Polyamour néolibéral : ressers-moi une assiette de gambas. Brigitte Vasallo

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Cette semaine, Brigitte Vasallo revient sur le polyamour qui n’est ni un produit miracle ni un produit de consommation.

Encore une fois, j’ai traduit quasiment tout de suite cet article, car c’est le genre de propos que l’on n’entend pas en France et qu’il faut vraiment diffuser largement. Le polyamour n’est pas la porte ouverte à tous les possibles, dans l’immédiateté. Ce sont des relations qui demandent à se construire dans la réflexion, dans le prendre soin, sinon les dégâts collatéraux sont énormes. 

https://www.cuerpomente.com/blogs/brigitte-vasallo/poliamor-neoliberal_1494

Traduction : Elisende Coladan

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Le polyamour est associé à la consommation et l’immédiateté, mais les relations polyamoureuses se construisent lentement. Sinon, nous parlons de monogamie.

Chères amies,

J’étais en train de réfléchir sur ce que j’allais vous raconter cette semaine lorsque j’ai reçu une notification m’indiquant que Olza m’a citée dans son blog [1] cette semaine et qu’elle se demande si en ces temps polyamoureux, le fait de construire une relation lentement a encore du sens.

Ay, mon amie Olza, viens ici, je vais te raconter : à mon avis, et je te le dis après 20 ans de relations polyamoureuses, le polyamour ne peut que se construire lentement, c’est l’unique manière pour que ce soit vraiment du polyamour et qu’il soit réellement soutenable et durable.

Ce dont tu parles, c’est autre chose, ce sont des monogamies consécutives, qui en tant que telles, s’entrecroisent pendant un temps, jusqu’à ce que l’une d’elles ne tienne plus le coup, soit parce qu’elle a décidé avec qui elle veut rester soit parce qu’elle ne supporte plus le triangle amoureux. Sans aucun doute, il y a des personnes qui appellent cela du polyamour, mais je pense qu’il faut y ajouter, en ce moment de l’histoire, un nom : c’est du polyamour néolibéral. Mais tout n’est pas néolibéral dans le polyamour.

Amours en buffet à volonté, que ça marche ou pas

J’ai un exemple qui me plait beaucoup : ce sont ces buffets à volonté où tu vois des quantités énormes de nourriture présentées sur des plats et, sur les tables, il y a des choses un peu grignotées et abandonnées sans état d’âme, pour être remplacées par d’autres et on réalise que personne ne va pouvoir manger toute cette nourriture mais que si quelqu’un s’y risque, cela va finir en une indigestion gigantesque. Pourtant la bouffe est là, disponible. Elle nous donne la sensation que nous ne pouvons pas faire autre chose que la consommer. Il y a même cette idée que cela est une liberté, ce qui est un non-sens, parce que si nous ne pouvons pas éviter de vouloir manger, où est la liberté ?

Bref, avec les amours et le polyamour, c’est la même chose : on démarre au quart de tour parce que tout à coup, tout semble possible : waouh ! Et alors, il faut tout consommer, tout, tout, tout. Parce que cela devient possible et qu’on ne sait pas quoi faire de cette possibilité.

Ce qui n’est jamais précisé, c’est qu’il est également possible de ne pas le faire. Et même, ce dont on est en train de prendre conscience, c’est que cette fièvre de consommation est monogame, elle n’est pas polyamoureuse.

Pourquoi ? Parce que la monogamie nous a appris que, quand nous sommes en couple, si quelqu’un.e nous plait, il faut être avec cette personne, parce que le désir doit se concrétiser en quelque chose et que l’amour qui n’est pas réciproque n’est pas une joie, mais un malheur. Et là, vous réalisez : penser qu’aimer quelqu’un.e puisse être un malheur c’est un malheur en soi !

En monogamie, le désir est le début de quelque chose, ce n’est jamais quelque chose en soi. Et j’ajoute ici que la culture du viol a un pied dans la place.

Donc, si avec le polyamour, nous ne revoyons pas avec précaution nos bases monogames, nous continuons dans le même schéma : quelqu’un nous plait, nous allons vers cette personne, que ça soit le bon moment ou pas, que ce soit une histoire qui tienne la route ou pas, etc. Et on y va : la majorité des histoires polyamoureuses finissent par être cela, des monogamies consécutives qui s’entrecroisent pendant un certain temps jusqu’à ce que quelqu’un se barre.

Et si le désir était quelque chose de beau en soi ? Et s’il n’était pas nécessaire de faire toute une histoire chaque fois que nous éprouvons du désir ? Et si cela pouvait être plus simple et que nous pouvions dire à quelqu’un.e « je te désire » et que l’autre personne pouvait nous répondre « oh, c’est beau » et rien de plus, sans que le désir soit une proposition, ni une attente, ni rien de plus que du désir ? Imaginez-vous un monde ainsi ? Eh bien, c’est le monde polyamoureux que certaines d’entre nous imaginent. Nous sommes peu nombreuses, mais nous existons.

Et oui, comme tu le dis si bien, moi aussi je suis fatiguée. Je suis fatiguée d’être un terrain d’expérimentation, de mettre mon corps au service de l’auto-apprentissage du polyamour et de finir toute cabossée dans le caniveau et brisée à tout bout de champ.

Alors je demande aussi de la lenteur. Je réclame de réfléchir, je réclame de prendre soin et je suis en train d’apprendre, t’imagines, à 44 ans, à poser des limites qui me font du bien.

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[1] Dans les lignes qui suivent Brigitte parle d’un article de la psychiatre Ibone Olza, sur un psychiatre espagnol, qui, 10 ans après avoir commis un féminicide, exerce aujourd’hui en libéral. Je ne les ai pas traduites, car elles se situent hors contexte francophone, mais il m’a paru important de signaler le fait.

Le polyamour, Le nouveau miracle au pouvoir dégraissant – Brigitte Vasallo

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Depuis l’an dernier, Brigitte Vasallo a une rubrique hebdomadaire dans un magazine espagnol de psychologie positive, Mente Sana.

Ces derniers temps, elle a écrit sur la dépression et sur le fait que, bien que polyamoureuse, elle est jalouse.

Il m’a paru intéressant de traduire son dernier article car, avec humour, elle mentionne un fait essentiel : le polyamour n’est pas un produit miracle, ce n’est pas la porte ouverte à tous les possibles, ce n’est pas juste la possibilité d’aimer ou d’avoir des relations sexuelles et affectives avec plusieurs personnes et de s’organiser grâce à un agenda électronique. C’est bien pour cela que ça ne fonctionne pas pour beaucoup, que ça génère des dégâts psychologiques ainsi que des maltraitances.

https://www.cuerpomente.com/blogs/brigitte-vasallo/poliamor-no-funciona_1490

Traduction : Elisende Coladan

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Chères amies,

J’allais commencer l’année en écrivant une série d’articles sur la dépression, mais mes cheffes m’ont dit que ça commençait à bien faire avec la tristesse et qu’il serait bon que j’écrive quelque chose de plus marrant maintenant.

Alors, je leur ai proposé d’écrire sur le polyamour.

Et elles m’ont dit oui.

Et cela m’a amusée que quelqu’une puisse penser que le polyamour soit un thème plus amusant que la dépression.

J’ai pensé en moi-même : seule une personne monogame peut avoir cette idée. Mais je n’ai rien dit et j’ai commencé à écrire.

Le polyamour, ça ne fonctionne pas ! (et ça ne devrait pas fonctionner)

Il y a quelques semaines, je vous ai dit que si je recevais un euro chaque fois que quelqu’un me disait « voyons, voyons, tu causes beaucoup de polyamour, mais à la fin, tu es jalouse comme tout le monde », je serais actuellement dans un paradis fiscal, en train de savourer un daiquiri et de vivre une vie de folie, mais en positif (car la vie de folie, en négatif, c’est mon truc avec la dépression, mais comme je ne peux pas vous en parler, etc…)

Je suis polyamoureuse et je suis jalouse.

Bon, allons droit au but : si à cet euro j’ajoutais un autre euro chaque fois que j’ai entendu dire que « le polyamour, ça ne fonctionne pas », je serais actuellement la Bill Gates du polyamour et je me consacrerais à la philanthropie. Je donnerais des millions d’euros pour cloner MaThérapeute© pour qu’elle puisse nous recevoir toutes et nous transformer en personnes avisées, très avisées.

Vous dites que le polyamour, ça ne marche pas. Ben oui, évidemment, que ça ne fonctionne pas. D’ailleurs, cette phrase est à la base du fait que ça ne fonctionne pas. Parce que cette manière de penser l’amour est en elle-même monogame, mais je vous parlerai de cela un autre jour.

Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur le fait que le polyamour, mes chéries, n’est pas une machine distributrice de sodas ou un ascenseur. Le polyamour n’est pas un truc auquel il est possible de faire « reset », ou de donner des petits coups, de ceux qui font que quelque chose remarche alors que c’était en panne.

Le polyamour ne fonctionne pas : il faut le faire fonctionner. Et c’est là que tout est foutu d’avance.

Le polyamour, le nouveau miracle au pouvoir dégraissant

Il y a eu un moment, dans nos vies, où nous avons cru que le polyamour c’était comme dire « abracadabra ». On claque des doigts et le voilà. Fini les mauvais trips, plus de jalousie, plus de peurs, parce que toi, ma compagne, tu as trouvé le po-ly-a-mour, le nouveau produit miracle au pouvoir dégraissant.

Donc, tu y vas à fond dans le miracle et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, tu as le cœur blessé ou tu blesses celui des autres et tu dis partout que « ça ne fonctionne pas ». Tu te mets même à écrire des articles : j’en ai lu quelques-unes qui déversent une quantité incroyable de rage monogame parce que ce truc ne fonctionne pas.

Vous imaginez quelqu’une en train d’écrire des articles sur « le féminisme ne fonctionne pas » parce que pour elle ça n’a pas marché ? Ben, c’est exactement ce que nous faisons avec le polyamour. Au lieu de nous mettre à réfléchir pour trouver ce que nous avons raté et comment fonctionne cette histoire de structures [1], nous disons que c’est la faute du polyamour, comme si c’était un monsieur assis quelque part ou comme si c’était un dieu, ce qui est très confortable pour rejeter la faute sur quelqu’un.

Le fait est que le polyamour n’est pas une formule magique, ce n’est pas quelque chose qui existe : c’est une proposition, un horizon, un imaginaire à construire. Dire que tu commences une relation polyamoureuse, c’est prendre l’engagement d’en créer les conditions qui feront que la multiplicité amoureuse sera possible sans que personne ne meure pendant l’essai.

J’aime comment le philosophe Emmanuel Levinas imaginait la liberté. Il disait plus ou moins que la liberté, c’est se créer les conditions d’être libre.

Il en va de même avec le polyamour : c’est créer les conditions pour être polyamoureuse. C’est générer un espace relationnel pour pouvoir l’être.

Le polyamour, tout comme la liberté, ce n’est pas une idée, mais une mise en pratique. Et si la mise en pratique polyamoureuse ne fonctionne pas, il faut changer de pratique, sans plus, et arrêter de rejeter la faute sur l’illusion de nos incapacités amoureuses.

Pour finir, je vous laisse cette idée en passant : le polyamour n’est pas obligatoire. Si réellement, ça ne fonctionne pas avec vous, keep calm et passez à autre chose, car nous souffrons déjà suffisamment comme ça sans avoir à nous compliquer la vie encore plus avec ça.

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[1] Je vous invite à lire, à ce sujet, l’article de Coral Herrera Gomez : Ce n’est pas toi, c’est la structure : déconstruction de la polyamorie féministe.

Les dangers du polyamour et les « féminimacs » – Paula Huma González

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Ilustration: Lumi Mae – https://reginanavarro.blogosfera.uol.com.br/2016/08/06/da-monogamia-ao-poliamor/?cmpid=copiaecola

Pikara Magazine est une revue digitale féministe espagnole. Cet article vient de  la section de publication libre de Pikara, dont l’objectif, comme son nom indique, est de promouvoir la participation des lectrices et des lecteurs. 

https://www.pikaramagazine.com/2017/03/los-peligros-del-poliamor-y-los-femichulos/  

Traduction elisende Coladan

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Il arrive, très souvent, qu’on retrouve énormément d’attitudes  machistes dans des espaces féministes mixtes, dans lesquels les femmes devraient se sentir plus à l’aise et tranquilles qu’ailleurs. Quand le polyamour, dans ce même espace féministe, rencontre le machisme, cela très mal finir. C’est en grande partie parce que nous ne voyons pas venir les féminimacs (nom donné, en Espagne, à un homme qui se dit féministe, mais derrière qui se cache un machiste) et qu’ils se permettent des comportements (dans un réseau affectif polyamoureux, régit par leurs privilèges) que nous qualifierions immédiatement de machistes dans une ambiance non féministe. Combien de fois ne nous sommes-nous pas trouvées embarquées [1] dans un réseau affectif polyamoureux dans lequel, comme par hasard, il y a un homme central autour duquel circulent des femmes ? Une relation polyamoureuse peut très bien se passer si tant est que chacun prenne soin des autres, qu’il y ait une bonne communication entre tout le monde et que la relation de pouvoir soit horizontale [2].

Au sujet de la communication, bien plus de facteurs entrent en jeu dans une relation polyamoureuse que dans une relation monogame. Parmi eux, deux éléments très importants : il n’existe pas de références culturelles pour les relations polyamoureuses, et ce type de relation peut faire naître un bien plus grand nombre d’insécurités qu’une relation à deux. Ici, je vais particulièrement m’arrêter sur ce premier point. En effet, souvent, nous partons de zéro dans la construction de ces réseaux affectifs. Nous avons juste quelques livres, des articles ou des expériences racontées par un certain nombre de personnes. De plus, comme il s’agit de relations hors normes, il y a une terrible méconnaissance de la façon dont il est possible de créer des relations saines dans la configuration polyamoureuse. La meilleure manière de résoudre ce souci est d’avoir une très bonne communication entre tout le monde et cela ne signifie pas, à mon sens, d’uniquement exprimer ses insécurités, sensations et impressions. Je pense qu’il est également très important de communiquer à l’autre quelles sont nos intentions pour la relation. C’est ainsi que je souhaite reprendre l’idée de Thomas A. Mappes sur le consentement volontaire et informé [3]. Il part de l’idée qu’un échange fluide d’informations est nécessaire pour ne pas utiliser une personne sexuellement. C’est ainsi que, dans les relations polyamoureuses, afin de ne pas tomber dans une utilisation sexuelle des autres personnes, il est nécessaire de communiquer ses intentions, qu’il s’agisse d’une relation sexuelle occasionnelle ou d’une relation sexo-affective prolongée.

Le thème du « prendre soin » [4] est intimement lié à celui de la communication, car communiquer c’est également prendre soin. Chaque personne est différente, et si nous en tenons compte au moment d’établir des relations polyamoureuses, nous aurons aussi à l’assimiler en prenant soin de ces relations. Les personnes avec qui nous établissons des liens sont différentes de nous et différentes entres elles, ce qui fait que chacune aura besoin que l’on prenne soin d’elle de manière différente. La communication est indispensable, afin de connaître leurs attentes dans la relation, de savoir de quelle manière elles souhaitent que l’on prenne soin d’elles, comment elles se sentent, comment sont leurs rythmes, ce qu’elles aiment ou pas, comment elles pensent s’investir dans la relation, etc. Il est également nécessaire d’expliquer ce dont on a soi-même besoin, nos impressions, ce que l’on peut apporter ou pas, ce que nous aimons ou pas. Je comprends aisément que cela ne soit pas facile, d’autant plus que l’on nous a toujours dit que les sentiments sont quelque chose d’intime et de privé qu’il faut garder pour soi. Même ainsi, c’est vraiment quelque chose qu’il est nécessaire de travailler afin de nous déconstruire et la meilleure manière d’y arriver, c’est avec un entourage sûr, avec des personnes qui nous transmettent précisément cela : un sentiment de sécurité.

Finalement, en ce qui concerne l’horizontalité, je voudrais apporter ma note personnelle avec une citation du livre L’insoutenable légèreté de l’être, dans lequel Tereza (une des protagonistes) raconte à Tomas (avec qui elle a une relation ouverte), qu’elle a fait de lui. Ce rêve pourrait décrire parfaitement ce qui m’est venu à l’esprit alors que je vivais une relation polyamoureuse très mal gérée, dans laquelle l’homme se trouvait au centre et décidait de la destinée de chacune des femmes. Et c’est dans ce genre de configuration que peut surgir la grande majorité des problèmes :

« C’était une grande piscine couverte. On était une vingtaine. Rien que des femmes. On était toutes complètement nues et on devait marcher au pas autour du bassin. Il y avait un grand panier suspendu sous le plafond, et dedans il y avait un type. Il portait un chapeau à larges bords qui dissimulait son visage, mais je savais que c’était toi. Tu nous donnais des ordres. Tu criais. Il fallait qu’on chante en défilant et qu’on fléchisse les genoux. Quand une femme ratait sa flexion, tu lui tirais dessus avec un revolver et elle tombait morte dans le bassin. À ce moment-là, toutes les autres éclataient de rire et elles se mettaient à chanter encore plus fort. Et toi, tu ne nous quittais pas des yeux, et si l’une d’entre nous faisait un mouvement de travers tu l’abattais. Le bassin était plein de cadavres qui flottaient au ras de l’eau. Et moi, je savais que je n’avais plus la force de faire ma prochaine flexion et que tu allais me tuer ! » [5]

Comme nous l’avons vu ci-dessus, la communication, le « prendre soin » et l’horizontalité sont les trois piliers du polyamour et ils doivent concomitants. Quand je parle d’horizontalité, je fais référence au fait que les différentes personnes faisant partie de la relation doivent être dans la même situation et il ne peut pas y avoir une asymétrie de soins ou d’informations. Peut-être que c’est l’aspect le plus compliqué, car il implique le besoin de se retrouver dans une situation équilibrée par rapport au reste des personnes inclues dans le réseau affectif polyamoureux, mais il est vraiment nécessaire.

Pour arriver à cette horizontalité, nous devons prendre en compte un certain nombre de choses. Pour commencer, le patriarcat. Cela nous échappe parfois : le polyamour doit absolument inclure une perspective de genre. Nous ne pouvons pas penser que, dans une relation polyamoureuse, les hommes et les femmes sont au même niveau. Les hommes hétérosexuels ont toute une série d’attitudes et de comportements machistes bien ancrés et, même s’ils faisaient un grand travail de déconstruction, il leur serait bien difficile de changer. C’est ainsi que, dans un réseau affectif polyamoureux, il est très facile que l’homme, avec ses privilèges, se retrouve au centre et choisisse avec qui il couche et avec qui non, pendant que les femmes adoptent une attitude soumise et passive. Que se passe-t-il, alors, aves les « féminimacs » ? Ça peut être plus compliqué à repérer parce qu’ils sont souvent très subtils, qu’en ce qui concerne le polyamour, ils vont faire le célèbre « mansplaining [6] », « en prenant les rênes de la relation » avec l’excuse que c’est eux qui savent et agissant ainsi de manière paternaliste et privilégiée.

L’autre problème, c’est que les femmes ont également, comme les hommes, intériorisé certains comportements machistes. On nous a enseigné, depuis toujours, des attitudes comme la soumission à l’homme, ou la culpabilité… Et ceci joue vraiment beaucoup en notre défaveur, car bien des problèmes dans ce type de relations viennent de la jalousie et, si ces problèmes ne sont pas bien gérés, il n’y a plus d’horizontalité.

Il faut faire attention avec les situations comme celle dont je viens de parler, où l’homme est au centre d’un axe central autour duquel gravite le reste des femmes. Car il peut manipuler les femmes de manière consciente ou inconsciente, et c’est ainsi que la femme finira par se sentir coupable d’être jalouse des autres femmes, quand en réalité cette jalousie est probablement le fruit d’un manque de communication et d’une accumulation d’insécurités provoquées par l’homme lui-même.

Un autre aspect à prendre en compte, c’est celui des liens émotionnels et c’est bien la part qui m’est la plus douloureuse. Nous devons être très prudentes et ne pas nous relâcher quand nous souhaitons avoir des relations sexo-affectives avec un homme. Nous ne devons, à aucun moment, enlever nos « lunettes violettes », celles que nous mettons lorsque nous apprenons ce qu’est le féminisme, parce que lorsque nous sommes en relation avec quel que soit l’homme, il va reproduire des comportements machistes, même implicites. Le fait d’avoir un lien émotionnel, dans le cas d’une relation sexo-affective, peut faire que nous nous voilons la face et que nous n’arriverons pas à voir ces attitudes machistes.

Pour finir, il n’y pas de formule pour éviter qu’un réseau affectif polyamoureux ne se transforme en quelque chose de nocif et toxique mais, tout au moins, nous pouvons savoir d’où viennent les dangers que nous pouvons rencontrer, afin d’essayer de les éviter. De plus, il est indispensable de ne pas oublier la position de privilège qu’ont les hommes hétérosexuels, pour envisager d’élaborer, comme je l’ai dit auparavant, une bonne pratique du polyamour avec une perspective féministe.

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[1] Comme il est d’usage dans les milieux non monogames féministes en Espagne, l’autrice de cet article utilise le féminin de manière générique, c’est-à-dire qu’il s’adresse à tout le monde.

[2] Non hiérarchique (NTD)

[3] Thomas A. Mappes et J.S. Zembaty (eds.), Social Ethics. Morality and Social policy, N.Y., McGraw-Hill, 1987.

[4] Pour la notion de « prendre soin », ou « cuidados » en espagnol, ou « care » en anglais, voir le paragraphe « Prendre soin et le sens de cette expression » dans l’article de Natàlia Wuwei : « Après avoir rompu avec la monogamie » https://nonmonogamie.wordpress.com/2017/02/21/apres-avoir-rompu-avec-la-monogamie-natalia-wuwei/

[5] Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être, Gallimard, 1984.

[6] Le « mansplaining » désigne la situation où un homme (en anglais « man ») se croit en devoir d’expliquer (en anglais « explain ») à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, généralement de façon paternaliste ou condescendante. Wikipedia

L’honnêteté masculine et l’amour romantique. Coral Herrera Gómez

Collage: Señora Milton
Collage: Señora Milton

https://www.pikaramagazine.com/2017/06/honestidad-masculina-amor-romantico/#sthash.4MoBHnFi.dpuf

Traduction : Elisende Coladan

Ce blog « reprend vie » après un long silence. J’ai été prise par la préparation de ma présentation pendant la 2nd Non-Monogamies and Contemporary Intimacies Conference début septembre, puis par la rentrée, ensuite par le mouvement #metoo et enfin par ma participation au 2e Eixams, début décembre, dont je parlerai très bientôt. 

J’avais commencé à traduire cet article de Coral Herrera Gómez dès sa parution, puis il est resté bien au chaud quelque part dans le disque dur de mon ordinateur. Les vacances de fin d’année et une baisse de travail en début d’année me donnent, et me donneront, le temps de continuer mes traductions et publications.

C’est le 3ème article de Coral que je traduis ici et le 5e que je traduis. J’apprécie beaucoup ce qu’elle écrit. Elle a été la première autrice à me faire prendre conscience des dégâts provoqués par les mythes de l’amour romantique et par la pensée monogame. Elle m’a également permis de me rapprocher de la pensée féministe, puis de revendiquer mon appartenance au féminisme.

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Pourquoi les hommes patriarcaux mentent-ils ? Pourquoi séduisent-ils les femmes avec des promesses d’avenir et fuient quand ils les ont conquises ? Pourquoi pensent-ils que c’est normal, voire nécessaire, de cacher des informations à leur conjointe, mais ne supportent pas qu’elle fasse de même ? Pourquoi défendent-ils autant leur liberté mais limitent celle de leur compagne ?

Pourquoi un homme peut être quelqu’un de bien avec tout le monde, sauf avec sa femme ? Pourquoi les clubs de strip-tease sont-ils plein d’hommes mariés, tous les jours de la semaine ? Pourquoi y-a-t-il certains pays où je sais qu’il est habituel que les hommes aient deux ou trois familles parallèles [1], alors qu’ils ont juré devant l’autel de l’église ou devant le maire d’être fidèles à leur partenaire officielle ?

En amour comme à la guerre, tous les coups sont permis, mais c’est la bataille la plus importante de la guerre des sexes. Le régime hétérosexuel se base sur une répartition des tâches dans laquelle les hommes sortent toujours gagnants : ils imaginent et imposent les normes que les femmes doivent suivre. Ils veulent la monogamie, jurent fidélité, promettent la sincérité et, à la moindre opportunité, changent les règles du jeu et s’emberlificotent dans de nombreux mensonges.

Ces mensonges sont intimement liés à la masculinité patriarcale. Tromper et trahir les pactes acceptés est la conséquence directe du fait de signer un contrat dans lequel, apparemment, nous partons sur une base de conditions égales, mais qui est fait, en réalité, pour que nous soyons fidèles et nous attendions sagement à la maison pendant qu’eux font ce qu’ils veulent dehors. La monogamie est donc un mythe qui a été créé pour nous, très utile pour maintenir le lignage paternel et la transmission du patrimoine et encore bien plus utile pour nous domestiquer et nous enfermer dans l’espace domestique.

Dans la bataille de l’amour hétéro, le pacte est : « Je n’ai pas de relations sexuelles en dehors de notre couple donc, toi non plus ». Il s’agit de définir des limites pour tous les deux et de renoncer à la liberté sexuelle ou, encore mieux : faire en sorte qu’elles pensent qu’eux aussi s’engagent à respecter cette auto-imposition. Mais non : les stratégies font que les femmes s’autocensurent, alors qu’eux font ce dont ils ont envie, en sachant qu’ils bénéficient d’une impunité relative et qu’ils seront pardonnés.

Dans cette guerre des sexes, ils arrivent armés jusqu’aux dents, alors que les femmes sont démunies et amoureuses. Ils ont un jeu d’avance et ils gagnent pratiquement à tous les coups : la double morale nous désigne comme fautives et eux sont toujours pardonnés. Pour pouvoir profiter de la diversité sexuelle et amoureuse typique de ce que le mâle recherche les hommes savent qu’ils doivent défendre leur liberté pendant qu’ils mettent des limites à celle de leur partenaire. Et pour y arriver, ils font des tas de promesses, mentent beaucoup, trompent et trahissent leurs ennemies.

Car les femmes ne sont jamais vraiment des compagnes : ils les considèrent comme des adversaires qu’il faut séduire, domestiquer et maintenir dans la tromperie de l’amour romantique et des bontés de la famille patriarcale.

La double morale du patriarcat permet que les hommes puissent avoir une double vie : une en tant qu’adultes responsable et une autre en tant que gamins menteurs qui n’assument jamais les conséquences de leurs actes. Les hommes comprennent vite qu’ils peuvent abuser de leur pouvoir car le marché de l’amour est plein de femmes qui ne demandent qu’à être aimées. De la même manière que les grands patrons abusent de leurs employé.e.s parce que la main d’œuvre abonde, et qu’il y a un réel besoin de travailler, malgré de faibles salaires ; les hommes patriarcaux savent qu’ils peuvent mentir et profiter de très nombreuses femmes avec une très faible estime de soi et qui ont besoin d’amour. Les mêmes qui préfèrent supporter mensonges et tromperies, plutôt qu’être seules et qui, rarement, voient cette manière de les traiter comme de la maltraitance. Ce qui veut dire qu’il est difficile de se rendre compte que ces comportements sont violents, parce que cette violence est normalisée dans notre culture patriarcale.

Toutefois, les hommes patriarcaux considèrent qu’ils sont de bonnes personnes. La duperie fait partie des stratégies guerrières, c’est pour cela que trahir et mentir aux femmes avec qui ils sont en relation ne les fait en aucune manière se sentir comme des traitres ou des menteurs. C’est juste une façon de dominer et d’être en relation avec l’ennemie. Et quand l’ennemie est une femme, il n’y a pas de normes, ni principes ni éthique qui vaillent : dans la culture machiste, toute stratégie est bonne à prendre. L’objectif sera toujours celui de soumettre les femmes, afin de vivre mieux à leur dépend, de sauvegarder l’honneur et d’augmenter leur prestige devant les autres hommes.

C’est la raison pour laquelle l’honnêteté n’existe pas chez les hommes patriarcaux. Il n’y aucune contradiction, et cela ne leur pose pas de problème. C’est tout simplement que, s’ils étaient honnêtes, ils ne pourraient pas avoir tout ce qu’ils veulent, ils ne pourraient pas avoir des maitresses et une femme fidèle, ils ne pourraient pas faire ce qu’ils souhaitent sans rendre de comptes à qui que ce soit, ils ne pourraient pas mentir, cumuler des richesses, voler ou utiliser leur pouvoir pour profiter des autres. L’honnêteté ne va pas de pair avec les valeurs de la masculinité patriarcale, en tout cas pas sur le terrain de la guerre contre les femmes.

La monogamie et l’honnêteté masculine :

Elle : Chéri, qu’est-ce que tu fais ?

Lui : Je suis au lit, sur le point de m’endormir. Et toi, ma chérie ?

Elle : Je suis derrière toi, au bar.

Voici la trame de base des blagues machistes : il ment, elle l’attrape sur le fait. C’est le jeu du chat et la souris : dans les relations hétéros, nous sommes les flics, les juges et les geôlières, eux, ce sont des gamins turbulents qui s’amusent à faire souffrir leur mère.

La monogamie est une invention du patriarcat pour nous maintenir enfermées et occupées. La tromperie consiste à nous faire croire que l’adultère n’est pas la norme, mais une exception et que nous pouvons l’éviter en étant complaisantes avec nos maris, en obéissant aux normes, en satisfaisant tous leurs besoins et en évitant que d’autres femmes les approchent. Certaines vivent résignées à ce que l’oisillon s’échappe de temps en temps de son nid. Quand elles découvrent ses infidélités, elles lui demandent d’aller dormir quelques jours sur le canapé, mais peu après, il finit toujours par revenir dans le lit conjugal.

Pourquoi les femmes investissent autant d’énergie à surveiller, punir et pardonner leur conjoint ? D’abord, parce que dans bien des pays les femmes ne peuvent divorcer que depuis peu, et avant cela, elles ne pouvaient pas toucher elles-mêmes leur salaire, avoir leur propre entreprise ou même ouvrir un compte en banque [2], de sorte que la dépendance émotionnelle s’accompagnait de la dépendance économique et il fallait avaler des couleuvres, même si c’était humiliant de se savoir trompée. [3]

Ensuite, parce que la double morale justifie l’adultère masculin tout en culpabilisant les femmes : ce sont elles les séductrices qui tentent les hommes. Le monde est rempli de mauvaises femmes qui ne respectent pas la propriété privée des femmes, qui tentent les hommes à chaque pas. Avec autant de méchantes séductrices, c’est « normal » que les pauvres petits chéris ne puissent pas résister.

Avec ce genre de logique, la culture patriarcale nous monte les unes contre les autres et nous fait sentir comme rivales les unes des autres. C’est pour cela qu’on pardonne au mari et rejette la faute sur toutes les autres. C’est le patriarcat qui le dit : les hommes ont un appétit sexuel démesuré et, bien qu’ils fassent de gros efforts pour le contrôler, ce sont des personnes de chair et de sang. Ils ne peuvent que succomber aux charmes féminins parce qu’ils sont faibles et qu’ils n’arrivent pas toujours à résister à la tentation. C’est pour cela qu’ils vont voir les putes avec des copains ou qu’ils se laissent séduire par des perverses voleuses de maris.

C’est ce qui est arrivé au pauvre Adam, qui s’est laissé emporter par l’insolente et désobéissante Ève. Dans cet imaginaire patriarcal, c’est toujours nous qui sommes fautives : aussi bien en ce qui concerne les infidélités masculines, que pour les féminines, qui sont infiniment pires que les masculines.

Nos infidélités sont monstrueuses et nous n’en sortons jamais indemnes : toutes les vilaines femmes sont découvertes et punies, aussi bien dans la réalité que dans les fictions. Certaines sont torturées, d’autres sont violées ou assassinées : le patriarcat nous soumet aux pires châtiments pour essayer de nous dissuader d’aller voir ailleurs.

Quand nous tombons amoureuses d’une autre personne ou nous avons des relations en marge du couple hétéropatriarcal, nous sommes des traitresses et nous mettons en péril tout le système économique, politique, sexuel, social, culturel. De ce fait, il est très important de nous soumettre à des châtiments cruels car nous désobéissons aux directives de genre et nous les poussons dans leur retranchement.

Les hommes patriarcaux ne supportent pas les infidélités, ni les tromperies, ni les mensonges. Ils ont horreur que d’autres hommes se moquent d’eux et les traitent de cocus. C’est ce qui arrive aux faibles, à ceux qui ne savent pas dominer leur femme. C’est pour cela qu’ils préfèrent se marier avec des femmes gentilles, celles qui ont été éduquées pour être comme leur mère : qui leur indiquent le bon chemin à suivre, qui dépensent beaucoup d’énergie à les élever, les domestiquer, les surveiller, les pardonner maintes fois. Eux n’ont qu’à faire comme s’ils n’y pouvaient rien, dire qu’ils étaient bourrés, drogués ou forcés, le regretter et promettre de ne plus recommencer.

Les hommes patriarcaux se réjouissent d’être le centre d’intérêt, de savoir que, plus ils se comporteront comme des salauds, plus elles leur courront après. Ils ont besoin de femmes peu sûres d’elles, jalouses, qui les contrôlent, avec une très faible estime de soi, rongées par la peur de la solitude et de l’abandon. Ils ont besoin de les faire souffrir pour se sentir importants et pour obtenir des preuves d’amour sous forme de drames, de querelles et de pleurs. Ils ont besoin de se sentir nécessaires, indispensables et puissants parce qu’ils sont dans l’incapacité d’avoir des relations égalitaires. La masculinité patriarcale gonfle leur ego et fait baisser leur estime de soi. C’est ainsi que le patriarcat veut les voir : peureux, impuissants, peu sûrs d’eux, violents et très occupés à démontrer que c’est eux qui portent la culotte.

Les avantages et les plaisirs de l’honnêteté.

Le romantique est politique : si nous voulons transformer, améliorer ou révolutionner le monde dans lequel nous vivons, nous devons changer la façon dont nous vivons nos relations sexuelles, affectives et émotionnelles. Afin de construire un monde meilleur, il faut arriver à délivrer l’amour de toute sa charge machiste et en finir avec les guerres romantiques qui perpétuent l’inégalité et les violences.

Nous, les femmes, nous avançons actuellement, à pas de géant, en dépatriarcalisant nos émotions, nos discours, nos comportements, notre façon de construire des relations. À partir du féminisme, nous cherchons à éliminer les contradictions et connecter ce que nous pensons, ce que nous sentons, ce que nous disons et ce que nous faisons. Honnêteté et cohérence sont les clés pour aller de la théorie à la pratique : nous voulons un monde meilleur, nous voulons des relations plus saines, plus agréables et plus satisfaisantes. Nous ne voulons pas être le frein à main des hommes : nous voulons être leurs compagnes.

Quelques hommes ont également entrepris la tâche de déconstruire leur masculinité patriarcale et de fabriquer des outils qui pourront leur permettre d’avoir des relations égalitaires. Mais il reste encore bien du boulot : ils sont peu nombreux, mais il y en a de plus en plus. Je suis optimiste depuis que je suis entrée en contact avec des hommes et des femmes qui vivent des masculinités dissidentes. Puisque d’autres formes de masculinité sont possibles, d’autres manières de nous aimer le sont également, d’autres manières de nous accompagner et de prendre soin de nous.

En étant honnête, il est plus facile de construire des relations basées sur la confiance, la sincérité et la complicité. Travailler le thème de l’honnêteté est fondamental pour désapprendre le machisme, déloger les patriarcats qui nous habitent, créer des relations libres de violences, de jalousie, de tromperies, de tourments et de drames.

L’honnêteté dans les relations de couple nous permet de nous connecter à partir du centre de notre existence avec l’autre, avec les autres. À partir de ce lieu, nous pouvons être nous-mêmes, communiquer sans masques ni armures protectrices. En travaillant ensemble l’honnêteté, il possible de se montrer comme on est, comment on se sent, ce que nous voulons et ne voulons pas, ce dont nous avons besoin pour être bien.

Il est possible de marcher dénudée sans peur, il est possible de se montrer telles que nous sommes, faire confiance et construire des relations qui nous correspondent, avec des accords mutuels et en travaillant en équipe.

En définitive, je crois que l’honnêteté est un pari à travailler comme un défi pour toutes les personnes qui souhaitent dépatriarcaliser les masculinités, cultiver l’éthique amoureuse et prendre soin de l’autre, afin de construire des relations basées sur la solidarité et le plaisir d’être ensemble.

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[1] Coral Herrera Gómez vit au Costa Rica (elle est rentrée en Espagne début 2020). Tout comme elle, j’ai constaté, dans certains pays d’Amérique latine, le fait qu’il existe ce qui s’appelle « la grande maison » (« la casa grande ») et « les petites maisons » (« las casas chicas ») : la première avec l’épouse et les enfants officiels, et les autres avec les maîtresses et leurs enfants (parfois reconnus par leur père, mais pas systématiquement). (NdT)

[2] Chronologie des Droits des Femmes en France :

  • 1907 : La loi accorde aux femmes mariées la libre disposition de leur salaire.
  • 1965 : Loi de réforme des régimes matrimoniaux qui autorise les femmes à exercer une profession sans autorisation maritale, à ouvrir un compte en banque et à gérer leurs biens propres.
  • 1975 : Instauration du divorce par consentement mutuel. (NdT)

[3] Encore aujourd’hui, de nombreuses femmes restent pour des raisons financières et également « pour les enfants ». (NdT)

Pensée monogame, terreur polyamoureuse. Brigitte Vasallo

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Photo Pol Galofre

« Le nous groupal fonctionne de manière hiérarchique, excluante et confrontationnelle. » B.V.

Extrait du (futur) livre de Brigitte Vasallo ( Pensée monogame, terreur polyamoureuse), qu’elle a présenté à Aula Oberta, le 14 février dernier, au CCCB (Centre de Culture Contemporaine de Barcelone), dans le cadre du cycle “Saber, hacer, comprender”, organisé par l’Institut d’Humanitats de Barcelone. Publié dans un article de bcnsedesnuda.

« La monogamie n’est pas une pratique, c’est un système d’organisation des relations qui hiérarchise le noyau reproducteur et le protège par des dynamiques d’exclusion et de confrontation. » B.V.

Le regard que pose Brigitte, à la fois sur notre société monogame hétéronormative occidentale et sur le monde de la non-monogamie, m’a toujours paru extrêmement lucide et critique.

Tant que la non-monogamie sera considérée comme la nouvelle manière, à la mode, cool, de vivre les relations, et se développera ainsi, je ne prévois guère de changements dans notre manière de les vivre, si ce n’est que par la multiplication. Si être polyamoureux.euse, c’est juste avoir plusieurs relations, comme je l’ai souvent entendu dire en France et en Belgique, sans réflexion profonde sur la manière dont nous entrons en relation, les mêmes modèles seront reproduits et pire, seront démultipliés, avec toutes leurs formes d’oppression et de maltraitance.

En ce qui me concerne, bien que je sois une femme blanche cis, hétéro et (sur)diplômée, je me sens à la marge de cette société. Je vis dans une relative précarité depuis toujours, au jour le jour, parfois ici, d’autres fois ailleurs, sans emploi, ni pays, ni domicile fixes, sans biens, ni hypothèque, ni future retraite. Sans compagnon.gne de route, mais toujours accompagnée, sauf dans des périodes plus ou moins longues de solitude voulue et vitale. Entourée de toutes formes de (nombreuses) relations affectives, d’autres qui ont été uniquement sexuelles et d’autres encore sexo-affectives. Certaines sur le long et d’autres sur le court terme. Je redéfinis de jour en jour les mots « amour » et « amitié ». Dans ce contexte, être non monogame fait partie de ma manière de vivre, d’une philosophie de vie, hors normes sociales. C’est en cela que je me retrouve complètement dans ce texte. Brigitte m’a dit écrire en pensant à moi. Je veux bien la croire, car elle écrit en pensant aux êtres qui, comme elle, comme moi, n’arrivent pas à entrer dans le moule et ont tellement de mal à se sentir à l’aise dans cette société où, faute de trouver une place, nous vivons en marge. [NDT]

bcnsedesnuda.wordpress.com/2017/02/17/vasallo-el-nosotros-grupal-funciona-de-forma-jerarquica-exclusiva-y-excluyente-y-confrontacional/

Traduction : Elisende Coladan

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« C’est facile de donner une réponse bucolique aux critiques, sur un horizon paisible où le désir circule par des canaux déjà connus ou en disant que tous les corps sont désirables. Mais, par la suite, après, avant et sur ces mots, la vérité s’envole et sur ce plan, concret, les personnes qui ont le plus de succès socialement parlant s’unissent aux personnes qui ont également le plus de succès, beauté sur beauté, glamour sur glamour. L’attraction, le capital érotique, est contextuel. Nous pouvons changer les formes, les mèches blondes, les haut-talons par des chaussures cloutées, finalement c’est toujours le même modèle qui s’impose partout.

Quand le polyamour ou les autres types de relations à visée non monogame oublient de questionner la base même des désirs et la base même de la monogamie, avec leurs points et bonus par conquête sur le schéma pyramidal d’accès aux corps que le marché impose comme désirables pour la majorité, mais accessibles à une minorité ; jusqu’à ce que ces dynamiques soient pas complètement dynamitées, effectivement, le polyamour sera une révolution de pacotille portée par quelques-unes au détriment de celles abandonnées depuis toujours.

C’est ainsi que, lorsque le polyamoureux ou la polyamoureuse qui a réussi vient vous expliquer, satisfait.e, qu’il.elle est en train de vivre plusieurs relations simultanées avec un récit plein d’images de lui.elle-même, de revendications de ses droits, et de leçons de morale sur comment bien vivre ceci ou cela; quand il n’y a aucune trace de frustration, ni de doute, ni d’angoisse, ni de petits morceaux de tripe blessée dans toute sa diatribe, alors prends une tequila ou un thé à la menthe, enfonce-toi patiemment dans ton fauteuil et, calmement, avec un sarcasme non dissimulé, réponds : « Ah, comme c’est intéressant mais, dis-moi, avec combien de personnes ? Raconte-moi, avec combien ? »

C’est pour cela que rompre avec la monogamie n’est pas fait pour les blanches, les minces, les saines d’esprit, les mignonnes et bien foutues mais, justement, pour toutes celles pour qui la monogamie est encore plus un mensonge que pour les autres. Il est nécessaire de la casser pour de bon, de ne pas y substituer des monogamies simultanées camouflées sous d’autres noms. De rompre avec tous les mécanismes, de lui cracher à la figure, de devenir intransmissibles, non reproductrices, devenir intolérables.

Rompre avec la monogamie n’est pas pour celles qui s’en vont avec la première personne disponible, ni pour les personnes normales, ni pour les personnes cool des salons, ni pour les cool des afters, ni pour les cool des squats. C’est la rupture des fracassées, des losers, de celles qui évitent les franges de n’importe quelle frange, pour celles qui ne trouvons jamais de partenaire pour construire un nid douillet parce qu’il n’existe pas un nid où être contenue ni qui puisse nous contenir, c’est pour la gamine abandonnée à trois mois de grossesse, pour les lesbiennes du village, pour celles qui ont dépassé la quarantaine, pour les séropositives, pour la tapette de l’école, pour l’homme trans qui ne souhaite pas faire le coq ou se faire une mastectomie, pour la barbue sans passing, pour les rejetées par les leurs, par leur clan, pour celles qui ne s’adaptent pas à leur race, ni à leur origine, ni à leur environnement, ni à leur patrie, pour celles qui n’ont pas de foyer où rentrer, ni de mère vers qui retourner, ni une famille avec qui passer les fêtes et ensuite le publier sur les réseaux sociaux, pour toutes celles qui ne savent pas quoi faire de leur corps ni de leurs vies, parce que nous savons ce que cela veut dire être seules et ce que veut vraiment dire avoir été abandonnées, pour les immunes aux capitaux érotiques parce qu’elles n’y ont jamais fait d’investissements.

C’est uniquement à partir de là, de la blessure, que nous pouvons construire autre chose. Les outils du maître ne démonteront pas la maison du maître[1]. Nous, nous avons d’autres outils, parce que nous sommes faites d’une autre matière, à force d’en prendre plein la gueule. Nous n’avons qu’à rompre une bonne fois pour toutes avec le rêve, faire un dernier pas, défaire une dernière amarre, fuir les influences des centres du désir, sortir de la marge pour éviter un au-delà, trouver nos semblables, les regarder bien en face, les appeler et nous mettre, une bonne fois pour toutes, à construire autre chose.

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[1]Phrase prononcée par Audre Lorde lors d’une conférence organisée à New York en 1979, autour du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. [NdT]

Après avoir rompu avec la monogamie. Natàlia Wuwei

16650767_10154773942231265_1037840566_ocreada per/por – Créé par Babs Pangolynx

J’ai connu Natàlia, qui a écrit cet article, il y a un peu plus d’un an, lors des premières Journées d’Amors Plurals, à Barcelone.  J’ai été impressionnée par sa pensée. J’attendais avec hâte que cet article, suite à sa présentation lors des 2es Journées d’Amors Plurals, soit publié.

Il s’agit ici d’une réflexion extrêmement intéressante et importante sur comment les relations non-monogames sont traversées par des éléments propres aux relations monogames. [NDT]

después de romper con la monogamia

Traduction : Elisende Coladan 

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« Cet article est un résumé (très résumé) d’une présentation que j’ai fait pendant les II Journées d’Amors Plurals et qui a été publiée dans le N°422 du journal La Directa.

(**) J’ai rajouté à la fin une clarification suite à certains commentaires qui ont été faits au moment de la publication de l’article.

La version non résumée (in extenso) de cette présentation, divisée en plusieurs parties, sera publiée plus tard sur mon blog.

Nous vivons nos relations d’une manière qui fait partie d’un système ou d’une structure de pouvoir clairement liés au schéma monogame.  La monogamie n’est pas seulement un nombre de relations, c’est également un système, avec une forme de pensée qui s’est construite dans une logique sociale. Et cela va plus loin que la normativité autour des relations de couple, car elle nous indique aussi comment nous devons entrer en relation, de manière générale, avec les autres : il s’agit d’un système relationnel.

La monogamie nous isole en unités familiales qui ne permettent pas de générer des réseaux solidaires, affectifs et sensibles aux structures qui nous traversent. La non-monogamie a un grand potentiel, non seulement pour rompre avec le système relationnel lui-même, mais également avec d’autres structures de pouvoir qui s’alimentent de la structure monogame. Elle permet de construire des relations qui rompent avec les systèmes d’oppressions et de privilèges. Cependant, il est nécessaire d’avoir un point de vue critique envers les différentes propositions envisagées, autrement il n’y aura qu’une simple reproduction d’une même pensée démultipliée.

Individualisme, domination et objectivation

Notre manière occidentale d’appréhender le monde se base en l’idée que nous sommes des individus extérieurs au monde qui nous entoure (comme si nous ne faisions pas partie de notre environnement) et nous accédons à notre entourage par la domination. Cette vision encourage la création de structures de pouvoir, qui permettent à qui domine d’obtenir ce dont il a besoin, sans même avoir à comprendre qu’il.elle les obtient autour de lui : ses besoins sont couverts de forme systématique grâce aux structures existantes. C’est ainsi que s’installent des privilèges pour ces personnes, appartenant à des groupes dominants, qui leur donnent un faux sentiment d’indépendance.

Dans nos environnements non-monogames, nous essayons fréquemment de rompre avec l’idée de la totale dépendance à une seule personne (ce qui vient de la monogamie et provoque des relations de pouvoir). Nous exprimons le fait que nous sommes indépendants et que nous n’avons besoin de personne d’autre que nous-mêmes. De cette manière, la dépendance est stigmatisée, elle est invisibilisée dans l’environnement de personnes avec des privilèges et il se crée un discours sur la non-monogamie à laquelle seulement peuvent accéder des personnes avec encore plus de privilèges.

Nous traitons notre environnement comme un objet, parce que nous le voyons comme une chose externe à nous même, à laquelle nous accédons pour couvrir nos propres besoins. Les personnes avec qui nous sommes en relation forment également partie de cet environnement-objet. Nous les approchons donc en fonction de nos propres besoin et envies, sans tenir compte des leurs. Il s’agit alors d’un processus « d’objectivisation ». En quelques mots, « objectiviser » c’est traiter les personnes comme si elles n’avaient pas de volonté ou d’envies propres, ou bien sans leur laisser un espace pour qu’elles puissent consentir ou s’opposer à quelque chose, ni à exprimer leur émotions ou opinions par rapport à des éléments qui les affectent. Cette situation est très fréquente dans les relations non-monogames hiérarchiques où, souvent, des personnes sont affectées par des décisions qui sont prises dans les relations primaires, sur lesquelles elles ne peuvent pas donner leur avis, ou exprimer leurs propres sentiments ou proposer des alternatives. Parfois, elles ne sont même pas informées du tout des décisions qui ont été prises. En définitive, « objectiviser » c’est ne pas prendre en compte l’autre, lui enlever la possibilité de s’exprimer.

Engagement et implication

La monogamie a une très forte charge d’engagement implicite et d’attentes qui sont en accord avec l’escalator des relations[1] . Il s’agit d’un engagement qui n’a pas été discuté, pacté ou revu par aucune des deux parties. De plus, souvent il implique le fait de ne pas pouvoir partager des engagements, des projets ou de l’affection avec d’autres personnes. C’est toujours à une seule personne d’avoir à couvrir les besoins de l’autre.

Beaucoup, face à cela, proposent comme alternative le fait de ne pas prendre d’engagements ni d’avoir attentes. Cela donne un avantage aux personnes qui ont plus d’un privilège, puisque leurs besoins sont pour la plupart couverts et elles n’ont pas besoin de l’engagement pour obtenir quoi que ce soit. D’autre part, les personnes avec moins de privilèges seraient, dans la majorité des situations, amenées à vivre des situations de vulnérabilité. Car elles ont besoin d’engagement pour pouvoir accéder à ce à quoi elles n’ont pas le droit sans privilèges.

Ne pas vouloir s’impliquer est une forme de ne pas vouloir accepter le fait de combien nous sommes affectés par notre environnement et comment nous l’affectons, sans même nous en rendre compte. Il est nécessaire de réellement s’impliquer pour construire des relations non « objectivistes », où les personnes peuvent avoir la possibilité de donner leur avis sur ce qui les affecte. Les relations doivent se construire par des engagements et des implications explicites, qui ne sont pas dictés par des normes sociales structurelles. Et n’empêchent pas la création d’autres engagements.

Responsabilité partagée

La monogamie fait croire qu’une personne est totalement responsable de notre bonheur ou de notre malheur. Pour rompre avec cette idée qui engendre des relations de pouvoir, il est habituel de dire que chaque personne est responsable de ses émotions, y compris celles qui sont produites par une relation et ceux.celles qui la vivent. Il s’agit d’une vision individualiste, guère différente de l’antérieure, où les responsabilités sont soit complètement séparées soit elles retombent sur les épaules d’une seule personne. Dans ce paradigme la relation est complètement effacée.

La responsabilité dans une relation devrait être une responsabilité partagée : ce devrait être le fait des personnes qui sont à l’origine de l’espace et de la relation, non pas de façon séparée (chacun de son côté), non pas de manière verticale (tout est la responsabilité d’une seule personne), mais comme une combinaison, en prenant en compte les contextes de chacun.e et ce qu’il y a en commun. Prendre en compte le contexte de chacun.e veut dire que lorsque nous avons une relation avec une personne sur laquelle nous avons un privilège, que nous le voulions ou pas, nous en bénéficions et par conséquent nous avons une responsabilité sur la violence structurelle que peut engendrer cette relation. La responsabilité partagée peut, en plus, nous permettre de reconnaître explicitement tout ce que nous apporte la relation et que l’autre partage avec nous.

Prendre soin et le sens de cette expression :

Être conscients que nous couvrons nos besoins par notre environnement et, par conséquent, à travers nos relations, nous permet de traiter le thème du « prendre soin » à partir d’un point de vue critique. Les tâches du « prendre soin » ou « care »[2] ont toujours été la responsabilité des femmes. Néanmoins les tâches du « prendre soin », dont nous parlons dans le contexte du féminisme, se limitent à celles des différences de genre. Il y a bien plus de besoins que ceux qui concernent les travaux domestiques (le ménage, la cuisine, prendre soin lorsque l’autre est malade). Nous devons être conscient.e.s des différences qui vont au-delà des genres, car il y a bien d’autres structures ou types de relations (toutes les relations ne sont pas du type hétéro, binaire, romantique et sexuelles).

Prendre soin implique comprendre ce dont l’autre a besoin, non pas dans le sens de se sentir obligé.e de couvrir tous ses besoins, mais y être sensible et les prendre en compte. Nous n’avons pas non plus à obliger l’autre à comprendre quels sont nos besoins, mais bien à lui laisser la place pour pouvoir s’exprimer quand il le souhaite et ainsi se rendre compte de ce dont nous avons besoin. Surtout, il n’est pas possible d’obliger l’autre à avoir des besoins qu’il n’a pas. Par le fait même que, dans nos milieux non-monogames, nous insistions sur « le prendre soin », parfois nous pouvons tomber dans l’excès et faire certaines tâches dont l’autre n’a pas besoin pour se sentir que nous prenons soin de lui.d’elle. Souvent, nous nous appuyons sur ces tâches innécessaires comme excuse pour ne pas écouter les besoins réels de l’autre ou ne pas reconnaître un besoin lorsqu’il est exprimé. Nous vivons dans ce que j’appelle « la culture du « tupper »[3] : il s’agit de préparer des « tuppers » pour nos compagnon.e.s sans nous demander ce que nous entendons par « prendre soin » et   pendant ce temps l’autre ne peut s’exprimer lorsqu’il.elle se sent concerné. C’est un acte « d’ojectivisation ».

(**) J’ajoute cette note, suite à certains commentaires, au sujet de cet article, qui signalent que ce que j’ai écrit s’applique également aux relations monogames.

Je ne crois pas que le thème du « prendre soin » puisse vraiment s’appliquer aux relations monogames ou aux non-monogames hiérarchiques[4], car la monogamie implique des hiérarchies, et dans aucune hiérarchie le « prendre soin » peuvent vraiment se produire, ce sont des succédanés du « prendre soin », mais pas des soins. Je suis en train de parler de toutes ces personnes qui ne forment pas partie de la relation principale. Mon discours souhaite mettre en lumière le fait que nous sommes en train de vraiment mal traiter les autres et de forme très « objectiviste », aussi bien au niveau des responsabilités, des engagements que du « prendre soin ». C’est en cela que, ni la monogamie, ni la non-monogamie hiérarchique pourront nous sauver des systèmes d’oppression. Elles ne feront que les reproduire, et qui plus est, avec leurs propres paramètres.

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[1] Il s’agit de l’ensemble des attentes de la société pour la bonne conduite des relations intimes. Ce sont les étapes progressives avec des marqueurs clairement visibles et avec un objectif structurel basé sur une structure monogame permanente (sexuellement et romantique exclusive), avec cohabitation et mariage si possible. La norme sociale dans laquelle la plupart des gens évoluent si une relation est considérée comme importante,, bonne, saine, et vaut la peine d’être envisagée comme durable. Traduction du texte en anglais de https://solopoly.net/2012/11/29/riding-the-relationship-escalator-or-not/  [NTDA]

[2] Carol Gilligan, In a different voice, Harvard University Press 1982, trad française Une voix différente, chez Flammarion 2008. oan Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009Fabienne Brugère, L’éthique du « care », collection « Que sais-je ? » PUF, 2011. [NDT]

[3] Tupper(ware)

[4] J’aimerais ajouter, qu’à mon entendement, cela ne s’applique pas non plus aux relations solo non-monogames (une personne qui vit seule – entendre pas en couple ou trouple -) et a des relations non-monogames, quand le fait d’être seule peut être un privilège et s’accompagner d’un réel manque de « prendre soin » des autres relations. C’est-à-dire qu’elle le vit d’une manière hiérarchique, se situant au sommet de cette hiérarchie. Par exemple, considérer que les autres relations ne concernent que la personne qui les vit et donc ne pas communiquer des décisions, des évènements ou des situations (prises/vécues en solo ou avec une/des relations) qui peuvent affecter les autres. Voire garder complètement en silence ce qui se passe dans les autres relations, considérant qu’elles ne concernent que la personne qui les vit et pas les autres personnes pourtant impliquées indirectement. [Note personnelle – NDT- Elisende Coladan]

Le droit de regard (La potestat). Pere Picornell (Amors Plurals)

Foto d'un cartell on hi posa "Amar no es amarrar"
Photo d’un panneau où l’on peut lire « aimer ce n’est pas attacher ». Droits d’images d’aninoman.se, sous licence CC BY-NC-ND 3.0

Pere Picornell fait partie du collectif Amors Plurals (qui a organisé les premières Jornades d’Amors Plurals en décembre 2015 et va organiser très bientôt les deuxièmes). C’est sur leur blog qu’il a publié cet article (http://amorsplurals.cat/2016/07/27/la-potestat/) dont la teneur m’a paru très intéressante, notamment parce qu’il y définit des termes ou des concepts souvent utilisés lorsqu’il s’agit de parler de relations non monogames.

Si j’ai bien compris, il s’agit du premier article d’une série qu’il est en train d’écrire, et sera publiée ultérieurement, puisqu’il est en processus d’écriture et de relecture.

N.B. : Pere est le premier homme dont je publie les écrits sur ce blog. Il est aussi le premier homme (dans mes cinquante et quelques années de vie) que j’ai entendu (lors des Jornades d’Amors Plurals) dire à un autre homme, qui prenait un peu trop la parole, quelque chose du genre : « nous avons la parole dans la plupart des espaces. Merci de ne pas la monopoliser ici et de laisser également les femmes s’exprimer. » Un moment clé et inoubliable. À mon sens, signe d’un changement profond, même s’il ne s’agit encore que de la part d’une minorité.  (J’ajoute aujourd’hui, en mars 2021, que je ne suis plus aussi « admirative » que je l’étais il y a 6 ans. J’ai vite compris qu’il pouvait s’agir aussi d’une stratégie pour passer pour un « homme féministe », ce qui apporte plein de bénéfices.)

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Le droit de regard [1]

De Pere Picornell, 27 juillet 2016

Traduction : Elisende Coladan [2]

Je n’ai pas de relations non monogames consensuelles. J’ai simplement des relations qui n’ont jamais été fermées. Je n’ai aucune idée de comment on fait pour ouvrir des relations, car je n’ai pas à le faire : moi, ce que je n’accepte pas, c’est l’idée de me retrouver, à un moment donné, dans une relation fermée à cause de la pression de quelqu’un ou d’une norme.

Fonctionner sans droit de regard sur la vie intime des autres signifie abandonner l’idée de « permettre aux personnes avec qui tu es en couple d’avoir la liberté d’avoir d’autres relations » pour une autre : « qui suis-je pour dire à une autre personne ce qu’elle doit faire ou arrêter de faire dans sa vie ?»

Je pense que le fait que nous ressentons comme acceptable et saine la dynamique selon laquelle des personnes ont un droit de regard sur la vie sentimentale, affective et sexuelle d’autres personnes, fait partie de l’héritage du système monogame.

Et cette idée est si normalisée que, si on n’arrive pas à accepter que la personne avec qui on est en couple ait ce pouvoir sur nous, cette résistance est perçue comme une agression.

Dans ce cas : comment prend-on soin [3] de l’autre ? Que se passe-t-il avec l’engagement ?

J’ai reçu des feedbacks sur des articles que j’allais publier, qui m’ont fait constater à quel point il est courant d’associer le droit de regard à la présence/absence/qualité du système de care (prendre soin) et d’engagement dans nos relations. Alors qu’il n’en est rien !

Dès le départ, j’ai préféré éclaircir ce point, afin d’éviter d’être lu avec cette idée précise en tête et qu’arrivé à la fin, on se rende compte qu’il ne s’agissait pas de ce à quoi on pensait.

L’article [« que vous êtes en train de lire » — NDT] a pour propos de dénoncer le fait que certaines personnes peuvent se sentir légitimes en voulant avoir une autorité sur la vie intime d’autres personnes.

C’est vrai que si l’on pousse le raisonnement, on en arrive au point où il est difficile de dire comment ce qu’une autre personne fait de sa propre vie intime peut nous toucher, et de décider quels sont les points sur lesquels nous avons, ou pas, un droit de regard. C’est pour cela que j’ai écrit un texte centré sur des exemples où il est difficile de savoir si le droit de regard que nous voulons avoir est légitime ou pas. C’est ainsi que nous verrons combien la frontière est floue et que chaque situation a son propre monde.

Entre-temps, je vous recommande cet article, que j’aimerais traduire, mais qui, pour le moment, est en anglais. Il y est question également du droit de regard (entitlement) https://medium.com/@version2beta/relationship-anarchy-and-consent-a2d675d76c96#.usul77yug

Je vais définir, éclaircir et contextualiser [« les mots et expressions suivants » — NDT].

Relation 

À chaque fois que j’utilise le mot « relation », il s’agit de n’importe quelle relation : des connaissances, des ami.e.s, qui que ce soit. Il est important de le comprendre ainsi et ne pas sous-entendre que je fais référence à des relations de couple. Je serai spécifique chaque fois que je me réfèrerai au couple.

Droit de regard

Mon idée est d’utiliser cette expression dans son sens le plus ample. En anglais, il s’agit du mot « entitlement », ce qui peut vous aider à mieux comprendre où je souhaite en venir. Je parle de ce « droit de regard assumé », dans le sens où il est considéré, par sous-entendu, comme légitime d’intervenir et de contrôler ce que fait, ou ne fait pas l’autre dans sa vie intime. Il s’agit donc de pouvoir limiter, négocier ou même mettre son veto sur la façon dont l’autre peut avoir des relations et comment elles doivent être.

Consensus

Faire quelque chose par « consensus » signifie que l’on est arrivé à un accord et que, par conséquent, les parties impliquées l’acceptent.

Il est possible d’arriver à un « consensus » sur des points sur lesquels toutes les parties ont un droit de regard. Par exemple : si, en prenant un café avec notre voisin, il nous explique qu’il veut peindre sa chambre en vert, on ne peut pas lui demander un « consensus » sur la couleur qu’il va choisir. On n’a aucun droit de regard sur cet aspect, donc il n’y a pas de consensus, ni de raison pour qu’il y en ait un.

S’il nous passait par la tête l’idée de lui demander ce consensus, il serait normal qu’il nous envoie balader et qu’il décide de faire ce qui lui chante avec sa chambre.

De plus, notre demande de consensus impliquerait implicitement que nous considérons avoir un pouvoir de décision sur les couleurs des murs de sa chambre. Si on considère que ce pouvoir n’est pas éthique, essayer de l’exercer serait une agression.

Imaginons que, deux fois par semaine, nous dormons dans la chambre de ce voisin. Cela nous donnerait-il un pouvoir sur sa décision ? Ma réponse est non, mais en même temps, nous avons absolument le droit d’exprimer notre opinion, d’établir nos limites et, au final, de faire des propositions. C’est ainsi que nous serions face au fait que, comment et pourquoi exprimer nos opinions — ou nos limites —, peut être utilisée comme une forme de contrainte ou de manipulation. Tout dépend d’où on se situe (pouvoir assumé, intentions, structures de pouvoir…) Quoiqu’il en soit, il n’est pas possible de traiter ce sujet comme s’il était tout noir ou tout blanc, et c’est dans les nuances de gris qu’il y a un débat intéressant. J’en reparlerai dans de prochains articles.

Consentement :

Il y a consentement pour les choses sur lesquelles nous avons un droit. L’exemple le plus évident est le droit de disposer de son corps : chacun.e a le pouvoir et l’autorité ultime de décider ce que nous voulons en faire et ce que les autres peuvent en faire.

La question se complique lorsqu’il s’agit de choses moins directes. Si une image nous offense : où se situe le droit de consentement ? Est-ce que le fait de nous exposer à cette image est une violation de notre consentement ? Le droit de regard sur ce que nous voulons voir ou pas s’étend-il également à notre entourage et d’autres personnes ? Et si c’est un son ou une musique qui nous dérange ? Avons-nous le pouvoir d’intervenir et d’exiger du respect ? Ou bien est-ce que cela reste en dehors de notre champ d’action et nous ne pouvons que demander gentiment de l’arrêter, ou décider si nous voulons rester dans ce lieu ou cette situation/compagnie et, si ça ne nous plait pas, en partir ? Ce sont des questions passionnantes mais nous éloigne un peu du sujet de cet article.

L’idée de propriété sur les autres nous donne des exemples de comment peut s’établir un droit de regard toxique et on ne peut, par exemple,considérer comme faisant partie des situations de consentement le fait qu’un père consente au mariage de sa fille. Même si cet exemple peut paraître anachronique, c’est un exemple donné en définition du dictionnaire de l’IEC [4]. Plus actuels sont les cas où, en fin de compte, dans le monde non monogame, on continue à trouver la présence du droit de regard. C’est ainsi qu’il y a des relations de couple dans lesquelles il est assumé que les libertés doivent être négociées avec autorité et que l’exercice des libertés qui n’ont pas été négociées au préalable sont interdites de facto, puisque « tant que l’on n’arrive pas à un consensus qui indique le contraire, l’état par défaut est l’interdiction ».

Comme exemple de droit de regard, nous pouvons imaginer un couple qui commence à vivre une relation polyamoureuse. Un des deux a son premier rendez-vous et il/elle embrasse cette personne. Il/elle revient à la maison et l’explique à son/sa partenaire qui se fâche en disant :« Comment ça ? Vous vous êtes embrassés ? Tu aurais dû attendre d’en parler avec moi avant de franchir ce pas. »

Non-monogamies éthiques et consensuelles

Éthiques : le fait qu’il soit nécessaire de le spécifier montre qu’il est présenté comme un acquis (c’est-à-dire, nous avons internalisé le fait que les non-monogamies ne sont pas éthiques) et, de plus, on a l’habitude d’en faire une lecture très limitée.

En outre, on commet l’erreur de considérer qu’un couple monogame dans lequel quelqu’un trompe l’autre est une relation « non monogame », avec l’intention de pouvoir le signaler comme un exemple de relation non éthique. Ce qui me semble être une erreur monumentale, pour bien des raisons… Ce qui pourrait faire l’objet d’un autre débat 😀

Consensuelles : en appliquant aux relations l’exemple de la couleur du mur de la chambre, nous arrivons au sujet même de cet article. Le fait de penser que nous considérons que le droit de regard sur une autre personne, sur le fait de pouvoir (ou pas) exercer sa propre liberté de tomber amoureux.se, de coucher ou de faire quoique ce soit avec d’autres personnes, doit passer par le consensus ou le pacte avec nous-même, est en soi une forme de penser possessive et peu éthique. Prétendre exercer ce droit de regard est une agression, alors que ce qui est socialement considéré comme agression est justement le contraire. Il semblerait que le fait de refuser de se soumettre à ce droit de regard est vu un manque de respect ou un despotisme, comme si ça voulait dire : « Si tu m’aimes vraiment, comment peux-tu croire que je n’ai aucun droit de regard, de décision sur ce que tu fais dans ta vie privée ? ».

La situation habituelle des relations de couple, après tout, est celle qui est remise en question dans certaines relations queer-platoniques ou anarcho-relationnelles, notamment celles dans lesquelles, mutuellement, il y a un certain niveau de contrôle sur la vie de l’autre. Comme la convention, amplement acceptée, qui établit que les relations affectives impliquent un contrôle de la liberté relationnelle de l’autre.

Cette convention, donc, implique que nous aurions une autorité si forte et si invisible sur notre partenaire que quand quelqu’un dit : « mon/ma partenaire n’a aucun pouvoir ni autorité sur ce que je fais dans ma propre vie », c’est perçu comme une agression et un manque d’engagement, de « ne pas prendre soin de l’autre » et preuve qu’il ne s’agit pas d’amour « véritable ». Il n’y a que devant des cas d’abus et de maltraitance évidents que tout le monde dénonce le fait qu’on n’a « pas le droit de le faire » (je dis bien, plus ou moins, car c’est préoccupant de constater comment, par exemple, fouiller dans le portable de son partenaire peut être considéré comme « normal », parmi bien d’autres comportements normalisés). En revanche, le droit d’interdire que l’autre ait — par exemple — des relations sexuelles avec d’autres personnes n’est pas perçu comme un abus, mais au contraire, comme naturel et nécessaire dans le fonctionnement d’une relation de couple.

Relation monogame (ou « fermée ») :

Il s’agit d’une relation où il existe des limites sur ce que toute personne qui y participe peut faire ou ne pas faire. Que quelqu’un ait « uniquement une relation » parce qu’il.elle n’en veut pas d’autres n’en fait pas une relation monogame, ni fermée, mais bien le fait qu’il y ait une norme (qu’elle soit explicite et volontaire ou pas…) qui établit l’exclusivité.

La définition pourrait se compliquer avec des exemples de personnes qui acceptent d’ouvrir leur relation en résultat à des pressions. Qui l’acceptent sans le vouloir réellement. Souvent, ces relations « faussement ouvertes » font que la relation continue à être fermée, parce que nous sommes en train de parler de relations qui fonctionnent sous le paradigme du droit de regard et qui, par conséquent, ont besoin d’un consensus pour s’ouvrir, et que ce consensus n’a pas été pleinement obtenu.

Il s’agit de monogamie, parce qu’une relation ne peut être fermée, qu’après que ce droit de regard mutuel ait été accepté. Si on n’arrive pas à une situation où on considère avoir de l’autorité sur ce que peut faire l’autre dans certains aspects de sa propre vie, cela signifie que l’on est dans une relation ouverte par défaut et qu’il est impossible de la fermer. Dans le cas contraire, on se retrouverait devant l’équivalent de l’exemple donné du voisin qui veut peindre les murs de sa chambre en vert.

C’est ainsi qu’il est habituel dans une relation de se considérer « en couple », ce statut qui s’accompagne de la concession mutuelle d’un droit de regard et d’un enfermement par défaut de la relation.

Monogamie non consensuelle (ou « relation fermée » non consensuelle).

Je lance cette idée, après avoir parlé de relations fermées, afin de dénoncer l’état actuel de la norme relationnelle : toute relation de type « couple » est considérée d’emblée comme fermée, sans aucun processus de négociation. Par conséquent, sans consensus, ni consentement, ni même une conscience de ce qui se passe réellement, car il s’agit d’une fermeture implicite, qui n’a jamais été explicitée ni définie.

Amitié ouverte consensuelle

Concept absurde qui permet de nous rendre compte comment les relations humaines sont, d’elles-mêmes, ouvertes sans qu’il y ait un quelconque consensus préalable, ni de négociations, ni de pactes pour qu’elles le soient.

L’exercice de comparaison sur la façon comment nous percevons les relations selon que l’on parle d’amitié (dans le sens conventionnel) ou de couple, est, en fait, très utile. Combien de fois avons-nous eu à « ouvrir une relation d’amitié » ? Cela ne nous viendrait pas à l’esprit d’avoir à établir des limites ou des normes pour une amitié, notamment afin d’établir de nouvelles relations (amicales, amoureuses, un coup d’un soir ou quoique ce soit du même ordre). Si un.e ami.e venait nous dire : « Écoute, le fait que tu rencontres quelqu’un et l’amènes chez toi pour avoir des relations sexuelles, c’est difficile à assumer pour moi et je souhaiterais que nous négocions la manière de le faire, afin que je me sente plus à l’aise », nous ne comprendrions pas. Nous ne verrions pas en quoi ce que nous faisons dans notre vie pourrait l’affecter et nous nous demanderions pourquoi il.elle souhaite avoir un droit de regard. Probablement nous percevrions comme une agression le fait qu’une relation amicale puisse intervenir ainsi dans notre vie.

Organisation des articles

Dans cet article, j’ai présenté une série de définitions pour lesquelles j’ai assumé une posture radicale d’identification et de dénonciations quant au fait de croire qu’il est possible d’avoir un droit de regard sur les autres. Il est évident que, si j’écris sur ce thème, c’est à partir de ma propre expérience dans laquelle je me suis rendu compte du poids de ce « droit de regard » dans les relations.

Grâce à cela, j’ai compris progressivement ce qui m’arrivait, comme actuellement, alors que je réalise que je refuse « l’idée de couple », non seulement à cause de la monogamie qui y est implicitement attachée, mais aussi parce qu’elle implique forcément « l’acceptation d’un droit de regard » (ou ce qui revient au même : l’amputation de ma liberté de choisir ce que je fais de ma propre vie), qui est implicitement liée à l’idéal de couple.

Dans de futurs articles, je continuerai à tirer sur ce fil d’Ariane et je parlerai de :

Comment apparaît le « droit de regard » et comment l’identifier.

Pourquoi l’état « par défaut » d’une relation de couple est « une relation fermée » et comment le « droit de regard » a sa place dans ce processus.

Comment éviter de tomber dans ce « droit de regard » et ces « enfermements » automatiques.

Comment l’éliminer, si c’est possible, de relations déjà établies.

Le « droit de regard » est-il légitime ou illégitime ? Comment le « droit de regard » affecte notre capacité au consentement.

Bref, rien de plus en somme que ma propre expérience, farcie d’opinions et de propositions. Un « voilà, je vous laisse quelques réflexions personnelles sur un sujet qui me parait pertinent. » Sans grandes analyses, ni conclusions, ni réponses.

[1] « Potestat » en catalan, « potestad » en espagnol (dans ces 2 langues, c’est un terme surtout juridique qui englobe un concept hybride entre pouvoir, droit et devoir) et « Entitlement » en anglais. (NDT)

[2] C’est ma première traduction du catalan au français. Elle m’a demandé de longues heures de travail et de révision. Mais pour moi, il était également très important de pouvoir transmettre les écrits faits dans ma langue paternelle. Je remercie Isabelle Broué pour sa relecture et ses commentaires, qui m’ont été vraiment précieux.

[3] En catalan et en espagnol, dans le contexte non monogame, il est vraiment très souvent question de « les cures » en catalan et « los cuidados » en espagnol, que je traduis par « prendre soin », mais qui englobe également l’idée de « faire attention ». Une notion qu’il me semble entendre très peu dans le contexte francophone européen. Si vous voulez aller plus loin, je vous invite à lire Carol Gilligan, Joan Tronto et Fabienne Brugère. (NDT)

[4] Institut d’Études Catalanes

La construction culturelle de l’amour romantique. Coral Herrera Gómez

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Coral Herrera Gomez est Docteure en Humanités et Communication Audiovisuelle, avec une spécialisation en Études de Genre. Elle a soutenu, en 2009, une thèse sur La construction socio-culturelle de la réalité, du genre et de l’amour romantique [1], à l’Université Carlos III de Madrid, Espagne. Puis elle a écrit, en 2011, La construction socio-culturelle de l’amour romantique [2].

Lorsque j’ai animé un espace de parole vendredi dernier et que j’ai exposé ses idées, j’ai senti combien elles pouvaient étonner, voire déranger certaines personnes, alors qu’en Espagne, elles sont bien connues de la communauté non monogame. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de traduire cet article qui est, à mon sens, extrêmement éclairant sur la pensée amoureuse romantique dont nous sommes empreint.e.s sans nous en rendre compte, et sur la manière dont elle affecte nos relations, souvent à notre corps défendant, y compris dans des structures non monogames.

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Article original paru dans

http://haikita.blogspot.fr/2012/02/la-construccion-sociocultural-del-amor.html

Traduction : Elisende Coladan

L’amour est une construction humaine complexe dont les dimensions sociale et culturelle influencent, façonnent et déterminent nos relations érotiques et affectives, ainsi que nos buts  et nos souhaits, nos goûts et nos rêves romantiques. La sexualité ainsi que les émotions sont, bien sûr, des phénomènes physiques, chimiques et hormonaux, mais aussi des constructions culturelles et sociales qui varient selon les époques et les cultures. La construction amoureuse a pour bases la morale, les normes, les tabous, les coutumes, les croyances, la vision du monde et les besoins propres à chaque système social. C’est pour ça qu’elle change en fonction du temps et de l’espace. Et c’est la raison pour laquelle on n’aime pas de la même manière en Chine qu’au Nicaragua, ou que les Bribri [3] n’aiment pas de la même façon que les Semai [4].

De nombreux auteurs défendent l’idée que l’amour est une constante humaine universelle qui existe dans toutes les cultures et que la capacité d’aimer semble faire partie de notre condition. Par exemple, Wilson et Nias (1976) [5] défendent l’universalité de l’amour romantique, en signalant que le phénomène amoureux romantique n’est ni récent ni uniquement présent dans notre culture: « Bien que pas toujours vu comme un préalable nécessaire au mariage, l’amour romantique et passionnel a existé en tout temps et en tout lieu ». De leur côté, les anthropologues Jankowiak et Fisher (1992) [6] ont documenté l’existence de ce qu’ils définissent comme l’« amour romantique » dans presque 90 % des cent soixante-huit cultures étudiées.

L’amour romantique n’a jamais eu autant d’importance dans la vie des êtres humains qu’actuellement. Aujourd’hui, il n’est pas nécessaire de se tracasser quotidiennement de sa survie et il est donc possible de dépenser beaucoup de temps et d’énergie pour trouver l’amour de sa vie. Nous le cherchons sur les réseaux sociaux et dans les bars, nous consommons des films romantiques, nous voulons vivre des histoires passionnelles, nous tombons amoureux.euses — platoniquement, parfois —, nous nous unissons et nous nous séparons, nous nous oublions et nous recommençons à rêver à une relation idéale.

Grâce à l’impressionnant développement de la communication de masse au XXè siècle, l’amour romantique a connu un processus d’expansion progressive jusqu’à s’installer dans l’imaginaire collectif mondial comme un but utopique à atteindre, empli de promesses de bonheur.

Cette utopie émotionnelle collective est imprégnée d’idéologie, même si elle se présente fondamentalement comme une émotion individuelle et magique qui nait au plus profond de nous-mêmes. L’idéologie hégémonique sous-jacente est de caractère patriarcal, et la morale chrétienne y a joué un rôle fondamental, puisqu’elle nous a conduits sur la voie du modèle hétérosexuel et monogame avec une orientation reproductive.

Dans ce sens, l’amour romantique est un idéal mythifié par la culture, mais avec un immense poids machiste, individualiste et égoïste. C’est au travers du prisme l’amour romantique que nous apprenons à entrer en relation, à réprimer notre sexualité et à l’orienter vers une seule personne. C’est par les fictions que nous créons et les contes que nous nous racontons que nous apprenons comment doit se comporter un homme et comment doit le faire une femme. Nombreux.ses sont celles.eux qui suivent ces modèles de masculinité et féminité assez limités, afin de pouvoir s’intégrer avec bonheur dans notre société et trouver un.e partenaire.

La preuve en est que toute l’imagerie collective amoureuse occidentale est formée par des couples d’adultes d’identités de genre différentes. Ce sont des unions par deux qui, comme c’est le cas dans la morale chrétienne, sont orientés vers le mariage et la reproduction. De plus, les systèmes émotionnels et affectifs alternatifs (triolisme, amour à quatre ou grands groupes, amour entre personnes âgées, amour entre enfants, amour entre personnes du même sexe/genre ou de classes socio-économiques, races ou cultures différentes) continuent à être considérés comme des déviations de la norme et par conséquent, sont pénalisés socialement.

L’hétérosexualité et la monogamie, dans ce sens, sont perçues comme des caractéristiques normales, c’est-à-dire naturelles, parce qu’elles suivraient les diktats de la nature. La Science s’est chargée de légitimer cette vision, allant jusqu’à conclure que le mythe de la monogamie et de la fidélité sexuelle est une réalité biologique et universelle.

Le système patriarcal a eu besoin de mythifier l’exclusivité sexuelle à travers des récits religieux et profanes, même si la monogamie n’est pas un état naturel et qu’elle est pratiquée par peu d’espèces animales. Ce qui est paradoxal dans la réification de la monogamie, c’est que l’adultère et la prostitution font partie du système monogamique. C’est l’envers de la médaille : son contraire et son complément. La fidélité et l’exclusivité sont des phénomènes, dans ce sens, qui portent atteinte au statu quo et à l’organisation de la société en familles fermées.

L’amour, donc, dans sa dimension politique et économique, nous est présenté comme un mécanisme fait pour se perpétuer. Pour que tout continue de la même façon, les couples hétérosexuels doivent faire venir au monde de nouveaux consommateurs/travailleurs, qui se marient et qui restent à l’intérieur de ce modèle de famille considéré comme « normal ». C’est pour cela que nous sommes séduits par l’amour mythifié.

Comment est-il possible d’arriver à nous y faire croire ?

Il ne s’agit pas seulement de sexualité humaine, mais également d’émotions, qui sont politiques et ont une dimension symbolique. Autrement dit, nos sentiments sont prédéterminés et façonnés par la culture et la société dans laquelle nous vivons. De nombreux auteurs ont mis l’accent sur la dimension littéraire de l’amour comme construction de la réalité, ainsi que comme façonneuse d’émotions et de sentiments. Martha Nussbaum [7] et Antonio Damasio [8] défendent l’idée que les sentiments et les croyances, les émotions et la raison sont la même chose. Elles sont localisées dans des parties du cerveau qui travaillent ensemble. Ils donnent donc un rôle d’une même importance à la théorie scientifique et aux récits humains dans la construction socioculturelle des émotions : « les récits construisent en premier lieu et après invoquent (ou renforcent) l’expérience du ressenti » écrit Nussbaum, Martha [9]

La philosophie étatsunienne affirme que les émotions sont apprises dans la culture, à travers les récits et les mythes. Dans les récits, il y a une structure de sentiments, une structure expressive, et une source ou paradigme d’émotions : « les récits sont la source principale de la vie émotionnelle de n’importe quelle culture » [10]. Ce qui est important dans cette théorie, c’est l’idée que, si les récits s’apprennent, ils peuvent aussi se désapprendre ; si les émotions sont des constructions, elles peuvent aussi être démolies. C’est en cela qu’il est important d’analyser les récits : afin de pouvoir comprendre comment et pourquoi nous aimons. L’idée de Nussbaum au sujet des désirs qu’engendrent les récits est également intéressante : elle affirme que ce sont des réponses à notre sens de la finitude . La peur, l’espérance, l’espoir sont des émotions liées au sentiment que la vie est hors de contrôle et elles expriment une transcendance, une réflexion profonde sur la mort.

La prolifération des récits amoureux sur tout type de supports (chansons, poèmes, tableaux, sculptures, romans, films, brochures, feuilletons, etc.) si importante que ce sentiment aura souvent l’air d’être fictionnel. C’est-à-dire, que cela semble constituer une autre réalité différente de la réalité dans laquelle nous vivons. C’est un phénomène qui nous éloigne de notre quotidien et nous transporte dans une autre dimension, comme si nous construisions une illusion, bien qu’en fait la démarcation entre réalité et fiction est fragile et souvent inconsistante. Une preuve en est le fait que lorsque nous voyons une tragédie amoureuse au cinéma, par exemple, nous pleurons avec les protagonistes qui doivent se quitter pour toujours, nous nous sentons aussi tristes qu’eux. Les récits, dans ce sens, construisent des émotions pour qu’elles soient ressenties, et non pas observées.

Ces émotions fabriquées ont une incidence sur notre corps de la même manière que les émotions réelles, c’est-à-dire que nous les ressentons lors des interactions en face à face avec d’autres personnes. L’intensité varie sans doute, mais la corrélation physique est bien présente: les émotions factices font que le rythme cardiaque s’accélère, elles nous font produire des endorphines et crier de peur ou pleurer d’émotion. Ça n’est pas seulement dû à notre capacité d’empathie, mais aussi au phénomène de projection et d’identification des audiences avec les produits culturels qu’elles consomment. Ainsi, les émotions sont réellement ressenties dans le corps, et nous provoquent des réactions physiques et organiques, de la même manière que si nous étions en train de les vivre nous-mêmes. Ces réactions créent des règles de conduite amoureuse que nous apprenons dans les récits et qu’ensuite nous appliquons à notre réalité.

La mythification de l’amour

La plupart des mythes autour de l’amour romantique ont surgi pendant l’époque médiévale, d’autres ont suivi au fil des siècles, et finalement, ils se sont consolidés au XIXè siècle, avec le Romantisme. Le mythe principal, c’est que l’amour est la phase finale des récits : « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». La structure mythique de la narration amoureuse est presque toujours la même : deux personnes tombent amoureuses, elles sont séparées par diverses circonstances (dragons, forêts enchantées, monstres terribles) et barrières (sociales, religieuses, morales, politiques). Après avoir surpassé tous ces obstacles, le couple heureux peut enfin vivre son amour en toute liberté. Évidemment, comme tout bon mythe qui se respecte, cette histoire d’empêchements et de surpassements est traversée d’idéologie patriarcale qui remet la mission entre les mains du héros masculin, pendant que la femme attend dans son château pour être sauvée : lui actif, elle passive (le paradigme de ce modèle est la Belle au Bois Dormant, qui a attendu rien de moins, rien de plus, que CENT ans !)

Dans d’autres récits, au contraire, c’est la bravoure de la femme, qui lutte contre l’ordre patriarcal, contre la loi du père, qui est mise en avant, en lui octroyant un rôle actif, comme c’est le cas de Juliette, Mélibée, Catherine Earnshaw, Emma Bovary, Anna Karenine ou dans le mythe espagnol de Carmen, femme indomptable qui subjugue les hommes. D’après Denis de Rougemont [11], ce qui caractérise notre société, c’est que le mythe du mariage et le mythe de la passion sont unis, même s’ils sont contraires. La contradiction réside dans le fait que la passion est périssable, indomptable, démesurée, intense, contingente et remplie de peur de perdre l’être aimé. La passion est exacerbée par l’inaccessibilité et représente, dans notre imaginaire, l’emportement du délire, l’extase mystique, l’expérience extraordinaire qui transcende la routine quotidienne. Le mariage, à l’inverse, offre la stabilité, la sécurité, la quotidienneté, la certitude que l’autre est prêt.e à partager avec nous sa vie et son futur. Les deux états sont, de ce fait, incompatibles, même si nous faisons tout pour essayer de les unir à l’ombre du mythe du mariage par amour et pour toujours.

Les récits amoureux sont une constante dans les narrations et les mythologies humaines, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Néanmoins, vers le milieu des années 90, il y a eu un phénomène social connu comme « La Révolution Romantique », qui venait de la culture étatsunienne. Les années de transition entre le XXe et le XXIe siècles ont été marquées, entre autres évènements culturels, par une augmentation des produits du sentiment. Le premier signe de cette Révolution Romantique, selon Rosa Pereda [12], a été le tournant d’une appétence généralisée envers le roman sentimental et les films qui racontaient des histoires d’amour.

De manière générale, la mythologie romantique a pris une importance fondamentale pendant le XXè siècle, jusqu’à atteindre le statut d’utopie collective émotionnelle. Cette utopie nous présente l’amour comme une source de bonheur absolu et d’émotions partagées qui amenuisent la solitude à laquelle l’être humain est condamné. Dans un monde aussi compétitif et individualiste que le nôtre, dans lequel les groupes sont fragmentés dans des unités familiales basiques, les personnes trouvent dans l’amour romantique un abri contre le monde. L’amour est, dans ce sens, un lien idéalisé d’intimité qui s’établit avec une autre personne et grâce auquel nous pouvons sentir que quelqu’un nous écoute, nous appuie inconditionnellement et lutte avec nous contre les obstacles de la vie.

Souvent, être amoureux.euse, lorsque l’amour est réciproque, nous transporte dans un état de bonheur extraordinaire, parce que très intense. Dans notre société, cet état de bonheur permanent est un état idéal dans lequel tout le monde voudrait être en permanence. C’est pour cela que l’amour a autant d’importance actuellement. C’est une manière d’être et de vivre dans un monde où les coups du sort sont amortis. De plus, il propulse notre soif de rêves et d’utopies, parce qu’avec lui, nous nous sentons capables de surpasser nos peurs et de laisser derrière nous le passé. Et parce que nous croyons que, sous les effets de l’amour, tout est possible, car c’est une force implacable de transformation qui détruit tous les obstacles (les distances physiques et temporelles, l’opposition des familles et même les préjugés aux sujets de l’âge, la race, le statut économique, etc.)

Aux niveaux narratif et mythologique, l’amour passionnel a été comparé au poison, aux potions magiques, à la maladie du corps et de l’âme, aux envoûtements et aux ensorcellements, comme si c’était quelque chose d’étranger à nous-mêmes, qui provoque de fortes réactions émotionnelles échappant à notre contrôle. L’amour a également été associé à la folie, à l’extase, à l’ébriété, à la transe et aux crises mystiques : des états mentaux, émotionnels et sexuels qui nous transportent dans d’autres dimensions de la réalité.

Ce pouvoir magique a littéralement donné lieu à des milliers de métaphores et de figures littéraires dans lesquelles l’amour est comparé à des ouragans, des tremblements de terre, des inondations, des incendies, des volcans, des abîmes océaniques, des déserts, des tempêtes et des désastres naturels face auxquels l’être humain ne peut rien faire. L’amour a également été comparé avec la mort, l’infinité, l’éternité et l’immensité du Cosmos, parce que ce sont des aspects de la conscience qui sont supérieurs à notre capacité à les assimiler et les appréhender à partir de notre petit cerveau. L’amour semble alors quelque chose d’incompréhensible et d’incommensurable, tout comme l’existence ou l’éternité.

Le romantisme est apparu à un moment où les artistes, au travers de l’amour, ont pris conscience que la mort et la vie sont des processus inséparables. L’amour produit en nous une sensation d’une puissance qui submerge tout notre être, parce qu’elle nous recentre sur nous-mêmes et, dans ce processus, nous pouvons connaitre la réalité, comme si c’était celle de l’Humanité toute entière. Dans ce sens, l’amour est une force grandiose qui révèle à l’être humain son insignifiance et la brièveté de son séjour sur terre. C’est ainsi parce que l’amour est un désir d’éternité qui nous balance en pleine figure la précarité de notre existence, notre vulnérabilité et notre petitesse.

La passion amoureuse finit, elle explose avec violence ou s’éteint lentement, mais elle finit, tout comme la vie. C’est en ça que l’amour nous met en relation avec la vie et la mort, c’est pour ça que nous l’expérimentons d’une manière aussi tragique et passionnelle, et c’est pour ça que certains auteurs affirment que l’amour est une religion. L’amour, en plus de sa dimension religieuse, a également une dimension mythique, parce qu’il a été idéalisé à toutes les époques et parce que, parfois, il est présenté comme la manière d’accéder au bonheur, à la plénitude, au vécu le plus pur et le plus authentique qu’il soit du moment présent.

[1] http ://haikita.blogspot.fr/2012/09/mi-tesis-doctoral-la-construccion_5938.html

[2] Editorial Fundamentos, Madrid, 2011. http://www.editorialfundamentos.es/index.php?producto=1627884&section=catalogo&pagina=producto&idioma=es

[3] Communauté autochtone du Sud du Costa Rica — NDT

[4] Communauté autochtone de Malaisie. — NDT

[5] The Mystery of Love: How the Science of Sexual Attraction Can Work for You, Glenn Wilson and David Nias New York Times, 1976 — NDT

[6] A Cross-Cultural Perspective on Romantic Love”, WR Jankowiak and EF Fischer, Ethnology 31: 149-155, 1992 — NDT

[7] Paisajes del pensamiento. La inteligencia de las emociones, Martha Nussbaum, Paidós, 2008. — NDT

[8] El error de Descartes: la razón de las emociones, Antonio Damasio, ed. Andres Bello, 1994. — NDT

[9] El cultivo de la humanidad. Una defensa clásica de la reforma en la educación liberal, Martha Nussbaum, Paidos (J. Pailaya, Trad.), 2005. — NDT (Nota Bene : de nombreux ouvrages de l’auteure sont traduits en français.)

[10] Martha Nussbaum, Ibidem — NDT

[11] L’Amour et l’Occident, Denis de Rougemont, 10/18, 2001 — NDT

[12] El Amor: Una historia universal, Rosa Pereda, S.L.U. Espasa Libros, 2001 — NDT

Le syndrome de la Personne Polyamoureuse Parfaite (PPP). La moscacojonera in Golfxs con principios.

 

polyamory-pedals

À peine sorti du four (publié), déjà traduit !

J’ai traduit cet article rapidement, afin d’éclairer mes propos lors de l’Espace de Parole que je vais animer vendredi prochain. Il y a dans le blog de Golfxs beaucoup d’articles que j’aimerais pouvoir traduire en français pour les partager avec la communauté francophone. Cela se fera petit à petit…

Bonne lecture et bonne réflexion !

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Le syndrome de la Personne Polyamoureuse Parfaite (PPP) [1]

La Mosca Cojonera in blog de Golfxs con principios.

Original : http://www.golfxsconprincipios.com/en/lamoscacojonera/el-sindrome-de-la-persona-poliamorosa-perfecta-ppp/

Traduction : Elisende Coladan [2]

Lorsque nous avons plus de deux relations, un problème fréquent est celui de vouloir être la « Personne Polyamoureuse Parfaite » : prendre soin le plus possible, tout le temps, de toutes les relations, sans rencontrer aucun problème. Vouloir absolument que personne ne souffre. Faire en sorte de prendre soin de toutes les relations, répondre à toutes les attentes sociales et personnelles, faire attention à tout le monde. Croire que tous les sentiments dépendent de nous. Prouver sans cesse que c’est une très bonne idée de ne pas avoir choisi la monogamie. Suivre scrupuleusement tous les débats de la communauté poly. C’est-à-dire, comme cela semble logique, ne montrer en public que le bon côté de la médaille, de la même manière qu’il a été difficile de parler de violence dans les couples gays ou lesbiens (on a déjà suffisamment à faire avec la pression d’être sortis la « normalité » pour laver, en plus, notre linge sale en public).

Voilà pourquoi cette bonne intention de départ, être la « Personne Polyamoureuse Parfaite », a souvent des conséquences négatives.

1 – Oublier ses propres besoins.

Il arrive souvent qu’en ces moments-là nous oublions de prendre soin de notre propre espace, nous ne voyons pas d’autres ami.e.s parce que nous n’en avons plus le temps. Nous prenons en charge les besoins du monde entier mais… qu’en est-il des nôtres ? Nous y pensons ou nous sommes centré.es sur nos partenaires parce que nous voulons faire en sorte qu’il.les ne se sentent pas mal ? Prendre du temps pour soi. Revoir ses objectifs personnels, nous demander si nous allons bien, si nous sommes en train de faire ce que nous avons envie de faire. Si nous sentons que nous courrons d’une relation à l’autre, si nous sommes en train d’essayer de couvrir tous les besoins qui nous sont étrangers et que nous nous sentons un peu stressé.es… cela n’aidera pas à maintenir nos relations sur le long terme.

  1. Avoir peur de commettre des erreurs.

Que ce soit pour nous prouver à nous-mêmes que nous savons gérer le polyamour mieux que n’importe qui, ou pour se sentir et se présenter comme quelqu’un qui ne connaît pas la jalousie, que ce soit pour présenter notre meilleur profil et nous montrer toujours de bonne humeur, ou bien pour démontrer le fait que nous avons une source d’amour infini, il se peut que nous vivions dans la crainte de mettre les pieds dans le plat et de faire des erreurs. La mauvaise nouvelle, c’est que c’est certainement déjà arrivé. Il n’y a pas de « manuel d’instructions » à lire avant d’avoir sa première relation monogame, et il en va de même avec les non-monogames. Il est normal de faire d’abord des erreurs, et ensuite trouver des solutions. La bonne nouvelle, c’est que nous ne sommes pas obligé.es de vivre constamment avec cette préoccupation C qui sont motivé.e.s par le sentiment de culpabilité peuvent avoir l’impression qu’il.les font volontairement du mal à tout le monde (ou qu’on le leur fait croire) … quand en réalité, c’est le fait d’essayer de contenter tout le monde à la fois (ce qui est impossible, ce dont il.les ne se sont pas encore rendu compte) qui fait que parfois certain.e.s de leurs partenaires peuvent se sentir mal.

  1. Tenter de rendre compatibles des systèmes incompatibles

Parfois nous essayons l’impossible. Pas par égoïsme, mais parce que nous souhaitons faire plaisir à tout.es celleux que nous aimons, à toutes nos relations ; et que nous n’avons pas encore découvert que c’est impossible ou tout au moins, très compliqué. En voulant être la Personne Poly Parfaite. Par exemple, si nous pensons à un V, un triangle (une personne X avec deux partenaires A et B), une tentative insoluble serait de vouloir être à la fois dans un système hiérarchique avec l’une d’elles (A) et dans un système non hiérarchique avec l’autre (B). Tôt ou tard, les attentes de A vont entrer en collision avec celles de B, parce qu’il.le aura des demandes, prévisibles dans ce genre de relation et que celles de B ne seront pas prises en compte.

  1. Ne pas se demander : « Et moi, qu’est-ce que je veux ? »

Au final, la solution consiste — si nous pensons à ce triangle A-X-B —, à ce que X, le sommet de la relation, arrête de se laisser guider uniquement par les demandes qui proviennent de A et de B. Il faut s’arrêter de temps en temps et se demander : « Et moi, qu’est-ce que je veux ? ». Prendre la responsabilité de nos propres décisions rendra plus facile le fait que les autres relations pourront arriver à des accords avec nous, au lieu de se trouver toujours à la merci de facteurs externes incontrôlables. Quand quelqu’un.e se trouve entre deux demandes incompatibles, il est nécessaire qu’il.le décide ce qu’il.le veut, au lieu de « rejeter la faute » sur son travail, sur son autre partenaire, sur les circonstances qui ne permettent pas de couvrir toutes les demandes qui lui sont faites. C’est simple, mais c’est difficile à admettre : il est impossible de satisfaire tout le monde, tout le temps. Ça arrivera de temps en temps. Vivre des relations non monogames, c’est une décision qui est propre à chacun, et il est fondamental qu’on sache ce que cela signifie pour nous, et pourquoi nous le faisons.

Parfois, il nous faut choisir à quel.le partenaire dire non et d’assumer les conséquences de cette décision. Ce n’est point chose aisée, surtout quand on a passé sa vie à répondre aux besoins des autres, avec les meilleures intentions du monde. Mais avoir de bonnes intentions ne garantit en aucun cas que personne ne se sente mal à l’aise . Si nous prenons chacun nos responsabilités, le résultat sera le contraire que ce que l’on craignait : tout le monde saura ce qu’il peut attendre de cette relation, sans dépendre constamment de facteurs qu’il.le ne peut pas contrôler. Et cell.eux qui vivaient avec le stress constant de satisfaire tout le monde seront soulagé.e.s de devenir quelqu’un qui assume ses choix, qui sait ce qu’il.le veut faire, et comment .

Si nous développons une culture dans laquelle chacun.e assume ses responsabilités, « les fuites en avant émotionnelles » [3] sont plus difficiles : ce que nous faisons, nous le faisons parce que nous l’avons décidé et ça veut dire que nous assumons aussi les conséquences qui découlent de nos choix. Si nous ne répondons pas, si nous ne pouvons pas aller à un rendez-vous, si nous faisons ce que nous faisons (ou nous ne faisons pas), ce sera parce que nous l’avons décidé ainsi. Parfois, nos relations auront la forme qu’elles ont parce que des contretemps inévitables surgiront, et parfois il s’agira uniquement d’excuses. À nous de reconnaître notre capacité à évaluer si une relation correspond toujours à nos besoins, à repérer les raisons pour lesquelles ce n’est pas le cas et à décider si nous souhaitons la poursuivre …

 

[1] Terme utilisé par Mel Mariposa Cassidy, en 2015, dans un article en anglais sur son blog  http://radicalrelationshipcoaching.ca/perfectpolyperson/. Mais il semblerait qu’il existait déjà depuis plus longtemps. NDT

[2] J’ai utilisé le langage inclusif, ce qui n’est pas le cas du texte original. NDT

[3] Cf. Brgitte Vasallo http://www.pikaramagazine.com/2013/03/romper-la-monogamia-como-apuesta-politica/

 

Ouvrir les amours, fermer les frontières. Brigitte Vasallo

vasalloCollage de Señora Milton

Présenter Brigitte n’est pas simple, tellement elle peut être polyfacétique. J’aime son franc parler, j’aime qu’elle ose dire et ose « se dire ». Parfois jugée excessive, elle dérange, c’est certain.

Je la connais à travers ses écrits, ses apparitions (assez rares en ce moment) sur les réseaux sociaux. J’ai acheté son livre PornoBurka quand il est sorti (en 2013, déjà !) et (oh la vilaine !), je ne l’ai pas encore lu… Il est dans ma to read list de livres à lire, qui ne diminue pas, car je n’arrête pas d’en acheter. Nous avons eu de riches échanges via les réseaux sociaux et je pense que nous nous apprécions mutuellement. La lire me fait un bien fou ; avec Coral Herrera Gomez et Roma, ce sont des femmes dont les écrits m’aident à mieux comprendre ce qui se joue actuellement dans la non-monogamie et, par là-même, à mieux me comprendre et également comprendre les personnes que j’accompagne en thérapie ou lors de mes espaces de parole. 

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Ce texte a été écrit à l’occasion du 14 février 2016, dans la revue Pikara : http://www.pikaramagazine.com/2016/02/abrir-amores-cerrar-fronteras/

Traduction : Elisende Coladan

Nous vivons dans un système qui nous dit que lorsque « l’autre » arrive, ce n’est jamais une bonne nouvelle, que « l’autre » n’a pas sa place dans notre vie. La pensée monogame et la xénophobie partagent la peur panique de l’altérité.

Aujourd’hui c’est le 14 février, la Saint Valentin, et c’est une date où nous devons parler d’amours. Dans mon cas, de monogamie et de comment nous pouvons repenser un système amoureux qui nous remplit de joie en même temps qu’il nous enfonce dans la violence, les trahisons et les exclusions. Aujourd’hui, il est temps que nous parlions de polyamour, d’anarchie relationnelle, de comment ouvrir les amours, et comment bien le faire.

Aux frontières de l’Union Européenne, en Slovénie, à Ceuta ou sur l’île de Lesbos, aujourd’hui, 14 février, arriveront -comme tous les autres jours- des milliers de personnes réfugiées et migrantes qui fuient des désastres infinis, des guerres avec des bombardement et des guerres avec des spoliations économiques, des guerres coloniales, encore et toujours, orchestrées par une communauté internationale qui s’occupe uniquement d’intérêts stratégiques, économiques et militaires.

Mais ce n’est pas le jour pour parler de ça ! Parlons d’amour, pas de frontières. Pourtant, il s’agit d’une bonne occasion de nous souvenir des implications profondes de l’affirmation « ce qui est personnel est politique » et de nous demander jusqu’où va notre pensée amoureuse critique. Une bonne occasion pour tester la force et la portée de notre déconstruction de la monogamie et de l’amour romantique . Quel sens cela a-t-il au-delà de nos vies privées, pour que nous soyons en train de mettre en jeu notre cœur et nos sentiments afin de construire de nouvelles manières de vivre nos relations.

La pensée monogame

La monogamie, ce n’est pas que des chiffres, ce n’est pas qu’une quantité. Ce qui nous fait croire ça, c’est une erreur anthropologique, euro- et androcentrée, qui définit la monogamie par une quantité (deux personnes), en opposition à d’autres formes de relations (la non-monogamie, c’est plus de deux personnes — à moins qu’il ne s’agisse de musulmans et là, elle a un autre nom, et personnellement, je trouve ça moche).

Dans cette Obsession du nombre, nous perdons de vue que la monogamie, ce n’est pas une pratique, mais un cadre de référence, un cadre monogame, ainsi qu’une forme de pensée : la pensée monogame, qui opère, certes, dans la sphère privée mais également dans la construction groupale. Une pensée monogame qui gère les amours et qui gère les frontières.

De toute la constellation d’idées qui font partie de la pensée monogame, il y en a deux qui se réfèrent aussi bien à l’immense difficulté d’avoir des relations sexo-affectives multiples, qu’à la maltraitance que nous sommes en train de faire subir, en tant que société, à ce que nous définissons comme de l’altérité notamment, aux personnes réfugiées et migrantes : la peur (la terreur) de perdre et le réflexe défensif de l’exclusion.

Nous construisons des couples de manière identitaire, avec des frontières fermées et hermétiques. Nous sommes un couple, nous ne sommes pas en couple. Cette manière de le construire répond, bien sûr, à un besoin de se protéger d’un monde sans pitié : besoin de refuge économique (face au capitalisme sauvage), aussi bien qu’émotionnel (face à l’immense supermarché des sentiments dans lequel nous vivons), mais aussi, de refuge sexuel (face au double mouvement, parallèle et paradoxal, d’hyper-sexualisation de corps instrumentalisés et à usage unique — à prendre et à laisser — d’un côté et, de l’autre, de pénalisation de la sexualité : mono-sexisme, castration des désirs non-normatifs, punition de l’expérimentation, slutshaming…)

Et, pourtant, à force de vivre en cherchant à se mettre à l’abri, nous avons perdu de vue quel était le danger que nous étions en train de fuir. Si c’était la solitude, les relations exclusives ne nous en protègent pas, puisque cette même exclusivité nous impose un régime hiérarchique dans lequel elle est au-dessus de toutes les autres formes de relations, qui deviennent, par là-même, moins importantes et, dans le meilleur des cas, passent au second plan. Si c’est le manque de lien, ce n’est pas l’exclusivité qui va garantir la permanence d’un lien, mais bien l’engagement lui-même, et celui-ci peut comprendre d’autres engagements comme le sont l’amitié ou s’occuper des enfants. La peur de perdre ne se résout par en fermant des frontières pour éviter l’arrivée d’une altérité menaçante, parce que les frontières ne sont jamais que des coupe-feux qui ne résistent pas longtemps. La peur de perdre se résout en éteignant le feu. En désactivant la menace. En désactivant l’idée d’altérité comme menace.

Sommes-nous en train de parler d’amours ou sommes-nous en train de parler d’états ?

Nous sommes en train de parler de la vie, de la manière dont nous nous positionnons dans la vie, de la manière dont la pensée monogame, basée sur l’exclusivité et l’exclusion, nous traverse complètement, depuis la sphère privée jusqu’au groupe, dans ce que nous avons en commun.

La possibilité d’avoir des relations dans une dynamique non-monogame déchaîne des attaques de panique à l’altérité. Cette « autre » qui vient nous voler notre tranquillité, notre bien-être, notre quotidien, notre commodité, notre sécurité. Qui vient se mettre en compétition avec nous et nous enlever notre place centrale, avec le privilège et le pouvoir que cette place nous procure. Qui vient nous mettre en danger. Comme l’affirme la culture populaire, en amour comme à la guerre, tous les coups sont permis. Et tout y est bon : le combat, l’attaque, la violence et l’auto-violence. Comment ça s’appelle, assassiner ta partenaire ou ton ex, sous couvert de jalousie ? Comment peut-on en arriver à tuer « l’autre » ? « Comment pouvons-nous autant nous blesser ? Comment pouvons-nous nous infliger autant de violence ou accepter autant de maltraitances au nom de l’amour ?

Cette « autre », qui vient détruire notre vie, ce sont aussi les réfugiées et les migrantes. Qui viennent bouleverser notre tranquillité, mettre en péril notre paix, nos bonnes coutumes, notre richesse, notre culture, notre identité, notre état de bien-être… Et, dans cette guerre, comme dans l’amour, tous les coups sont permis. L’infamie de leur confisquer leurs objets de « valeur » comme cela se fait au Danemark (mesure à laquelle nous devrions répondre immédiatement en boycottant les produits danois), la brutalité de leur tirer dessus pendant qu’ils se noient comme le fait l’État espagnol à sa frontière Sud, ou de se moquer de leurs morts, y compris celles de leurs enfants, au nom d’une liberté d’expression qui n’est autre que la même violence brutale exercée par d’autres médias, pour ne citer que quelques exemples macabres.

Bien sûr que tout le monde ne tue pas ses amantes ou ne tire pas sur autrui aux frontières. Mais le système est là et il est incrusté dans chaque parcelle de nos vies. Et c’est ce système qui nous dit que l’arrivée de « l’autre » n’est jamais une bonne nouvelle, qu’elle ne nous apportera jamais de nouvelles énergies, de nouvelles connaissances, de nouveaux points de vue, des nouveaux liens, qu’elle ne nous rendra jamais meilleures, ni plus heureuses, ni plus réelles, ni plus lumineuses, ni plus joyeuses. Le système nous dit que l’autre n’a pas le droit d’être.

Dans l’Europe de la décadence, du capitalisme sauvage, des marchés qui sont seigneurs et maîtres, de la troïka, de la paupérisation, des expulsions, de la violence à tous les niveaux contre une population chaque fois plus acculée, de la culture hipster du réchauffé et du vintage, nous sommes-nous arrêtées pour penser combien de possibilités de résistance contre la brutalité du monde apportent avec eux les réfugiées ? Combien d’alliances se perdent ? Combien de possibilités de liens nous sommes en train de dynamiter, aujourd’hui et pour les siècles à venir ? Nous voyons, horrifiées, la même dynamique se déployer dans l’épistémicide[1] qui a eu lieu dans ce que nous appelons « l’Amérique » : tant de formes de connaissance se sont perdues, que nous avons exterminées en même temps que les vies et les mémoires de ces vies. Avons-nous conscience de ce que nous sommes en train de dire sur ce que sont pour nous la pensée, la connaissance et la culture quand nous parlons de la Syrie ? Même si nous ne faisons que dire « Syrie », est-ce que nous comprenons la dimension de ce que nous disons ?

Rompre la monogamie des frontières

Rompre avec la monogamie, c’est dynamiter les frontières, parce qu’elles sont un outil de répression et de haine. Les frontières ne nous protègent pas : elles créent le danger. Le fantasme même de danger. Rompre avec la monogamie, c’est générer de nouvelles formes de relations : ne pas multiplier les mêmes formes, mais les dynamiter pour créer de nouvelles formes de liens basées sur l’inclusion, sur le droit et le besoin d’être, de vivre, d’appartenir, de construire, et les cultiver ensemble.

Le défi, pour nous qui nous disons polyamoureuses, qui nous disons non-monogames, est de donner un nouveau sens au lien et un nouveau sens à la liberté, qui échappent aux serres du néolibéralisme, qui reprennent la conscience de l’être-là[2], du mélange, du métissage, de la contamination croisée comme puissance de vie. Un sens du lien qui nous sache affaiblies sans la présence de cette « autre » que nous refusons de penser comme menace et que nous voulons comme compagne de qui nous pouvons apprendre, en l’incluant dans notre vie, dans notre monde. Cette « autre » qui concrètement se matérialise dans les corps et les vies des amantes, des réfugiées, des migrantes.

[1]  » Un épistémicide est la mort silencieuse des autres formes de science, de cultures, de savoirs, d’apports, qui ont pu exister pour une seule domination, un seul type de science, de savoir qui sont considérés comme légitimes.  » Fatima Khemilat

[2] Traduction littérale de l’allemand Dasein (« existence », mais littéralement da = « là » et sein = « être »), notion exposée par le philosophe Martin Heidegger. Wikipedia