retrouve au centre et choisisse avec qui il couche et avec qui non, pendant que les femmes adoptent une attitude soumise et passive. Que se passe-t-il, alors, aves les « féminimacs » ? Ça peut être plus compliqué à repérer parce qu’ils sont souvent très subtils, qu’en ce qui concerne le polyamour, ils vont faire le célèbre « mansplaining [6] », « en prenant les rênes de la relation » avec l’excuse que c’est eux qui savent et agissant ainsi de manière paternaliste et privilégiée.
L’autre problème, c’est que les femmes ont également, comme les hommes, intériorisé certains comportements machistes. On nous a enseigné, depuis toujours, des attitudes comme la soumission à l’homme, ou la culpabilité… Et ceci joue vraiment beaucoup en notre défaveur, car bien des problèmes dans ce type de relations viennent de la jalousie et, si ces problèmes ne sont pas bien gérés, il n’y a plus d’horizontalité.
Il faut faire attention avec les situations comme celle dont je viens de parler, où l’homme est au centre d’un axe central autour duquel gravite le reste des femmes. Car il peut manipuler les femmes de manière consciente ou inconsciente, et c’est ainsi que la femme finira par se sentir coupable d’être jalouse des autres femmes, quand en réalité cette jalousie est probablement le fruit d’un manque de communication et d’une accumulation d’insécurités provoquées par l’homme lui-même.
Un autre aspect à prendre en compte, c’est celui des liens émotionnels et c’est bien la part qui m’est la plus douloureuse. Nous devons être très prudentes et ne pas nous relâcher quand nous souhaitons avoir des relations sexo-affectives avec un homme. Nous ne devons, à aucun moment, enlever nos « lunettes violettes », celles que nous mettons lorsque nous apprenons ce qu’est le féminisme, parce que lorsque nous sommes en relation avec quel que soit l’homme, il va reproduire des comportements machistes, même implicites. Le fait d’avoir un lien émotionnel, dans le cas d’une relation sexo-affective, peut faire que nous nous voilons la face et que nous n’arriverons pas à voir ces attitudes machistes.
Pour finir, il n’y pas de formule pour éviter qu’un réseau affectif polyamoureux ne se transforme en quelque chose de nocif et toxique mais, tout au moins, nous pouvons savoir d’où viennent les dangers que nous pouvons rencontrer, afin d’essayer de les éviter. De plus, il est indispensable de ne pas oublier la position de privilège qu’ont les hommes hétérosexuels, pour envisager d’élaborer, comme je l’ai dit auparavant, une bonne pratique du polyamour avec une perspective féministe.
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[1]Comme il est d’usage dans les milieux non monogames féministes en Espagne, l’autrice de cet article utilise le féminin de manière générique, c’est-à-dire qu’il s’adresse à tout le monde.
[5] Milan Kundera, L’insoutenable légèreté del’être, Gallimard, 1984.
[6]Le « mansplaining » désigne la situation où un homme (en anglais « man ») se croit en devoir d’expliquer (en anglais « explain ») à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, généralement de façon paternaliste ou condescendante. Wikipedia
Traduction: « Nous sommes en train de construire des espaces féministes ». Assemblea de Dones Feministes de Gràcia
Début décembre, j’ai participé à la 2ème rencontre sur les non-monogamies des pays catalans : Eixams (« Essaims », en français). Comme je le dis souvent, les seuls espaces que je considère « safe »[1] que je connaisse, concernant les non-monogamies, sont ceux organisés par l’Eixams et par Amors Plurals, en Catalogne. Ce qui ne veut pas dire que toutes les toutes les personnes qui y participent sont « safe », mais que l’espace l’est, parce que l’équipe organisatrice fait tout pour que cela soit ainsi. Je constate, dans la société catalane, une prise de conscience et des actions féministes efficaces, qui existent depuis bien plus longtemps qu’en France.
Lors de cette rencontre, différents ateliers, groupes de parole ou présentations, « Qui portent sur un des 4 axes principaux d’Eixams[2] sont proposés sous la forme d’un tableau horaire, sur les trois jours, à compléter par qui souhaite prendre en charge une activité. L’organisation se réserve le droit de superviser le contenu des activités afin d’assurer leur conformité aux principes éthiques et aux objectifs de l’événement.
Sur la plage web de l’événement, l’organisation [3] publieun code de conduiteque tout le monde doit lire et approuver avant de s’inscrire, qui est affiché pendant tout le temps de l’événement et auquel on se rapporte dès qu’il y a un dysfonctionnement. J’ai été témoin de comment, à plusieurs reprises, des membres de l’équipe organisatrice intervenaient pour rappeler certains aspects du code de conduite qui n’étaient pas respectés, comme, par exemple, le fait de prendre des photos sans consentement préalable.
La veille du dernier jour, j’ai été victime d’une agression verbale, et également témoin de comment celle-ci a été gérée par l’équipe organisatrice et de combien cela m’a été psychologiquement extrêmement bénéfique. Je voulais partager mon expérience, parce que suite mon intervention lors de la 2e conférence sur les non-monogamiesà Vienne, des personnes m’ont approchée ou m’ont écrit pour me demander des conseils pour rendre ces relations et ces espaces libres de violences.
L’agression verbale :
Dès le premier jour de l’évènement, sur le tableau horaire, j’avais proposé une activité non mixte, intitulée « thérapie féministe » et portant sur les violences faites aux femmes, qui devait avoir lieu le dernier jour.
Le soir de la veille dudit évènement, alors que je me reposais sur mon lit, dans une chambre partagée avec 5 autres personnes, vers 22h30, un couple qui dormait dans la même chambre est arrivé, parlant fort, et a commencé à m’interpeler au sujet de mon activité du lendemain, me reprochant le fait qu’elle soit non mixte et me demandant si j’étais informée du fait que les hommes aussi pouvaient subir des violences de la part d’une femme. Il s’en est suivi une discussion où j’ai présenté le plus calmement possible les raisons pour lesquelles l’activité était non mixte, que la décision avait été prise en accord avec l’organisation et indiqué que j’étais parfaitement au courant que les hommes pouvaient eux aussi être victimes d’agressions. Je passerai sur les détails de l’échange verbal, mais cela m’a secouée, car je ne m’y attendais pas en ce lieu, que je pensais sécure. L’homme est parti excédé, la femme est restée et j’ai pu lui dire clairement[4] que :
Ils avaient envahi mon espace personnel.
Je me sentais agressée par leurs propos.
Je me reposais à leur arrivée et j’en avais vraiment besoin, donc je lui demandais de quitter la chambre.
Puis je suis restée assez bouleversée par ce que je venais de vivre, à essayer de comprendre ce qui s’était passé, quand j’ai entendu la voix d’une des organisatrices dans le couloir et je suis sortie pour lui dire que j’avais besoin de lui parler.
Écoute et prise en charge :
Après m’avoir écoutée, elle a tout de suite réagi en posant des mots qui m’ont fait beaucoup de bien : « C’est grave. Il s’agit d’une agression verbale, qui rompt avec le code de conduite et va à l’encontre d’un espace féministe où le fait de réaliser une activité non mixte ne doit pas être remis en cause ». Propos suivis immédiatement d’une question : « De quoi as-tu besoin ? » et de proposition concrètes : « Est-ce que tu veux aller te reposer ailleurs ? Tu veux choisir quelqu’un pour te tenir compagnie pendant que je présente ce qu’il vient de se passer à l’équipe organisatrice ? On va ensuite prendre des décisions, dont tu seras, bien sûr, informée, et sur lesquelles tu pourras donner, à tout moment, ton avis.».
Une amie est donc venue me rejoindre dans la chambre et, environ une demi-heure après, j’ai été appelée par l’équipe organisatrice. Ensemble nous avons décidé que deux femmes de l’organisation iraient parler avec le couple, pendant que je restais à l’écart, dans un espace inaccessible pour eux, accompagnée de deux amies, et que ces femmes allaient les informer que :
Ils avaient commis une agression verbale qui rompait avec le code de conduite.
Pour ma tranquillité, ils devaient aller dormir dans une autre chambre, éloignée de la mienne.
Qu’ils ne pouvaient pas aller dans les espaces communs proches de ma chambre, ni être à ma table dans le réfectoire, ni participer aux mêmes activités que moi ou à celles que j’organiserai.
Qu’une décision serait prise le lendemain sur le fait qu’ils pourraient continuer à participer ou pas aux rencontres organisées par l’Eixams.
Le couple, qui étaient venu en voiture, a finalement pris la décision de partir à 1 heure du matin.
Le lendemain, lors de l’activité de clôture de la rencontre, l’équipe organisatrice a expliqué la situation à l’ensemble de personnes présentes, a donné les noms des agresseur.e.s et également mon nom, cela à ma demande, car ils m’avaient proposé de ne pas le donner si tel avait été mon souhait. Il a été spécifié que leur participation à d’autre événements n’allait plus être possible.
Bénéfices psychologiques :
Grâce à cette prise en charge, qui m’a semblé en tout point exemplaire et que je n’avais jamais vécue auparavant, je me suis immédiatement sentie bien et en sécurité. J’ai pu rapidement exprimer ce que j’avais vécu et ressenti, non seulement à une personne de l’organisation, mais également à une amie proche et j’ai été non seulement crue, mais mes propos ont été validés par des mots justes et réconfortants, ainsi que par des actions rapides et efficaces.
La situation a été prise en charge par des personnes compétentes, sans que je doive m’occuper de quoi que ce soit et mon avis a été en tout temps sollicité et pris en compte.
L’ensemble des participant.e.s a été mis au courant et a connu le nom des personnes impliquées.
Contrairement à d’autres agressions que j’ai pu subir dans mon existence, cette prise en charge remarquable a fait que je n’ai pas été mentalement envahie par des questionnements, des doutes, des remises en question, des ruminations, des angoisses, des peurs, de la culpabilité ou autres mécanismes qui se mettent en place en cas de violences.
Nécessité de chartes, de codes de conduites et de protocoles féministes :
Tout cela n’a été possible que parce que toutes les personnes de l’équipe organisatrice avaient un positionnement clair et homogène, grâce à l’existence de textes écrits et de stratégies déjà mises à l’épreuve dans d’autres contextes. Elles m’ont expliqué qu’elles s’étaient inspirées de protocoles féministes déjà existants pour en rédiger un pour l’évènement.
J’ai été ainsi informée du fait qu’il existe depuis quelques années, en Catalogne, des protocoles féministes mis en place lors d’évènements comme des manifestations mais également des fêtes populaires. Que toutes les municipalités catalanes ont une Commission des Droits Humains et de l’Égalité des sexes, dirigée par une conseillère, que la plupart d’entre elles ont un plan local de lutte contre les violences de genre et certaines ont mis en place un protocole féministe pour lutter contre les violences faites aux femmes.
J’ai donc fait une recherche sur Internet au sujet de ces plans de lutte et protocoles qui feront l’objet d’un autre article sur ce blog et qui pourront être repris afin qu’ici en France, les espaces mixtes soient sécures et que toute agression soit immédiatement prise en charge de manière compétente et efficace.
[1]Quitte à ce que mes propos déplaisent, mais ils n’engagent que moi, je tiens à préciser qu’aucun espace poly ou non monogame, en France, auquel j’ai participé (ni, à priori, ceux dont on m’a parlé), ne m’a paru être réellement « safe ». Je parle également de ceux que j’ai essayé d’organiser de manière la plus « safe » possible, pendant deux ans, avec force chartes et précautions. Malgré toute ma prudence et toute ma vigilance, je sais qu’il y a eu des personnes qui y ont participé dans d’autres intentions que d’échanger des propos et des questionnements personnels sur les relations non monogames consensuelles, et j’ai eu à faire à des prises de parole problématiques ou invasives et certaines interventions agressives, très difficiles à gérer toute seule. Il y a eu aussi la participation clandestine d’une apprentie journaliste qui a publié par la suite un article, soi-disant satirique, sur le sujet. C’est la raison pour laquelle j’ai arrêté d’organiser des groupes de parole à la fin de cette année. C’est également pour cela que je vais (re)commencer à organiser des groupes non mixtes, en 2018, pour ma tranquillité personnelle et celles des participantes, comme je l’avais fait initialement avec un filtrage, une charte encore plus précise et un protocole féministe inspiré de ceux mis en place par les catalanes.
[2]Traduction de la présentation des 4 axes, sur la page d’accueil de l’événement (tout est rédigé au féminin, comme j’ai pu l’observer dans bien des espaces féministes catalans, même mixtes) :
Axe thématique principal : La diversité affective sous ses diverses formes, entendue dans le cadre des non-monogamies éthiques, ainsi que de ses pratiques et ses activismes.
Axe féministe : Eixams est un événement qui s’inscrit dans une perspective intersectionnelle qui met l’accent sur les luttes féministes, antipatriarcales et LGBTI+. Nous proposons de faciliter une place d’apprentissage pour comprendre les privilèges de classe, de genre, d’orientation et d’identité sexuelle, de migration, d’ethnie et autres. Nous tenons à ce que cet espace soit le plus sûr possible pour toutes les participantes et il en va de la responsabilité de toutes. Nous nous basons sur la compréhension et la pratique active du concept de consentement de la part de de chaque personne qui y participe et, par conséquent, nous avons élaboré un code de conduite que toutes les participantes doivent explicitement respecter.
Axe de la langue et du territoire : Eixams a comme cadre de référence territoriale les Pays Catalans. Dans de cet axe le but est double : renforcer la langue catalane et faire apparaitre les non-monogamies sur la carte des activismes du territoire.
Axe économico-social : Eixams est un espace anticapitaliste et écologiste, tout particulièrement sur les questions de de la recherche de formes d’organisation économiques, sociales et familiales alternatives à celles imposées par l’économie actuelle, et la recherche de formes de consommation respectueuses.
[3]Composée cette année de trois femmes et deux hommes.
[4] J’ai utilisé la technique des trois phrases apprise pendant deux formations d’auto-défense féministe, la première avec l’associationGarance à Bruxelles et l’autre avec l’association Loreleï à Paris. Elle consiste à s’exprimer trois phrases courtes et précises :
1re phrase : décrire le comportement dérangeant
2e phrase : décrire le sentiment que ce comportement provoque chez nous
Ce blog « reprend vie » après un long silence. J’ai été prise par la préparation de ma présentation pendant la 2nd Non-Monogamies and Contemporary Intimacies Conferencedébut septembre, puis par la rentrée, ensuite par le mouvement #metoo et enfin par ma participation au 2eEixams, début décembre, dont je parlerai très bientôt.
J’avais commencé à traduire cet article de Coral Herrera Gómez dès sa parution, puis il est resté bien au chaud quelque part dans le disque dur de mon ordinateur. Les vacances de fin d’année et une baisse de travail en début d’année me donnent, et me donneront, le temps de continuer mes traductions et publications.
C’est le 3ème article de Coral que je traduis ici et le 5e que je traduis. J’apprécie beaucoup ce qu’elle écrit. Elle a été la première autrice à me faire prendre conscience des dégâts provoqués par les mythes de l’amour romantique et par la pensée monogame. Elle m’a également permis de me rapprocher de la pensée féministe, puis de revendiquer mon appartenance au féminisme.
Pourquoi les hommes patriarcaux mentent-ils ? Pourquoi séduisent-ils les femmes avec des promesses d’avenir et fuient quand ils les ont conquises ? Pourquoi pensent-ils que c’est normal, voire nécessaire, de cacher des informations à leur conjointe, mais ne supportent pas qu’elle fasse de même ? Pourquoi défendent-ils autant leur liberté mais limitent celle de leur compagne ?
Pourquoi un homme peut être quelqu’un de bien avec tout le monde, sauf avec sa femme ? Pourquoi les clubs de strip-tease sont-ils plein d’hommes mariés, tous les jours de la semaine ? Pourquoi y-a-t-il certains pays où je sais qu’il est habituel que les hommes aient deux ou trois familles parallèles [1], alors qu’ils ont juré devant l’autel de l’église ou devant le maire d’être fidèles à leur partenaire officielle ?
En amour comme à la guerre, tous les coups sont permis, mais c’est la bataille la plus importante de la guerre des sexes. Le régime hétérosexuel se base sur une répartition des tâches dans laquelle les hommes sortent toujours gagnants : ils imaginent et imposent les normes que les femmes doivent suivre. Ils veulent la monogamie, jurent fidélité, promettent la sincérité et, à la moindre opportunité, changent les règles du jeu et s’emberlificotent dans de nombreux mensonges.
Ces mensonges sont intimement liés à la masculinité patriarcale. Tromper et trahir les pactes acceptés est la conséquence directe du fait de signer un contrat dans lequel, apparemment, nous partons sur une base de conditions égales, mais qui est fait, en réalité, pour que nous soyons fidèles et nous attendions sagement à la maison pendant qu’eux font ce qu’ils veulent dehors. La monogamie est donc un mythe qui a été créé pour nous, très utile pour maintenir le lignage paternel et la transmission du patrimoine et encore bien plus utile pour nous domestiquer et nous enfermer dans l’espace domestique.
Dans la bataille de l’amour hétéro, le pacte est : « Je n’ai pas de relations sexuelles en dehors de notre couple donc, toi non plus ». Il s’agit de définir des limites pour tous les deux et de renoncer à la liberté sexuelle ou, encore mieux : faire en sorte qu’elles pensent qu’eux aussi s’engagent à respecter cette auto-imposition. Mais non : les stratégies font que les femmes s’autocensurent, alors qu’eux font ce dont ils ont envie, en sachant qu’ils bénéficient d’une impunité relative et qu’ils seront pardonnés.
Dans cette guerre des sexes, ils arrivent armés jusqu’aux dents, alors que les femmes sont démunies et amoureuses. Ils ont un jeu d’avance et ils gagnent pratiquement à tous les coups : la double morale nous désigne comme fautives et eux sont toujours pardonnés. Pour pouvoir profiter de la diversité sexuelle et amoureuse typique de ce que le mâle recherche les hommes savent qu’ils doivent défendre leur liberté pendant qu’ils mettent des limites à celle de leur partenaire. Et pour y arriver, ils font des tas de promesses, mentent beaucoup, trompent et trahissent leurs ennemies.
Car les femmes ne sont jamais vraiment des compagnes : ils les considèrent comme des adversaires qu’il faut séduire, domestiquer et maintenir dans la tromperie de l’amour romantique et des bontés de la famille patriarcale.
La double morale du patriarcat permet que les hommes puissent avoir une double vie : une en tant qu’adultes responsable et une autre en tant que gamins menteurs qui n’assument jamais les conséquences de leurs actes. Les hommes comprennent vite qu’ils peuvent abuser de leur pouvoir car le marché de l’amour est plein de femmes qui ne demandent qu’à être aimées. De la même manière que les grands patrons abusent de leurs employé.e.s parce que la main d’œuvre abonde, et qu’il y a un réel besoin de travailler, malgré de faibles salaires ; les hommes patriarcaux savent qu’ils peuvent mentir et profiter de très nombreuses femmes avec une très faible estime de soi et qui ont besoin d’amour. Les mêmes qui préfèrent supporter mensonges et tromperies, plutôt qu’être seules et qui, rarement, voient cette manière de les traiter comme de la maltraitance. Ce qui veut dire qu’il est difficile de se rendre compte que ces comportements sont violents, parce que cette violence est normalisée dans notre culture patriarcale.
Toutefois, les hommes patriarcaux considèrent qu’ils sont de bonnes personnes. La duperie fait partie des stratégies guerrières, c’est pour cela que trahir et mentir aux femmes avec qui ils sont en relation ne les fait en aucune manière se sentir comme des traitres ou des menteurs. C’est juste une façon de dominer et d’être en relation avec l’ennemie. Et quand l’ennemie est une femme, il n’y a pas de normes, ni principes ni éthique qui vaillent : dans la culture machiste, toute stratégie est bonne à prendre. L’objectif sera toujours celui de soumettre les femmes, afin de vivre mieux à leur dépend, de sauvegarder l’honneur et d’augmenter leur prestige devant les autres hommes.
C’est la raison pour laquelle l’honnêteté n’existe pas chez les hommes patriarcaux. Il n’y aucune contradiction, et cela ne leur pose pas de problème. C’est tout simplement que, s’ils étaient honnêtes, ils ne pourraient pas avoir tout ce qu’ils veulent, ils ne pourraient pas avoir des maitresses et une femme fidèle, ils ne pourraient pas faire ce qu’ils souhaitent sans rendre de comptes à qui que ce soit, ils ne pourraient pas mentir, cumuler des richesses, voler ou utiliser leur pouvoir pour profiter des autres. L’honnêteté ne va pas de pair avec les valeurs de la masculinité patriarcale, en tout cas pas sur le terrain de la guerre contre les femmes.
La monogamie et l’honnêteté masculine :
Elle : Chéri, qu’est-ce que tu fais ?
Lui : Je suis au lit, sur le point de m’endormir. Et toi, ma chérie ?
Elle : Je suis derrière toi, au bar.
Voici la trame de base des blagues machistes : il ment, elle l’attrape sur le fait. C’est le jeu du chat et la souris : dans les relations hétéros, nous sommes les flics, les juges et les geôlières, eux, ce sont des gamins turbulents qui s’amusent à faire souffrir leur mère.
La monogamie est une invention du patriarcat pour nous maintenir enfermées et occupées. La tromperie consiste à nous faire croire que l’adultère n’est pas la norme, mais une exception et que nous pouvons l’éviter en étant complaisantes avec nos maris, en obéissant aux normes, en satisfaisant tous leurs besoins et en évitant que d’autres femmes les approchent. Certaines vivent résignées à ce que l’oisillon s’échappe de temps en temps de son nid. Quand elles découvrent ses infidélités, elles lui demandent d’aller dormir quelques jours sur le canapé, mais peu après, il finit toujours par revenir dans le lit conjugal.
Pourquoi les femmes investissent autant d’énergie à surveiller, punir et pardonner leur conjoint ? D’abord, parce que dans bien des pays les femmes ne peuvent divorcer que depuis peu, et avant cela, elles ne pouvaient pas toucher elles-mêmes leur salaire, avoir leur propre entreprise ou même ouvrir un compte en banque[2], de sorte que la dépendance émotionnelle s’accompagnait de la dépendance économique et il fallait avaler des couleuvres, même si c’était humiliant de se savoir trompée. [3]
Ensuite, parce que la double morale justifie l’adultère masculin tout en culpabilisant les femmes : ce sont elles les séductrices qui tentent les hommes. Le monde est rempli de mauvaises femmes qui ne respectent pas la propriété privée des femmes, qui tentent les hommes à chaque pas. Avec autant de méchantes séductrices, c’est « normal » que les pauvres petits chéris ne puissent pas résister.
Avec ce genre de logique, la culture patriarcale nous monte les unes contre les autres et nous fait sentir comme rivales les unes des autres. C’est pour cela qu’on pardonne au mari et rejette la faute sur toutes les autres. C’est le patriarcat qui le dit : les hommes ont un appétit sexuel démesuré et, bien qu’ils fassent de gros efforts pour le contrôler, ce sont des personnes de chair et de sang. Ils ne peuvent que succomber aux charmes féminins parce qu’ils sont faibles et qu’ils n’arrivent pas toujours à résister à la tentation. C’est pour cela qu’ils vont voir les putes avec des copains ou qu’ils se laissent séduire par des perverses voleuses de maris.
C’est ce qui est arrivé au pauvre Adam, qui s’est laissé emporter par l’insolente et désobéissante Ève. Dans cet imaginaire patriarcal, c’est toujours nous qui sommes fautives : aussi bien en ce qui concerne les infidélités masculines, que pour les féminines, qui sont infiniment pires que les masculines.
Nos infidélités sont monstrueuses et nous n’en sortons jamais indemnes : toutes les vilaines femmes sont découvertes et punies, aussi bien dans la réalité que dans les fictions. Certaines sont torturées, d’autres sont violées ou assassinées : le patriarcat nous soumet aux pires châtiments pour essayer de nous dissuader d’aller voir ailleurs.
Quand nous tombons amoureuses d’une autre personne ou nous avons des relations en marge du couple hétéropatriarcal, nous sommes des traitresses et nous mettons en péril tout le système économique, politique, sexuel, social, culturel. De ce fait, il est très important de nous soumettre à des châtiments cruels car nous désobéissons aux directives de genre et nous les poussons dans leur retranchement.
Les hommes patriarcaux ne supportent pas les infidélités, ni les tromperies, ni les mensonges. Ils ont horreur que d’autres hommes se moquent d’eux et les traitent de cocus. C’est ce qui arrive aux faibles, à ceux qui ne savent pas dominer leur femme. C’est pour cela qu’ils préfèrent se marier avec des femmes gentilles, celles qui ont été éduquées pour être comme leur mère : qui leur indiquent le bon chemin à suivre, qui dépensent beaucoup d’énergie à les élever, les domestiquer, les surveiller, les pardonner maintes fois. Eux n’ont qu’à faire comme s’ils n’y pouvaient rien, dire qu’ils étaient bourrés, drogués ou forcés, le regretter et promettre de ne plus recommencer.
Les hommes patriarcaux se réjouissent d’être le centre d’intérêt, de savoir que, plus ils se comporteront comme des salauds, plus elles leur courront après. Ils ont besoin de femmes peu sûres d’elles, jalouses, qui les contrôlent, avec une très faible estime de soi, rongées par la peur de la solitude et de l’abandon. Ils ont besoin de les faire souffrir pour se sentir importants et pour obtenir des preuves d’amour sous forme de drames, de querelles et de pleurs. Ils ont besoin de se sentir nécessaires, indispensables et puissants parce qu’ils sont dans l’incapacité d’avoir des relations égalitaires. La masculinité patriarcale gonfle leur ego et fait baisser leur estime de soi. C’est ainsi que le patriarcat veut les voir : peureux, impuissants, peu sûrs d’eux, violents et très occupés à démontrer que c’est eux qui portent la culotte.
Les avantages et les plaisirs de l’honnêteté.
Le romantique est politique : si nous voulons transformer, améliorer ou révolutionner le monde dans lequel nous vivons, nous devons changer la façon dont nous vivons nos relations sexuelles, affectives et émotionnelles. Afin de construire un monde meilleur, il faut arriver à délivrer l’amour de toute sa charge machiste et en finir avec les guerres romantiques qui perpétuent l’inégalité et les violences.
Nous, les femmes, nous avançons actuellement, à pas de géant, en dépatriarcalisant nos émotions, nos discours, nos comportements, notre façon de construire des relations. À partir du féminisme, nous cherchons à éliminer les contradictions et connecter ce que nous pensons, ce que nous sentons, ce que nous disons et ce que nous faisons. Honnêteté et cohérence sont les clés pour aller de la théorie à la pratique : nous voulons un monde meilleur, nous voulons des relations plus saines, plus agréables et plus satisfaisantes. Nous ne voulons pas être le frein à main des hommes : nous voulons être leurs compagnes.
Quelques hommes ont également entrepris la tâche de déconstruire leur masculinité patriarcale et de fabriquer des outils qui pourront leur permettre d’avoir des relations égalitaires. Mais il reste encore bien du boulot : ils sont peu nombreux, mais il y en a de plus en plus. Je suis optimiste depuis que je suis entrée en contact avec des hommes et des femmes qui vivent des masculinités dissidentes. Puisque d’autres formes de masculinité sont possibles, d’autres manières de nous aimer le sont également, d’autres manières de nous accompagner et de prendre soin de nous.
En étant honnête, il est plus facile de construire des relations basées sur la confiance, la sincérité et la complicité. Travailler le thème de l’honnêteté est fondamental pour désapprendre le machisme, déloger les patriarcats qui nous habitent, créer des relations libres de violences, de jalousie, de tromperies, de tourments et de drames.
L’honnêteté dans les relations de couple nous permet de nous connecter à partir du centre de notre existence avec l’autre, avec les autres. À partir de ce lieu, nous pouvons être nous-mêmes, communiquer sans masques ni armures protectrices. En travaillant ensemble l’honnêteté, il possible de se montrer comme on est, comment on se sent, ce que nous voulons et ne voulons pas, ce dont nous avons besoin pour être bien.
Il est possible de marcher dénudée sans peur, il est possible de se montrer telles que nous sommes, faire confiance et construire des relations qui nous correspondent, avec des accords mutuels et en travaillant en équipe.
En définitive, je crois que l’honnêteté est un pari à travailler comme un défi pour toutes les personnes qui souhaitent dépatriarcaliser les masculinités, cultiver l’éthique amoureuse et prendre soin de l’autre, afin de construire des relations basées sur la solidarité et le plaisir d’être ensemble.
[1] Coral Herrera Gómez vit au Costa Rica (elle est rentrée en Espagne début 2020). Tout comme elle, j’ai constaté, dans certains pays d’Amérique latine, le fait qu’il existe ce qui s’appelle « la grande maison » (« la casa grande ») et « les petites maisons » (« las casas chicas ») : la première avec l’épouse et les enfants officiels, et les autres avec les maîtresses et leurs enfants (parfois reconnus par leur père, mais pas systématiquement). (NdT)
[2]Chronologie des Droits des Femmes en France :
1907 : La loi accorde aux femmes mariées la libre disposition de leur salaire.
1965 : Loi de réforme des régimes matrimoniaux qui autorise les femmes à exercer une profession sans autorisation maritale, à ouvrir un compte en banque et à gérer leurs biens propres.
1975 : Instauration du divorce par consentement mutuel. (NdT)
[3]Encore aujourd’hui, de nombreuses femmes restent pour des raisons financières et également « pour les enfants ». (NdT)
L’article est paru sur le blog totamor, au mois de décembre 2016. J’ai tout de suite demandé l’accord de l’autrice pour le traduire et elle l’a donné rapidement. J’aurais vraiment aimé pouvoir le faire avant, mais toute traduction et écriture d’articles est réalisée sur mon temps libre et, ces derniers mois, puisque j’ai suivi une formation en thérapie féministe à Barcelone (un week-end par mois, pendant 3 mois), les jours et les semaines ont filé à toute vitesse.
Ma lecture de cet article est qu’il ne s’agit pas d’une injonction à devenir le MPP (Mec Polyamoureux Parfait — clin d’œil à la PPP, Personne Polyamoureuse Parfaite), mais bien d’une invitation à s’interroger sur ce que cela signifie d’entrer en relation avec une femme non monogame (polyamoureuse) et féministe. Qu’il ne s’agit pas de juste « d’ouvrir son couple », de « se dire féministe et polyamoureux », mais de réellement se poser toute une série de questions et d’envisager les relations autrement qu’à travers le prisme patriarcal. [NDT]
Récemment, je partageais sur Facebook, avec des copines très sympas, la conversation que j’ai eue avec un attachant compagnon de vie. Nous étions arrivées, une fois encore, à la conclusion non précipitée, mais probablement avec un préjugé, qu’il était quasiment impossible de connaître un homme polyamoureux en ce qui concerne la conviction et l’éthique. Car cela implique, avant tout, de renoncer aux privilèges patriarcaux, qui peuvent même augmenter avec une vie polyamoureuse.
Quand je lis comment se présentent les hommes dans un groupe « poly » sur Facebook, je lis le même discours réchauffé sur leur style de vie, les envies d’ouvrir leur monde, de ne plus mentir, de connaître des filles et/ou des couples et ainsi de suite… Je ne veux pas dire que c’est bien ou mal, mais je ne vois pas d’hommes qui essaient, au minimum, de se poser la question de l’hégémonie de leur masculinité, qui s’interrogent sur les relations de pouvoir et tout ce que cela signifie. Qui se demandent ce qu’est réellement l’amour, ce que ça veut dire être en couple et bien d’autres questions… Par contre, (ah, ça oui !), j’en vois beaucoup qui essaient de draguer avec leurs likes ou qui écrivent des commentaires qui montrent combien ils ignorent tout du féminisme.
Cela fait plus de dix ans que je vis la proposition politique du polyamour et que j’y réfléchis (que j’envisage aujourd’hui plutôt comme un « contre-amour » [1]). Je peux compter sur les doigts d’une main ceux qui travaillent à détruire les leurres de la virilité et font leur boulot de déconstruction patriarcale, ceux qu’on peut vraiment considérer comme des alliés
Face à cette constatation, une copine me demandait, avec acuité : un homme[2] polyamoureux avec conviction et éthique, ce serait comment ?
Voici ma réponse que je partage aujourd’hui publiquement :
Pour commencer, c’est plutôt complexe d’avoir à établir un « profil » d’homme polyamoureux avec conviction et éthique. D’abord, parce que je ne suis pas un homme et comme je n’ai pas leur corps, et que je n’ai été élevée en tant qu’homme, je ne peux pas me mettre dans leur peau. Cependant, ce que je peux me permettre, c’est de parler du type d’homme avec lequel j’aimerais pouvoir avoir une relation affective en tant que femme féministe.
[Je ne sais pas trop comment nommer les masculins. Le mot « homme » ne me plait pas. […] Personnellement, en général, je ne fais pas référence aux masculins, au quotidien, je choisis de leur demander comment ils souhaitent être appelés et, au-delà des pronoms, j’apprécie de les connaitre en tant que Manuel, Carlos ou Ramón, par exemple.] Une personne considérée socialement comme masculine (de manière indépendante de ses organes génitaux).
Je suis intéressée par celui qui désobéit et encore plus si cette désobéissance est en relation avec son propre genre, c’est-à-dire s’il s’en fout pas mal si on l’appelle « gay », « putain », « homo », s’il n’est pas « intéressé » par l’idée d’avoir à « sauver » sa masculinité, mais s’il interroge de manière précise tous les imaginaires sociaux qui accompagnent l’étiquette « homme », « masculin », « mec » et connexes. S’il ne fait que les assumer sans se poser de questions, avec tout l’imaginaire associé au patriarcat que cela comporte, alors, il nous sera impossible de faire équipe et d’avancer ensemble. Qu’il renonce à se voir comme un chevalier, comme un prince charmant ou comme n’importe quelle image du même acabit, qu’il renonce à toutes les catégories de genre qui le nomment avec une vision androcentrique, qu’il se cherche et qu’il cherche, et qu’il ne reste, jamais, dans une zone de confort.
Qu’il reconnaisse qu’il a été éduqué avec des privilèges qui l’ont mis au centre de la pensée et que, par conséquent, il fasse un travail exhaustif pour questionner tout ce qu’on lui a présenté comme étant normal, naturel et nécessaire. Qu’il ne lutte pas pour avoir le beau rôle, qu’il soit plus à l’écoute, qu’il parle sans en imposer, sans enseigner, sans s’approprier la parole, mais en la partageant. Qu’il cesse catégoriquement d’être le complice des autres hommes, avec leurs blagues, leurs commentaires ou leurs bruits de couloir, qu’il établisse son propre positionnement, même si cela implique de ne plus être d’accord avec sa famille ou ses potes machistes (si tu es de ceux qui « par jeu » acceptent les blagues sur « les filles », « les putes », « les salopes » et d’autres terribles clichés sexistes, pars, éloigne-toi immédiatement).
Qu’il questionne l’exercice du pouvoir qui lui a était enseigné à partir de l’hétérosexualité (ici entendue comme régime politique) non seulement en tant qu’exercice de rencontre érotique et affective mais aussi comme un entrelacs social et idéologique. Qu’il ose explorer son corps. Par exemple, avant de demander à avoir du sexe anal, qu’il partage d’abord son cul (quel délice de jouer avec un « strap-on ») et qu’il en comprenne le plaisir, qu’il ose explorer ses sensations et qu’il sache tisser une connivence érotique pour vivre des moments partagés, en se posant la question du désir colonisé (s’il a des soucis avec les poils aux aisselles, les chairs abondantes ou s’il n’arrête pas de parler d’un « corps de rêve », alors ouste : je ne veux rien avoir à faire avec lui).
Qu’il lutte contre ses peurs, ses colères, ses insécurités, qui se traduisent en démonstrations de contrôle (parfois de manière subtile, d’autres contendants, mais toujours violents, toujours cette violence), où il demande des certitudes, établit des « hommenismes » de vigilance contre sa « partenaire » au « nom de l’amour », qu’il jalouse, conquière et séduit. Qu’il se rendre compte des dialectiques du maître et de l’esclave (selon Hegel) qui entrent en jeu dans les relations actuelles et qu’il en questionne la provenance. Qu’il ne « vende » pas et ne me « vende » pas du rêve et remette tout à un hasard métaphysique. Si un homme utilise dans son champ lexical les termes « conquérir », « séduire », « je l’ai prise », « je l’ai draguée », « elle m’a envoyé dans la « friendzone » » etc, sans se poser la question de leurs implications idéologiques, il est temps de dire adieu et rapidement.
Qu’il lise, lise beaucoup, non pas afin d’arriver à être un « mec progressiste de type intellectueloïde », mais qu’il s’autorise à bien placer historiquement les différents discours qui soutiennent la pensée amoureuse. Qu’il comprenne le discours sur le pouvoir de « l’amour », sur les débuts du mariage, les implications de la monogamie et le couple, les complexités de la famille nucléaire. S’il commence par dire qu’il recherche « sa moitié », qu’il se sent seul ou qu’il aimerait se sentir complet, je pars en courant. Je suis intéressée par un compagnon avec qui partager tous nos manques, nos doutes et nos incertitudes. Je ne souhaite pas qu’on me donne, ni je ne souhaite donner de la stabilité, mais je veux de la réflexion partagée. Je ne veux pas d’homme féministe (ils ne peuvent pas l’être) mais d’un allié.
Qu’avant de nous donner « des titres nobiliaires de possession » et de les défendre devant le monde entier : « ma copine », « ma fiancée », « ma femme », « ma », « ma », « ma »… nous soyons compagnons, amis, complices et par la même notre vie commune sera faite de joie, de fraicheur, de pactes, d’accords à court ou moyen terme. Que nous essayions, que nous cherchions, que nous inaugurions des formes effectives de communication, que nous travaillions ensemble face aux suppositions, contre les vices du « je sais bien de quoi tu parles… » et tout ce qui use les relations. De la créativité, beaucoup de créativité. L’amitié est un exercice politique qui a bien des coins et des recoins à explorer.
Qu’il ait sa propre vie, ses ami.e.s, ses envies, ses actions en tant que personne singulière. Qu’il n’ait pas besoin de moi, qu’il ne m’idéalise pas, qu’il ne me transforme pas en « la femme de ses rêves », qu’il me respecte, qu’il se respecte et construise sa vie pour lui et avec lui. Nous nous accompagnons, nous ne nous possédons pas. Nous sommes des personnes autonomes et libres, et non pas de la glu.
Qu’il détruise ou déconstruise les rôles de genre. Qu’il écarte les jeux de compétitivité, de hiérarchie, du pseudo dilemme émotion/raison. S’il ne voit pas les relations de manière horizontale, je n’entre pas dans sa vie. Décolonisons, s’il-te-plait !
Qu’il soit partant pour établir des accords de communication, d’engagement et d’honnêteté. Non pas d’une honnêteté forcée ou de confessionnal, mais faite d’un bonheur qui se sent et qui se pense. Et oui, cela lui coûtera, très certainement, de lâcher prise. Nous sortons de très nombreuses années, de siècles de « jen’aipasbesoindeparler, jenepartagepasmesémotions », c’est pour cela que sa vulnérabilité, sa mise à nu, doivent être radicales. Un travail conjoint de dé-romantisation de tout ce que nous pensons exact et unique.
Que notre engagement ne soit pas seulement de prendre soin l’un de l’autre, dans le sens de « faire attention à l’autre », mais de prendre également soin de la relation. Ce qui implique que, si l’un des deux a une autre relation, il y ait des accords simples et basiques pour gérer les émotions, les sentiments qui se sont établis. Je ne demande pas de la compersion ou de la compréhension instantanée, je ne demande pas que l’on m’accompagne à mon rythme, mais je souhaite des initiatives pour soulager la douleur (comprendre la culpabilité et la souffrance comme des émotions issues de l’inconscient de la société patriarcale). Je veux et je donne une écoute active, je veux et je donne de la transparence.
À partir de cette perspective, si tu souhaites entrer en polyamour (même si je te suggère de bien faire attention et de ne pas le voir comme une panacée universelle) et tu es né dans un corps d’homme, je te suggère de passer en revue toutes les notions de renoncement, de questionnement et de désobéissance.
Un pari qui est quasiment impossible si tu conserves tous tes privilèges.
[1]L’autrice utilise cette expression (qu’elle explique dans cet article en espagnol), car elle considère l’amour comme une catégorie politique, culturelle, de genre, classe et ethnie.
[2]J’ai traduit « varón » par « homme ». Mais, en fait, en français, il n’y a pas d’équivalent, car ce mot veut dire, selon les contextes : « homme », « garçon » ou « mâle ». J’aurais pu choisir « mâle », mais je trouve que la traduction en espagnol en est plutôt « macho » que « varón ».
« Le nous groupal fonctionne de manière hiérarchique, excluante et confrontationnelle. » B.V.
Extrait du (futur) livre de Brigitte Vasallo ( Pensée monogame, terreur polyamoureuse), qu’elle a présenté à Aula Oberta, le 14 février dernier, au CCCB (Centre de Culture Contemporaine de Barcelone), dans le cadre du cycle “Saber, hacer, comprender”, organisé par l’Institut d’Humanitats de Barcelone. Publié dans un article de bcnsedesnuda.
« La monogamie n’est pas une pratique, c’est un système d’organisation des relations qui hiérarchise le noyau reproducteur et le protège par des dynamiques d’exclusion et de confrontation. » B.V.
Le regard que pose Brigitte, à la fois sur notre société monogame hétéronormative occidentale et sur le monde de la non-monogamie, m’a toujours paru extrêmement lucide et critique.
Tant que la non-monogamie sera considérée comme la nouvelle manière, à la mode, cool, de vivre les relations, et se développera ainsi, je ne prévois guère de changements dans notre manière de les vivre, si ce n’est que par la multiplication. Si être polyamoureux.euse, c’est juste avoir plusieurs relations, comme je l’ai souvent entendu dire en France et en Belgique, sans réflexion profonde sur la manière dont nous entrons en relation, les mêmes modèles seront reproduits et pire, seront démultipliés, avec toutes leurs formes d’oppression et de maltraitance.
En ce qui me concerne, bien que je sois une femme blanche cis, hétéro et (sur)diplômée, je me sens à la marge de cette société. Je vis dans une relative précarité depuis toujours, au jour le jour, parfois ici, d’autres fois ailleurs, sans emploi, ni pays, ni domicile fixes, sans biens, ni hypothèque, ni future retraite. Sans compagnon.gne de route, mais toujours accompagnée, sauf dans des périodes plus ou moins longues de solitude voulue et vitale. Entourée de toutes formes de (nombreuses) relations affectives, d’autres qui ont été uniquement sexuelles et d’autres encore sexo-affectives. Certaines sur le long et d’autres sur le court terme. Je redéfinis de jour en jour les mots « amour » et « amitié ». Dans ce contexte, être non monogame fait partie de ma manière de vivre, d’une philosophie de vie, hors normes sociales. C’est en cela que je me retrouve complètement dans ce texte. Brigitte m’a dit écrire en pensant à moi. Je veux bien la croire, car elle écrit en pensant aux êtres qui, comme elle, comme moi, n’arrivent pas à entrer dans le moule et ont tellement de mal à se sentir à l’aise dans cette société où, faute de trouver une place, nous vivons en marge. [NDT]
« C’est facile de donner une réponse bucolique aux critiques, sur un horizon paisible où le désir circule par des canaux déjà connus ou en disant que tous les corps sont désirables. Mais, par la suite, après, avant et sur ces mots, la vérité s’envole et sur ce plan, concret, les personnes qui ont le plus de succès socialement parlant s’unissent aux personnes qui ont également le plus de succès, beauté sur beauté, glamour sur glamour. L’attraction, le capital érotique, est contextuel. Nous pouvons changer les formes, les mèches blondes, les haut-talons par des chaussures cloutées, finalement c’est toujours le même modèle qui s’impose partout.
Quand le polyamour ou les autres types de relations à visée non monogame oublient de questionner la base même des désirs et la base même de la monogamie, avec leurs points et bonus par conquête sur le schéma pyramidal d’accès aux corps que le marché impose comme désirables pour la majorité, mais accessibles à une minorité ; jusqu’à ce que ces dynamiques soient pas complètement dynamitées, effectivement, le polyamour sera une révolution de pacotille portée par quelques-unes au détriment de celles abandonnées depuis toujours.
C’est ainsi que, lorsque le polyamoureux ou la polyamoureuse qui a réussi vient vous expliquer, satisfait.e, qu’il.elle est en train de vivre plusieurs relations simultanées avec un récit plein d’images de lui.elle-même, de revendications de ses droits, et de leçons de morale sur comment bien vivre ceci ou cela; quand il n’y a aucune trace de frustration, ni de doute, ni d’angoisse, ni de petits morceaux de tripe blessée dans toute sa diatribe, alors prends une tequila ou un thé à la menthe, enfonce-toi patiemment dans ton fauteuil et, calmement, avec un sarcasme non dissimulé, réponds : « Ah, comme c’est intéressant mais, dis-moi, avec combien de personnes ? Raconte-moi, avec combien ? »
C’est pour cela que rompre avec la monogamie n’est pas fait pour les blanches, les minces, les saines d’esprit, les mignonnes et bien foutues mais, justement, pour toutes celles pour qui la monogamie est encore plus un mensonge que pour les autres. Il est nécessaire de la casser pour de bon, de ne pas y substituer des monogamies simultanées camouflées sous d’autres noms. De rompre avec tous les mécanismes, de lui cracher à la figure, de devenir intransmissibles, non reproductrices, devenir intolérables.
Rompre avec la monogamie n’est pas pour celles qui s’en vont avec la première personne disponible, ni pour les personnes normales, ni pour les personnes cool des salons, ni pour les cool des afters, ni pour les cool des squats. C’est la rupture des fracassées, des losers, de celles qui évitent les franges de n’importe quelle frange, pour celles qui ne trouvons jamais de partenaire pour construire un nid douillet parce qu’il n’existe pas un nid où être contenue ni qui puisse nous contenir, c’est pour la gamine abandonnée à trois mois de grossesse, pour les lesbiennes du village, pour celles qui ont dépassé la quarantaine, pour les séropositives, pour la tapette de l’école, pour l’homme trans qui ne souhaite pas faire le coq ou se faire une mastectomie, pour la barbue sans passing, pour les rejetées par les leurs, par leur clan, pour celles qui ne s’adaptent pas à leur race, ni à leur origine, ni à leur environnement, ni à leur patrie, pour celles qui n’ont pas de foyer où rentrer, ni de mère vers qui retourner, ni une famille avec qui passer les fêtes et ensuite le publier sur les réseaux sociaux, pour toutes celles qui ne savent pas quoi faire de leur corps ni de leurs vies, parce que nous savons ce que cela veut dire être seules et ce que veut vraiment dire avoir été abandonnées, pour les immunes aux capitaux érotiques parce qu’elles n’y ont jamais fait d’investissements.
C’est uniquement à partir de là, de la blessure, que nous pouvons construire autre chose. Les outils du maître ne démonteront pas la maison du maître[1]. Nous, nous avons d’autres outils, parce que nous sommes faites d’une autre matière, à force d’en prendre plein la gueule. Nous n’avons qu’à rompre une bonne fois pour toutes avec le rêve, faire un dernier pas, défaire une dernière amarre, fuir les influences des centres du désir, sortir de la marge pour éviter un au-delà, trouver nos semblables, les regarder bien en face, les appeler et nous mettre, une bonne fois pour toutes, à construire autre chose.
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[1]Phrase prononcée par Audre Lorde lors d’une conférence organisée à New York en 1979, autour du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. [NdT]
J’ai connu Natàlia, qui a écrit cet article, il y a un peu plus d’un an, lors des premières Journées d’Amors Plurals, à Barcelone. J’ai été impressionnée par sa pensée. J’attendais avec hâte que cet article, suite à sa présentation lors des 2es Journées d’Amors Plurals, soit publié.
Il s’agit ici d’une réflexion extrêmement intéressante et importante sur comment les relations non-monogames sont traversées par des éléments propres aux relations monogames. [NDT]
« Cet article est un résumé (très résumé) d’une présentation que j’ai fait pendant les II Journées d’Amors Plurals et qui a été publiée dans le N°422 du journal La Directa.
(**) J’ai rajouté à la fin une clarification suite à certains commentaires qui ont été faits au moment de la publication de l’article.
La version non résumée (in extenso) de cette présentation, divisée en plusieurs parties, sera publiée plus tard sur mon blog.
Nous vivons nos relations d’une manière qui fait partie d’un système ou d’une structure de pouvoir clairement liés au schéma monogame. La monogamie n’est pas seulement un nombre de relations, c’est également un système, avec une forme de pensée qui s’est construite dans une logique sociale. Et cela va plus loin que la normativité autour des relations de couple, car elle nous indique aussi comment nous devons entrer en relation, de manière générale, avec les autres : il s’agit d’un système relationnel.
La monogamie nous isole en unités familiales qui ne permettent pas de générer des réseaux solidaires, affectifs et sensibles aux structures qui nous traversent. La non-monogamie a un grand potentiel, non seulement pour rompre avec le système relationnel lui-même, mais également avec d’autres structures de pouvoir qui s’alimentent de la structure monogame. Elle permet de construire des relations qui rompent avec les systèmes d’oppressions et de privilèges. Cependant, il est nécessaire d’avoir un point de vue critique envers les différentes propositions envisagées, autrement il n’y aura qu’une simple reproduction d’une même pensée démultipliée.
Individualisme, domination et objectivation
Notre manière occidentale d’appréhender le monde se base en l’idée que nous sommes des individus extérieurs au monde qui nous entoure (comme si nous ne faisions pas partie de notre environnement) et nous accédons à notre entourage par la domination. Cette vision encourage la création de structures de pouvoir, qui permettent à qui domine d’obtenir ce dont il a besoin, sans même avoir à comprendre qu’il.elle les obtient autour de lui : ses besoins sont couverts de forme systématique grâce aux structures existantes. C’est ainsi que s’installent des privilèges pour ces personnes, appartenant à des groupes dominants, qui leur donnent un faux sentiment d’indépendance.
Dans nos environnements non-monogames, nous essayons fréquemment de rompre avec l’idée de la totale dépendance à une seule personne (ce qui vient de la monogamie et provoque des relations de pouvoir). Nous exprimons le fait que nous sommes indépendants et que nous n’avons besoin de personne d’autre que nous-mêmes. De cette manière, la dépendance est stigmatisée, elle est invisibilisée dans l’environnement de personnes avec des privilèges et il se crée un discours sur la non-monogamie à laquelle seulement peuvent accéder des personnes avec encore plus de privilèges.
Nous traitons notre environnement comme un objet, parce que nous le voyons comme une chose externe à nous même, à laquelle nous accédons pour couvrir nos propres besoins. Les personnes avec qui nous sommes en relation forment également partie de cet environnement-objet. Nous les approchons donc en fonction de nos propres besoin et envies, sans tenir compte des leurs. Il s’agit alors d’un processus « d’objectivisation ». En quelques mots, « objectiviser » c’est traiter les personnes comme si elles n’avaient pas de volonté ou d’envies propres, ou bien sans leur laisser un espace pour qu’elles puissent consentir ou s’opposer à quelque chose, ni à exprimer leur émotions ou opinions par rapport à des éléments qui les affectent. Cette situation est très fréquente dans les relations non-monogames hiérarchiques où, souvent, des personnes sont affectées par des décisions qui sont prises dans les relations primaires, sur lesquelles elles ne peuvent pas donner leur avis, ou exprimer leurs propres sentiments ou proposer des alternatives. Parfois, elles ne sont même pas informées du tout des décisions qui ont été prises. En définitive, « objectiviser » c’est ne pas prendre en compte l’autre, lui enlever la possibilité de s’exprimer.
Engagement et implication
La monogamie a une très forte charge d’engagement implicite et d’attentes qui sont en accord avec l’escalator des relations[1]. Il s’agit d’un engagement qui n’a pas été discuté, pacté ou revu par aucune des deux parties. De plus, souvent il implique le fait de ne pas pouvoir partager des engagements, des projets ou de l’affection avec d’autres personnes. C’est toujours à une seule personne d’avoir à couvrir les besoins de l’autre.
Beaucoup, face à cela, proposent comme alternative le fait de ne pas prendre d’engagements ni d’avoir attentes. Cela donne un avantage aux personnes qui ont plus d’un privilège, puisque leurs besoins sont pour la plupart couverts et elles n’ont pas besoin de l’engagement pour obtenir quoi que ce soit. D’autre part, les personnes avec moins de privilèges seraient, dans la majorité des situations, amenées à vivre des situations de vulnérabilité. Car elles ont besoin d’engagement pour pouvoir accéder à ce à quoi elles n’ont pas le droit sans privilèges.
Ne pas vouloir s’impliquer est une forme de ne pas vouloir accepter le fait de combien nous sommes affectés par notre environnement et comment nous l’affectons, sans même nous en rendre compte. Il est nécessaire de réellement s’impliquer pour construire des relations non « objectivistes », où les personnes peuvent avoir la possibilité de donner leur avis sur ce qui les affecte. Les relations doivent se construire par des engagements et des implications explicites, qui ne sont pas dictés par des normes sociales structurelles. Et n’empêchent pas la création d’autres engagements.
Responsabilité partagée
La monogamie fait croire qu’une personne est totalement responsable de notre bonheur ou de notre malheur. Pour rompre avec cette idée qui engendre des relations de pouvoir, il est habituel de dire que chaque personne est responsable de ses émotions, y compris celles qui sont produites par une relation et ceux.celles qui la vivent. Il s’agit d’une vision individualiste, guère différente de l’antérieure, où les responsabilités sont soit complètement séparées soit elles retombent sur les épaules d’une seule personne. Dans ce paradigme la relation est complètement effacée.
La responsabilité dans une relation devrait être une responsabilité partagée : ce devrait être le fait des personnes qui sont à l’origine de l’espace et de la relation, non pas de façon séparée (chacun de son côté), non pas de manière verticale (tout est la responsabilité d’une seule personne), mais comme une combinaison, en prenant en compte les contextes de chacun.e et ce qu’il y a en commun. Prendre en compte le contexte de chacun.e veut dire que lorsque nous avons une relation avec une personne sur laquelle nous avons un privilège, que nous le voulions ou pas, nous en bénéficions et par conséquent nous avons une responsabilité sur la violence structurelle que peut engendrer cette relation. La responsabilité partagée peut, en plus, nous permettre de reconnaître explicitement tout ce que nous apporte la relation et que l’autre partage avec nous.
Prendre soin et le sens de cette expression :
Être conscients que nous couvrons nos besoins par notre environnement et, par conséquent, à travers nos relations, nous permet de traiter le thème du « prendre soin » à partir d’un point de vue critique. Les tâches du « prendre soin » ou « care »[2]ont toujours été la responsabilité des femmes. Néanmoins les tâches du « prendre soin », dont nous parlons dans le contexte du féminisme, se limitent à celles des différences de genre. Il y a bien plus de besoins que ceux qui concernent les travaux domestiques (le ménage, la cuisine, prendre soin lorsque l’autre est malade). Nous devons être conscient.e.s des différences qui vont au-delà des genres, car il y a bien d’autres structures ou types de relations (toutes les relations ne sont pas du type hétéro, binaire, romantique et sexuelles).
Prendre soin implique comprendre ce dont l’autre a besoin, non pas dans le sens de se sentir obligé.e de couvrir tous ses besoins, mais y être sensible et les prendre en compte. Nous n’avons pas non plus à obliger l’autre à comprendre quels sont nos besoins, mais bien à lui laisser la place pour pouvoir s’exprimer quand il le souhaite et ainsi se rendre compte de ce dont nous avons besoin. Surtout, il n’est pas possible d’obliger l’autre à avoir des besoins qu’il n’a pas. Par le fait même que, dans nos milieux non-monogames, nous insistions sur « le prendre soin », parfois nous pouvons tomber dans l’excès et faire certaines tâches dont l’autre n’a pas besoin pour se sentir que nous prenons soin de lui.d’elle. Souvent, nous nous appuyons sur ces tâches innécessaires comme excuse pour ne pas écouter les besoins réels de l’autre ou ne pas reconnaître un besoin lorsqu’il est exprimé. Nous vivons dans ce que j’appelle « la culture du « tupper »[3]: il s’agit de préparer des « tuppers » pour nos compagnon.e.s sans nous demander ce que nous entendons par « prendre soin » et pendant ce temps l’autre ne peut s’exprimer lorsqu’il.elle se sent concerné. C’est un acte « d’ojectivisation ».
(**) J’ajoute cette note, suite à certains commentaires, au sujet de cet article, qui signalent que ce que j’ai écrit s’applique également aux relations monogames.
Je ne crois pas que le thème du « prendre soin » puisse vraiment s’appliquer aux relations monogames ou aux non-monogames hiérarchiques[4], car la monogamie implique des hiérarchies, et dans aucune hiérarchie le « prendre soin » peuvent vraiment se produire, ce sont des succédanés du « prendre soin », mais pas des soins. Je suis en train de parler de toutes ces personnes qui ne forment pas partie de la relation principale. Mon discours souhaite mettre en lumière le fait que nous sommes en train de vraiment mal traiter les autres et de forme très « objectiviste », aussi bien au niveau des responsabilités, des engagements que du « prendre soin ». C’est en cela que, ni la monogamie, ni la non-monogamie hiérarchique pourront nous sauver des systèmes d’oppression. Elles ne feront que les reproduire, et qui plus est, avec leurs propres paramètres.
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[1] Il s’agit de l’ensemble des attentes de la société pour la bonne conduite des relations intimes. Ce sont les étapes progressives avec des marqueurs clairement visibles et avec un objectif structurel basé sur une structure monogame permanente (sexuellement et romantique exclusive), avec cohabitation et mariage si possible. La norme sociale dans laquelle la plupart des gens évoluent si une relation est considérée comme importante,, bonne, saine, et vaut la peine d’être envisagée comme durable. Traduction du texte en anglais de https://solopoly.net/2012/11/29/riding-the-relationship-escalator-or-not/ [NTDA]
[2] Carol Gilligan, In a different voice, Harvard University Press 1982, trad française Une voix différente, chez Flammarion 2008. oan Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009Fabienne Brugère, L’éthique du « care », collection « Que sais-je ? » PUF, 2011. [NDT]
[4] J’aimerais ajouter, qu’à mon entendement, cela ne s’applique pas non plus aux relations solo non-monogames (une personne qui vit seule – entendre pas en couple ou trouple -) et a des relations non-monogames, quand le fait d’être seule peut être un privilège et s’accompagner d’un réel manque de « prendre soin » des autres relations. C’est-à-dire qu’elle le vit d’une manière hiérarchique, se situant au sommet de cette hiérarchie. Par exemple, considérer que les autres relations ne concernent que la personne qui les vit et donc ne pas communiquer des décisions, des évènements ou des situations (prises/vécues en solo ou avec une/des relations) qui peuvent affecter les autres. Voire garder complètement en silence ce qui se passe dans les autres relations, considérant qu’elles ne concernent que la personne qui les vit et pas les autres personnes pourtant impliquées indirectement. [Note personnelle – NDT- Elisende Coladan]
La jalousie est un thème récurrent lorsqu’il s’agit de relations sexo-affectives[1]. En ce qui concerne les relations monogames, elle est considérée comme faisant partie des relations amoureuses, notamment romantiques. Elle en est même souvent vue comme un corollaire. Il y a cette idée que « si on n’est pas jaloux, on n’aime pas vraiment ». Tout cela s’accompagne de son lot de souffrance, de malaises, de non-dits et de secrets, avec des infidélités[2] et l’adultère[3]. La jalousie répond à ce pan de la pensée monogame qui affirme que l’autre vient nous compléter, combler des vides, répondre à des attentes, satisfaire des besoins (affectifs, sexuels, économiques ou autres) et où il n’y aurait besoin de personne d’autre que cet alter ego, cette moitié, cette « âme sœur », cette « flamme jumelle », qui nous comprendrait sans besoin de parler, qui irait jusqu’à devancer nos désirs.
Même si nous vivons des relations non monogames, n’oublions pas que tout notre environnement se base sur ce type d’idées, qui se retrouvent un peu partout dans les publicités, les films, les séries, les romans, les articles sur les relations amoureuses et/ou sexuelles et même dans nos institutions [4]. Vu ce contexte, la jalousie nous semble incongrue puisque nous voulons vivre des relations plurielles égalitaires, dans le dialogue, l’échange et dans la bienveillance alors que nous ressentons différents sentiments qui peuvent s’apparenter à la jalousie.
Celle-ci peut apparaître de différentes manières, que j’illustre ici avec quelques exemples :
La culpabilité : Qu’est-ce que j’ai fait pour que l’autre veuille être/passer plus de temps avec quelqu’un d’autre que moi ?
La douleur : Le.la savoir avec une autre personne me fait du mal et, par conséquent, je souffre.
L’insécurité : Savoir l’autre avec quelqu’un.e fait que je ne me sens pas en sécurité dans la relation. J’ai peur qu’il.elle me quitte.
La peur de l’abandon : Cette sensation que lorsque l’autre part (ailleurs/chez quelqu’un.e) en me laissant seul.e, j’ai peur qu’il.le me quitte. Que ce soit une heure, une journée cela amène une impression d’abandon définitif.
Les demandes excessives : Je voudrais que l’on passe encore plus de temps ensemble, alors que je sais que c’est compliqué/difficile pour l’autre.
Le doute, la suspicion : Je n’arrive pas à faire confiance, je souhaite tout savoir en détail.
La négation : Je ne veux rien savoir, pour ne pas souffrir, parce que si je m’informe, la souffrance est importante. Ce qui peut être une forme de fuite : ne rien savoir plutôt que d’affronter une réalité qui « dérange » et travailler sur ce qui se passe pour la vivre le mieux possible.
L’insécurité : Je ne suis pas suffisamment intelligent.e/joli.e/ intéressant.e, pour que cette personne ne veuille être qu’avec moiet du coup n’aille pas voir ailleurs.
La honte : Je ne devrais pas éprouver de jalousie puisque je suis dans des relations non monogames, donc je m’empêche de l’exprimer.
La déstabilisation : Je sens que l’autre change quand il a une nouvelle relation et cela me demande à chaque fois un temps d’adaptation plus ou moins long, plus ou moins difficile à gérer au niveau des émotions.
et bien d’autres…
Mais, justement, s’agit-il réellement de jalousie ? Et, au fait, qu’appelle-t-on « jalousie » ? Sous ce mot, il y a différents éléments que l’on regroupe sous « le parapluie » de la jalousie et qui n’en sont pas forcément. Je vais en donner quelques exemples. Seule la première définition correspond à la jalousie.
« Jalousie », terme générique :
La jalousie : un désir exclusif de possession de l’autre, ainsi que de son affection et de son temps. Dans ce sens, toute personne (ou action, ou chose : un sport, un travail, etc) qui prend de la place dans une relation, ou qui est suspectée de le faire, provoque un mal-être.
Autres aspects considérés comme de la jalousie :
L’envie : un désir de possession matérielle ou physique. C’est-à-dire, vouloir posséder ce que l’autre personne a et partage. Par exemple, une personne ne va jamais dans certains lieux, ou ne partage pas certaines activités avec nous, mais avec d’autres/un.e autre.
Le mensonge, la trahison, la dissimulation : avoir une nécessité de savoir ce qui passe, ce qui arrive, d’une clarté, de dialoguer car il y a l’intuition que quelque chose n’est pas dit. Le cas le plus fréquent étant donc les relations cachées, secrètes, ou non explicitées (il.elle dit que c’est un.e ami.e mais la relation est aussi sexuelle, ou bien, il.elle dit qu’ils.elles sont allé.e.s au cinéma et en fait ils.elles étaient chez lui.elle…)
Vouloir protéger, « sauver », prendre soin de l’autre personne et essayer de lui éviter les relations que nous jugeons potentiellement ou réellement nuisibles pour elle, son environnement (ses enfants), pour elle ou pour nous-mêmes.
Des attentes non abouties : par exemple, vouloir voir très souvent quelqu’un.e qui ne le peut pas ou ne le souhaite pas, que ce soit pour des raisons de travail, de besoin d’espace pour elle.lui ou de solitude, d’avoir d’autres relations sexo-affectives, de passer du temps avec d’autres personnes quelles qu’elles soient.
Et puis, il peut y avoir toute sorte de situations qui peuvent être interprétées comme de la jalousie et qui n’en sont pas forcément. Par exemple, avoir besoin dans certains espaces nouveaux d’être rassuré.e par la présence de notre partenaire et vivre mal de se retrouver seul.e à ce moment-là, alors que lui.elle communique facilement avec de nouvelles personnes[5].
Dans toutes ces situations il y a une notion transversale qui est celle du « droit de regard » (cf article de Pere Picornell https://nonmonogamie.wordpress.com/2016/09/08/le-droit-de-regard-la-potestat-pere-picornell-amors-plurals/). Pourquoi, par le seul fait d’être en relation sexuelle et/ou affective, nous nous octroyons le droit de savoir ce que l’autre fait, avec qui il.elle est, où il.elle est ou va… alors que cela fait partie de la liberté individuelle de chaque personne de pouvoir disposer de son temps, de rencontrer qui elle souhaite et de circuler librement ? Pourquoi, par le seul fait d’être en relation avec quelqu’un.e nous devrions connaître tous ses faits et gestes, donner notre avis sur ce qu’il.elle fait ou pas, établir des contrats avec des limites et/ou des restrictions ?
Comment arriver à résoudre ces conflits :
Déjà, il me semble important d’arriver à déterminer où nous nous situons, dans les différentes formes d’expression présentées ci-dessus, de ce qui est communément compris comme « jalousie ». Tout comme en reconnaître les expressions. Les identifier est déjà un premier pas pour pouvoir les gérer et vivre les relations plurielles sans (trop) en souffrir.[6]
Ce n’est qu’ensuite qu’il est possible de travailler sur ce qui les provoque. Dans ma pratique, lors des consultations, je travaille souvent avec une perspective intergénérationnelle (générations vivantes) et transgénérationnelle. Je peux l’expliquer de la façon suivante : lors d’une problématique présentée, des secrets, des non-dits ou des répétitions apparaissent. Par exemple, une arrière-grand-mère née d’un adultère qui a toujours été caché, parfois accompagné d’un sentiment d’injustice parce que la mère a dû élever l’enfant toute seule et a été rejetée par la société, ou épouser quelqu’un dont elle ne voulait pas pour qu’il reconnaisse l’enfant, ou avorter pour cacher la grossesse…) Autre possibilité : un.e ancêtre qui a souffert des nombreuses « relations cachées » de son/sa conjoint.e. L’une ou l’autre de ces situations peuvent se retrouver chez une personne vivant très mal la ou les relation.s de son.sa partenaire, alors qu’en théorie, elle vit et souhaite vivre des relations non-monogames. Elle en souffrira, pourra être sujette à une profonde tristesse, une grande insécurité, un sentiment d’abandon, des peurs irraisonnées, voire des problèmes alimentaires, d’alcoolisme ou d’autres addictions destructrices, qui ne sont qu’autant de manière d’exprimer les ressentis enfouis. Comprendre cela peut permettre de travailler ses propres ressentis lorsqu’une nouvelle relation arrive dans une configuration non monogame, et de les dépasser.
D’autres fois, il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin. Reconnaître puis s’interroger sur l’origine de nos expressions de jalousie peut permettre d’accéder à ce qui a pu se passer lors de l’enfance, ou dans des relations antérieures, et ainsi mieux comprendre nos ressentis.
En tout état de cause, ne pas voir la jalousie comme un tout, mais en comprendre les différentes manifestations et expressions, peut déjà apporter un début de compréhension et des pistes pour la travailler. Le dialogue et l’échange entre partenaires, ainsi que l’accueil de ses propres émotions et de celles des autres personnes dans la relation, sont également d’excellentes approches pour arriver à la gérer. Tout comme déconstruire les schémas présents dans notre société, notamment à travers les médias et les productions culturelles, telles que les romans, les films, les pièces de théâtre et autres, qui veulent qu’amour et jalousie aillent de pair.
Pour finir, ne pas oublier que la jalousie peut être utilisée comme un véritable instrument de contrôle sur l’autre (surveiller ses faits et gestes, son emploi du temps, son téléphone, son ordinateur…) et, dans ce cas, il s’agit d’une forme réelle de violence psychologique et très souvent, machiste.
[1]J’utilise le terme « relations sexo-affectives » de préférence aux adjectifs « sexuelles », « amoureuses » ou « amicales ». Je considère que les relations peuvent être tout cela à la fois, ou juste une des composantes selon les personnes ou les moments.
[4] L’article 212 du Code civil rappelé par l’officier d’état civil lors de la célébration de chaque cérémonie de mariage prévoit expressément que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance ».
[5]Ce qui est mon cas, probablement parce que je suis neuroatypique.
[6] Il me semble évident qu’une bonne communication avec nos partenaires est indispensable et doit être la base de toute relation.
La gelosia en les relacions alternatives a la monogàmia. Traducció de Jordi Oliva Papiol
La gelosia est un tema recurrent quan es tracta de relacions sexo-afectives[1]. Pel que fa a les relacions monògames, es considera que forma part de les relacions amoroses, sobretot romàntiques. Sovint inclús es veu com un corol·lari. Hi ha la idea que « si on ets gelós, no estimes de veritat ». Tot això s’acompanya de força patiment, de malifetes, de silencis i de secrets, amb infidelitats[2] i adulteris[3]. És un aspecte del pensament monògama en el que l’altre ve a completar-nos, omplir buits, correspondre a esperes, satisfer necessitats (afectives, sexuals, econòmiques o d’altres) i on no necessitarem ningú més fora d’aquest alter ego, aquesta mitat, aquesta « germana bessona », « aquesta flama compartida », que ens entendrà sense necessitat de parlar, que anirà inclús per davant dels nostres desitjos. També si vivim relacions no-monògames, no oblidem que tot el nostre entorn es basa sobre aquest tipus de idees que es retroben una mica per tot arreu a la publicitat, als films, a les sèries, a les novel·les, als articles sobre les relacions amoroses i/o sexuals i dins les nostres institucions[4]. En aquest sentit, no es pas sorprenent que inclús si en teoria, la idea de gelosia podria semblar incongruent des del moment que desitgem viure relacions plurals igualitàries, amb diàleg, intercanvi i amb bona entesa, ens retrobem amb sentiments contradictoris, que se semblen força a la gelosia. Cada situació pot tenir expressions múltiples, que mostro amb alguns exemples (en cursiva), que poden anar de : • La culpabilitat : què és el que faig que fa que l’altra persona vulgui estar (o passar més temps) amb un altre que amb mi? • El dolor : saber-la amb una altra persona em fa mal i per tant pateixo. • La inseguretat : saber l’altre amb una altra persona em fa no sentir-me segur de la nostra relació. Tinc por que em deixi. • La por a l’abandó : aquella sensació que l’altre pot marxar a un altre lloc i deixar-me sol/a. • Les demandes excessives : voldria que passéssim més temps junts encara, malgrat que sé que es complicat/difícil per a l’altre. • El dubte, la sospita : no acabo de tenir-li confiança, desitjo saber-ne els detalls. • La negació : no vull saber-ne res, així no pateixo pas, perquè si m’informo, pateixo encara més. El que pot ser una forma de fugida: millor no saber res que afrontar una realitat que « molesta » i treballar sobre el que passa per viure el millor possible. • La inseguretat : no sóc prou intel·ligent, alegre, interessant, perquè que aquesta persona no vulgui estar només amb mi i de cop vagi a veure d’altres. • La vergonya : visc en relacions no-monògames, però sento gelosia, aleshores reprimeixo expressar-ho. • La desestabilització : sento que l’altre canvia quan té una nova relació i això m’exigeix cada vegada un temps llarg, d’adaptació més o menys difícil per gestionar les emocions. a moltes altres… Però, de veritat, es tracta realment de la gelosia? I, de fet, què és la gelosia? Sota aquest mot, hi ha diferents elements que se’ls agrupa sota « el paraigües » de la gelosia i que no ho són pas necessàriament. En vull donar alguns exemples. Només la primera definició correspon a la gelosia. Gelosia mot maleta : La gelosia : un desig exclusiu de possessió de l’altre, tan del seu afecte com del seu temps. En aquest sentit, tota persona (o una acció, o una cosa: un esport, treball, etc) que s’immisceix en una relació, o que est sospitosa de fer-ho, provoca un malestar. Altres aspectes considerats com a gelosia:
L’enveja: un desig de possessió material o física. És a dir, voler posseir el que l’altra persona té i compartir-ho. Per exemple, una persona no va mai a certs llocs, o no comparteix algunes activitats amb nosaltres, però sí amb d’altres.
La mentida, la traïció, la dissimulació : tenir una necessitat de saber el que passa, el que arriba, de claredat, de dialogar ja que hi ha la intuïció que alguna cosa no s’ha dit. El cas més freqüent es dóna en les relacions amagades, secretes, o no explicitades (ell/ella diu que és un/a amic/ga però la relació és també sexual o bé, ell/ella diu que ells/elles han anat al cine i de fet ells/elles estaven a casa d’ell/ella, …)
Voler protegir, « salvar », cuidar de l’altra persona i tractar de evitar-li les relacions que jutgem potencialment o realment perjudicials per a ella, el seu entorn (els seus fills), per a ella o per a nosaltres mateixos.
Desitjos desembocats: per exemple, voler veure molt sovint algú/na que no pot o no ho desitja, ja sigui per raons de treball, de necessitat d’espai per a ell/a o de solitud, de tenir d’altres relacions sexo-afectives, de passar temps amb d’altres persones siguin les que siguin. I després, pot haver-hi tota mena de situacions que poden ser interpretades com de gelosia i que no ho són necessàriament. Per exemple, tenir necessitat en certs espais nous de ser tranquil·litzats per la presència de la nostra parella i sentir-se malament de trobar-se sol/a en aquell moment allà, quan ell/ella es comuniquen fàcilment amb persones noves[5]. En totes aquestes situacions hi ha un concepte transversal que és aquell del « dret de mirada » (cf article de Pere Picornell https://nonmonogamie.wordpress.com/…/le-droit-de-regard-la…/). Per què, pel sol fet d’estar en relació sexual i/o afectiva, ens atorguem el dret de saber el que l’altre fa, amb qui ell/ella està, on ell/ella és o va, …? Quan això forma part de la llibertat individual de cada persona, de poder disposar del seu temps, de retrobar-se amb qui desitja i de circular lliurement. Per què, pel sol fet d’estar en relació amb algú/na hauríem de conèixer tots els seus fets i gestos, supervisar tot el que ell/ella faci o deixi de fer, establir contractes amb límits i/o restriccions? Com arribar a resoldre aquests conflictes : Hores d’ara, em sembla important arribar a determinar on ens situem, en les diferents formes d’expressió presentades fins aquí, del que s’entén comunament com a gelosia. També com reconèixer les expressions. Identificar-les és ja un primer pas per poder-les gestionar i viure les relacions plurals sense patir-les (massa).[6] És aleshores que és possible de treballar sobre el que les provoca. En la meva experiència, a la meva consulta, treballo sovint amb una perspectiva intergeneracional (generacions vivents) i transgeneracional. Puc explicar-ho de la manera següent : en presentar una problemàtica, apareixen elements com secrets, silencis i repeticions. Par exemple, el fet d’una avantpassat-àvia nascuda d’un adulteri sempre ha estat amagat, a vegades acompanyat d’un sentiment d’injustícia (mare davant el seu creixement sola i essent rebutjada per la societat, mare havent de casar-se amb algú que ella no volia, perquè ell reconegués el fill, mare que avorta perquè això no se sàpiga …). Altra possibilitat : un/a avantpassat que a sofert nombroses « relacions amagades » de la seva parella. L’una o l’altra d’aquestes situacions poden trobar-se a casa d’una persona vivint molt malament la – o les altres – relació/ons de la seva parella, quan en teoria, ella viu i desitja el mateix, viure bé, amb relacions non-monògames. Ella ho patirà, podrà estar subjecta a una profunda tristesa, una gran inseguretat, un sentiment d’abandó, pors irracionals, tenir problemes alimentaris, d’alcoholisme o altres addicions destructives, qui no són altra forma d’expressar els ressentiments soterrats. Comprendre això pot permetre treballar els seus propis ressentiments quan una nova relació arriba dins d’una configuració non-monògama i sortir-se’n. D’altra banda, no és necessari anar tan lluny. El reconeixement, després d’interrogar-se sobre l’origen, de les nostres expressions de gelosia pot permetre accedir a allò que ha pogut passar a la infància, o a les relacions anteriors, i així comprendre millor els nostres ressentiments. En qualsevol cas, no veure la gelosia com a un tot, però entenent les diferents manifestacions i expressions, pot ja aportar un principi de comprensió i pistes per treballar-la. El diàleg i l’intercanvi a la parella, així com l’acolliment de les pròpies emocions i les d’altres persones en la relació, són igualment aproximacions excel·lents per arribar a gestionar-la. Tant com desconstruir els esquemes presents a la nostra societat, sobretot a través dels medis i les produccions culturals, com les novel·les, els films, les obres de teatre et d’altres, que volen que l’amor i la gelosia vagin de la mà. Per acabar, no oblidar que la gelosia pot ser utilitzada com un veritable instrument de control sobre l’altre (supervisar els seus fets i gestos, l’ús del seu temps, el seu telèfon, el seu ordinador …) i en aquest cas, es tracta d’una forma real de violència psicològica.
[1] Utilitzo el terme « relació sexo-afectiva » de preferència als adjectius « sexuals » o « amorosos » o « amicals ». Considero que les relacions poden ser tot això alhora, o solament un dels components segons les persones o els moments. [2] Manca de fidelitat, de respecte a un compromís. Larousse http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ [3] Violació del deure de fidelitat entre els casats. Larousse http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ [4] L’article 212 del Codi civil, recordat per l’oficial d’estat civil a l’hora de la celebració de cada cerimònia de casament, preveu expressament que « els esposos es deuen mútuament respecte, fidelitat, ajut i assistència ». [5] El que és el meu cas, probablement perquè sóc neuroatípica. [6] Em sembla evident que una bona comunicació amb las nostres relacions és indispensable i ha de ser la base de tota relació.
William Henry Bradley « When hearts are trumps by Tom Hall » 1894, MNAC, Barcelone
Hier, c’était le 25 novembre, Journée Internationale contre les Violences faite aux Femmes. Je n’ai pas pu finir la traduction de cet article à temps, c’est pour cela que je ne le publie qu’aujourd’hui.
Le 20 janvier prochain, je vais animer un espace de parole sur le thème : « Maltraitance, manipulation, abus et violences (physiques et psychologiques) dans les relations alternatives à la monogamie hétéronormative». En cherchant de l’information concernant plus particulièrement les milieux polyamoureux, j’ai trouvé cet article du blog Golfxs, dont j’avais déjà publié un article[1]. Il s’agit de la deuxième partie du résumé d’une conférence de 2014 pour un public vivant des relations sexuelles et affectives alternatives . Quand cela m’a paru nécessaire, j’ai complété le propos dans des notes de bas de page.
Pour Golfxs con principios [2], la maltraitance, qu’elle soit physique ou psychologique, est un sujet qui mérite toute notre attention. Encore plus lorsqu’il s’agit de celle qui a lieu dans les relations non conventionnelles. Car, à l’intérieur de ces identités, pratiques ou relations non conventionnelles, il existe toute une série de facteurs qui peuvent faciliter les situations de maltraitance.
C’est pour cette raison que, dimanche dernier, nous avons invité Marina, psychiatre spécialisée en Diversité Sexuelle et de Genre, à venir nous parler concrètement de ce thème. Nous avons publié (hier) une première partie [3] de son intervention dans laquelle elle expliquait les mécanismes qui rendent possible ces abus (la persuasion coercitive), identifiés initialement chez les prisonniers de guerre, puis appliqués à l’analyse des relations hétérosexuelles monogames.
Voici un résumé (de la suite) de la présentation de Marina, concernant les relations non conventionnelles :
Facteurs qui facilitent la violence psychologique dans des relations non conventionnelles (LGBT, BDSM, libertinage, polyamour…)
C’est compliqué de trouver des informations sur la violence psychologique dans ce type de relations. Dans le cas des relations BDSM, on en trouve surtout sur la différence entre BDSM et maltraitance, mais pas sur le BDSM qui masque la maltraitance. Et il existe encore peu d’informations à ce sujet, en ce qui concerne le polyamour.
Il est pourtant important de l’analyser dans ce type de relations car il y a des facteurs qui y facilitent la maltraitance :
1 — Quand la personne qui agresse/maltraite est depuis longtemps dans le milieu et/ou a un rôle de mentor
Ex. :« Tu sais bien que les relations lesbiennes/gays/BDSM/ouvertes/polyamoureuses/libertines… sont comme ça. »
2 — La notion de secret. La situation empire lorsque la victime ne peut pas expliquer à son thérapeute, son médecin, ou son centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) qu’il s’agit d’une relation BDSM ou ouverte (car ce sont des relations « mal vues »), ce qui fait que le silence est encore plus grand. La victime peut hésiter à demander de l’aide par peur de devoir expliquer la nature de la relation à des personnes qui ne la comprendront peut-être pas.
Ex. : « J’avais accepté d’avoir des relations en public et de choisir avec qui j’aurai du sexe, mais pas que ce soit six personnes en même temps et que mon NON ne soit pas respecté. »
3 — Lorsque la personne qui agresse/maltraite crée un sentiment de culpabilité en disqualifiant l’autre en lui disant qu’elle.il est trop mijauré.e, pas assez transgresseuse.eur, homophobe ou transphobe. Dans le cadre de relations non conventionnelles, l’accusation de normalité peut aussi être utilisée à cette finalité, et à celle d’outrepasser les limites de l’autre.
Ex. : « Tu n’es pas une personne aussi ouverte que tu dis l’être. »
4 — Dans les relations LGBT, il a été démontré que les personnes qui ont subi des expériences de harcèlement scolaire, de bullying, de transphobie, d’homophobie sans pouvoir s’en défendre ont plus de probabilité de se retrouver dans une situation de maltraitance psychologique. Il s’agit donc d’un facteur de vulnérabilité ajouté.
5 — La vulnérabilité liée au fait de ne pas être sorti.e du placard . Si la personne qui agresse a fait son coming out mais pas l’agressée, il lui est possible de la menacer de l’outer aupès de sa famille de le dire, de parler avec sa famille, ses collègues, ses ami.e.s et leur expliquer quel est le type de relations ou de pratiques qu’elle a.
6 — Dans les relations non conventionnelles, le fait que la personne ne se perçoive pas comme une victime, ou ne soit pas perçue ainsi par son entourage, est un facteur en plus. Ou bien encore, qu’elle ne souhaite surtout pas être considérée comme une victime car cela porterait atteinte à son estime de soi de devoir admettre qu’elle a été ou qu’elle en relation avec une personne agresseuse ou parce qu’elle n’arrive plus à y voir clair, à savoir où elle en est.
Pour tous les cas présentés, il faut bien tenir compte qu’une situation isolée, par exemple que l’on soit accusé.e de transphobie, ne veut pas dire qu’il s’agit d’une situation d’abus ou de maltraitance. En réalité, Il faut voir la maltraitance comme un processus, comme un ensemble d’actions et d’attitudes qui se répètent systématiquement.
Il ne s’agit pas de se concentrer sur ce que fait ou ne fait pas l’agresseuse.re, mais surtout sur notre ressenti. Par exemple, si on a peur ou se sent coupable , si on a l’impression d’avoir tout le temps à « marcher sur des œufs », si un rien ne le.la met en colère…
Que peut-on faire depuis l’extérieur ?
Qu’est-il possible de faire, en tant que tierce personne, alors que nous sommes en dehors de cette relation de maltraitance, pour aider une personne que nous pensons être victime de violence psychologique ?
1 — Être présent.e. C’est bien plus fatigant que ce que l’on imagine au premier abord. Avoir envie d’arracher de force la personne d’une relation abusive qu’elle est en train de vivre ne servirait pas à grand-chose. Rester à ses côtés, la sortir de son isolement en lui permettant de penser à autre chose, faire des activités agréables ensemble, comme aller au cinéma, lui proposer des lectures, des vidéos, de rencontrer des personnes ayant eu ce même vécu et en sont sorties[4], est bien plus utile…
2 — S’il.elle est en train de vivre une période violente, il peut y avoir une possibilité qu’il.elle réalise sa situation si on lui montre comment agit son.sa partenaire. Mais s’il.elle dans une période de ENR[1]ou passionnelle, il.elle ne pourra pas le voir ou trouvera des excuses aux comportements de maltraitance, ce qui risque de le.la contrarier et conduire à son éloignement, et donc à son isolement[2].
3 — Faire en sorte que le cercle autour de la personne agressée soit agréable, l’amener dans des environnements accueillants et bienveillants, qui peuvent l’aider à améliorer son estime de soi et prendre des forces pour s’en sortir.
Pour finir, il est important de rappeler que :
Absolument tout le monde peut être victime de maltraitance psychologique, entrer dans des relations toxiques, souffrir de violence psychologique. Ce n’est pas propre à un type de personnalité donné, ni à une situation concrète, ni à des niveaux d’instruction. Cela peut vraiment arriver à n’importe lequel/laquelle d’entre nous.
Ex. : On entend souvent « comment cela a pu m’arriver alors que je suis une personne indépendante, que je me considère comme une personne sensée, j’ai fait des études universitaires ? »
La personne qui agresse dit TOUJOURS, « je vais changer», « je vais être quelqu’un de merveilleux », « je vais t’aimer plus que n’importe qui ». Les phases de regrets et de promesses font partie du cycle de violence [5].
Si la personne qui agresse s’en sort bien, si elle ne sent pas d’angoisse, si elle ne s’interroge pas sur son comportement, il n’y a pas de possibilités qu’elle change.
Il est habituel que les personnes maltraitantes ne voient pas qu’elles le sont. Elles disent que c’est l’autre qui les a provoquées, qui les a fait sortir de leurs gonds…
Il est possible qu’il y ait maltraitance psychologique également de la part d’une personne soumise.
Ex. : « Si tu pars, je me tue. »
S’il y a un doute quant à savoir si on se trouve ou pas dans une situation de maltraitance, la question n’est PAS de se demander si l’autre nous maltraite ou pas, mais de se demander comment MOI je me sens, où j’en suis ? [6]
Il arrive que l’on dise d’une personne qui a un comportement abusif, que c’est une personne qui « a un fort caractère ».
La maltraitance psychologique, la violence psychologique, la persuasion coercitive, ce ne sont pas des querelles de couple. Il s’agit d’un processus lent, au compte-goutte, petit à petit. En sortir est également un processus qui prend du temps.
Au lieu de se centrer sur les agressions et comment les éviter, il est important de se centrer sur qui les commet, comment et pourquoi. En connaître les mécanismes afin d’éviter la maltraitance. [7]
Il est difficile de se rendre compte que l’on est victime d’une situation de violence psychologique (ou qu’il y a agression), si cela fait partie d’un comportement considéré comme « normal ». [8]
Présentation de Golfxs : Nous sommes un groupe de personnes qui apprécie le sexe non conventionnel entendu comme un loisir, comme manière de socialiser, de faire des rencontres. Dans le groupe, il y a des bisexuel.le.s, des fétichistes, des couples ouverts, des BDSM, des lesbiennes, des gays, des trans, des queers, des polyamoureux, des libertins, etc… etc… Même des hétérosexuel.les ! Des personnes qui viennent d’arriver et d’autres qui sont ici depuis des années… Des amis depuis toujours, des personnes que nous venons de connaître… Beaucoup de variété. Nous ne croyons pas que l’on doive nous traiter comme si nos goûts étaient un problème médical, ni « nous éduquer » comme s’il y avait seulement une manière unique de faire les choses. N’importe quelle conduite sexuelle est digne d’estime, si elle est toujours pratiquée avec le consentement des personnes participantes et en arrivant à des accords de sexualité sûre, en partageant la philosophie du mouvement « sex positif ». Que le sexe nous plaise ne signifie pas que nous sommes monothématiques, ou que toute notre vie tourne uniquement autour de ça. Nous avons beaucoup d’autres facettes dans la vie, nous avons une famille et beaucoup d’autres centre intérêts, des professions des plus variées… Certain.e.s d’entre nous appartiennent à plusieurs de ces groupes et nous ne voulons pas forcément nous identifier à l’un d’eux, mais préférons prendre dans chacun ce qui nous convient le mieux ou nous fait envie. C’est pour cela que nous avons préféré de nous appeler « golfxs », au lieu des fétichistes, sadomaso, polyamoreux.euses, ou autre chose… Nous avons également en commun le fait que l’homophobie et le machisme nous gênent. Il y a des milliers d’espaces où cela n’importe pas autant qu’ici. Nous souhaitons un espace où cela est réellement pris en compte.
Traduction du texte « Qui nous sommes » du blog.
[1] NRE : L’énergie de nouvelle relation (ENR ou NRE en anglais)
[4] Ces trois derniers points sont un ajout de ma part, car je trouve que, si bien je suis d’accord sur le fait qu’arracher quelqu’un d’une situation abusive n’est pas facile et même contreproductif, l’amener progressivement à en prendre conscience est très utile, même si, dans un premier temps, la personne peut dire ne pas se sentir concernée. Dans ce sens, des apports/aides indirects comme des livres, des témoignages vidéo ou audio peuvent vraiment influer. Lui parler également de qui elle était, avant d’entrer dans une relation de maltraitance, peut l’amener à prendre conscience de combien elle a changé. (NDT)
[5]En fait, l’emprise psychologique passe par plusieurs phases :
Le repérage dans le groupe,
La séduction,
La prise de contrôle (par différents mécanismes), menant à la déstabilisation de la personne agressée, la faisant douter d’elle-même,
La culpabilisation, le sentiment de honte, la peur chez la victime,
L’isolement par rapport au groupe.
[6] On peut aussi poser ces questions à une personne que l’on soupçonne d’être en train de vivre une situation de violence psychologique. (NDT)
[7]Se poser la question également de ce que cela provoque en nous : reconnaître les moments de sidération, d’aliénation de soi, de déconnexion de la réalité et de dissociation. (NDT)
[8]Par exemple, par son éducation, son environnement social et/ou culturel, sa famille… (NDT)